«Les PDG vivent dans une bulle. Ils doivent la crever pour devenir crédibles»


Édition du 09 Décembre 2017

«Les PDG vivent dans une bulle. Ils doivent la crever pour devenir crédibles»


Édition du 09 Décembre 2017

Par Diane Bérard

Keith Cargill est un des sept cofondateurs de la Texas Capital Bank.

Keith Cargill est un des sept cofondateurs de la Texas Capital Bank, l'une des institutions financières américaines qui croît le plus rapidement. Grand communicateur, il était conférencier au CEO Communication Summit, organisé par le Luc Beauregard Center of Excellence in Communications Research de l'Université Concordia.

L'entrevue n° 340

Diane Bérard - Pourquoi dites-vous que les PDG vivent dans une bulle ?

Keith Cargill- Parce qu'ils n'ont pas accès aux mauvaises nouvelles. Chaque employé tente de régler le problème avant que le patron découvre son existence. On se dit que le PDG n'a pas le temps de s'occuper de nos problèmes. Qu'il ne faut pas l'embêter avec ça. Si un dirigeant ne pose pas de gestes délibérés pour demeurer informé, il en arrivera à vivre dans une bulle.

D.B. - Quelles sont les conséquences ?

K.G. - Vous avez beau vous exprimer de façon authentique, ce dont vous parlez ne reflétera pas la réalité. Parce que vous manquez d'information, il y aura un fossé entre ce que vous décrivez et ce que vos partenaires internes (les employés) et externes (les autres parties prenantes) vivent et ce dont ils ont besoin. C'est ainsi qu'on perd sa crédibilité.

D.B. - Peut-on crever cette bulle ?

K.G. - C'est un défi permanent. Pour ma part, je suscite des échanges impromptus. J'aborde un collaborateur sans préavis et je lui propose d'aller prendre un café. J'entame toujours la discussion en m'informant de lui et de sa famille. C'est une question sincère, je m'intéresse vraiment à nos employés. Ils le sentent. J'ai un autre principe : toujours protéger mes employés. Si l'un d'eux me confie quelque chose qui cloche dans l'entreprise, je ne dois pas trahir cette confiance. Il doit voir que j'interviens, mais sans le compromettre.

D.B. - Les PDG doivent connaître leur organisation. Mais que doivent-ils savoir à propos de la société et comment l'apprendre ?

K.G. - On peut lire, mais ça ne suffit pas. Notre quête d'information peut nous éloigner de la société, nous désengager de la vraie vie. On comprend le monde par les conversations que l'on a avec des gens que l'on regarde dans les yeux, dont on observe le langage corporel. Surtout, avec des gens avec qui nous ne sommes pas nécessairement confortables. Des gens qu'un dirigeant ne fréquente pas habituellement, par exemple. C'est ainsi qu'on évolue, qu'on devient plus pertinent et plus crédible.

D.B. -Vous entamez chaque discussion en tenant pour acquis que votre interlocuteur est animé de bonnes intentions. N'est-ce pas risqué pour un PDG ?

K.G.- C'est ainsi que je suis fait. Je crois que chacun d'entre nous tente de mener une bonne vie et de contribuer du mieux possible. D'où l'importance de communiquer honnêtement pour tenter de comprendre ce que pense votre interlocuteur au lieu de vouloir le convaincre de penser comme vous. Comme dirigeant, je reconnais toutefois l'importance de m'entourer de collaborateurs qui voient le monde autrement.

D.B. - Que faites-vous en présence d'un interlocuteur non réceptif ?

K.G. - En affaires comme dans la vie personnelle, tout le monde sait que la communication est importante. Certains ne le sentent pas et n'arrivent pas à le montrer. Ils se comportent comme si vos propos ne leur importaient pas. Ils ne vous regardent pas dans les yeux. Ils se tiennent en retrait. Ils nient des évidences. Il faut toutefois persévérer. Faire confiance à l'intuition de votre interlocuteur et à sa capacité de traiter vos propos. Pour ma part, je demeure moi-même. Je parle de ce qui me tient à coeur. Que vous soyez PDG ou non, il est toujours préférable de rester soi-même. Plus votre interlocuteur se montre fermé, plus il importe que votre message soit centré sur vos valeurs. C'est le seul terrain sur lequel nous avons une chance de nous rejoindre.

