Les médecins: victimes consentantes de leur syndicat


Édition du 24 Mars 2018

Les médecins: victimes consentantes de leur syndicat


Édition du 24 Mars 2018

Comme la Fédération des médecins spécialistes a une immense côte à remonter dans l’estime des Québécois, elle aurait avantage à faire d’elle-même certaines concessions. [Photo : 123RF]

Les Québécois ont été très patients avec les médecins. Ils ont accepté que l'on ajuste leur rémunération à celle de leurs collègues des autres provinces et même à celle du corps médical de l'Ontario même si cette province est plus riche que le Québec.

La grogne actuelle de la population envers leur rémunération s'explique surtout par l'avidité de la Fédération des médecins spécialistes.

On comprend le désarroi de nombreux médecins par rapport aux critiques virulentes qui s'abattent sur eux. La majorité de ces critiques sont mesquines et abusives. Elles font abstraction des compétences de notre corps médical et de la grande qualité des soins que nous recevons dans tous les domaines de la médecine. Il importe donc de bien distinguer le professionnalisme des disciples d'Hippocrate et l'arrogance des syndicats qui les représentent.

C'est un fait que les médecins, surtout les spécialistes, sont, de loin, les professionnels les mieux payés. C'est le cas dans de nombreux pays, et on pourrait sans doute débattre longtemps de l'écart qui serait acceptable entre leur rémunération et celle d'autres professionnels occupant aussi d'importantes responsabilités.

Il y a fort à parier, toutefois, que les syndicats de la profession médicale ne gagneraient pas un tel débat pour différentes raisons, bonnes et mauvaises. Ce constat devrait donc amener leurs dirigeants à plus de retenue dans leurs demandes et dans les avantages qu'ils ne cessent de réclamer et de se donner. Les primes à la jaquette (66 $) et à la ponctualité (100 $) pour les spécialistes et à l'encadrement des infirmières praticiennes (60 000 $ par année) et à l'inscription de nouveaux patients pour les omnipraticiens sont des exemples probants d'abus qui font mal paraître le corps médical. Tout cela fait paraître la pratique médicale comme une industrie qui est plus au service des médecins qu'à celui des patients.

Même si cela déplaît à plusieurs d'entre eux, il est très difficile de dissocier les médecins de ce qu'ils coûtent et de ne pas reconnaître que leur rémunération a un impact majeur sur l'offre de soins et la rémunération des autres personnels du système de santé. Celui-ci absorbe maintenant 51 % des dépenses de programmes du gouvernement et, là-dessus, la rémunération des professionnels de la santé représente 20 %, comparativement à 12 % il y a 10 ans.

On gagne plus, on travaille moins

Alors que les médecins et les spécialistes ont réduit leur temps de travail, les infirmières et les gestionnaires des établissements sont surchargés et épuisés. Le budget des dépenses de santé n'étant pas élastique à l'infini, il aurait été normal et socialement responsable que le corps médical fasse sa part pour redresser l'accès aux soins de santé. Or, l'étude que viennent de publier Damien Contandriopoulos et Astrid Brousselle vient de prouver qu'il n'y a pas de rapport entre la rémunération et l'offre de services.

Il est cocasse que le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, nous dise