D.B. - Dans une conversation, il faut être soi-même, mais éviter de devenir trop conscient de soi. Pouvez-vous expliquer ?

K.G.- Lorsqu'on devient trop conscient de soi (self-awarness), de ses valeurs, de ses croyances, cela brouille la communication. On cesse d'être authentique, par crainte d'être rejeté. Ou on adopte une attitude défensive, pour protéger ses valeurs. C'est à ce moment qu'on cesse d'écouter.

D.B. - Comment cette hyperconscience de soi influence-t-elle l'efficacité de la communication et l'issue de la conversation ?

K.G. - Lorsqu'on cesse d'écouter l'autre, on ne connecte plus avec lui, ni intellectuellement, ni émotivement. L'échange n'est plus efficace. On se prive d'informations qui nous aideraient à bâtir ou à faire évoluer la relation. Il devient alors impossible de faire rebondir nos idées respectives sur un dossier pour quitter la conversation en ayant chacun appris quelque chose. Or, la partie la plus riche de l'expérience humaine consiste à apprendre les uns des autres.

D.B. - Vous parlez d'écoute. En affaires, n'est-il pas plutôt question de convaincre une des parties prenantes avec lesquels on interagit ?

K.G. - Il est évident que vous devez afficher de la confiance en ce que vous croyez. Sinon, vous n'arriverez jamais à bâtir et à maintenir une entreprise qui réussit. Cependant, si vous poussez cette confiance à l'extrême, votre interlocuteur - le représentant d'une de vos parties prenantes, par exemple - se fermera. Il pourrait vous considérer comme arrogant et étroit d'esprit. Donc, si vous avez un objectif précis en tête au moment d'entamer une discussion, il est plus sage de capter un maximum d'informations de votre interlocuteur avant de lui dévoiler vos intentions. Vous savez, les faits qui mèneront votre interlocuteur à penser comme vous ne sont peut-être pas les mêmes que ceux qui ont influencé votre opinion. Il faudra peut-être miser sur autre chose. Tant que vous ne connaîtrez pas ces faits, il est futile d'essayer de convaincre votre vis-à-vis de quoi que ce soit.

D.B. - Vous estimez qu'un PDG doit être encore plus doué pour l'écoute que la moyenne des gens. Pourquoi ?

K.G - Parce qu'il prend des décisions qui influent sur la vie de nombreuses personnes, tout simplement. C'est à cause de tout ce pouvoir et de cette influence que le PDG doit savoir écouter. Le leader qui sait écouter prend toujours de meilleures décisions.

D.B. - Parlons des discours. Les PDG racontent généralement les prouesses de leurs entreprises. C'est souvent ennuyeux, car cette histoire est connue...

K.G. - Jamie Dimon, PDG de JP Morgan Chase, un des meilleurs communicateurs de l'industrie financière américaine, parle d'enjeux qui affectent la prospérité et la qualité de vie de la collectivité. Il a le courage de partager ses valeurs. Les PDG devraient être reconnus pour leur pensée libre et originale, incluant des réflexions qui vont au-delà de leur entreprise. Ces interventions ne doivent toutefois pas se faire à leur seul bénéfice. On ne leur donne pas une tribune pour leur avancement personnel. Le principe fondateur de notre banque, Texas Capital est le suivant : une entreprise doit être signifiante pour le monde, pas pour elle-même. Il doit en être de même des interventions des PDG.

D.B. - Ne pas se commettre est aussi néfaste que l'abus d'influence...

K.G. - En effet, avec le pouvoir viennent des responsabilités, dont celle de parler. Un PDG ne devrait jamais «jouer fessier» (safe).

Consultez le blogue de Diane Bérard : www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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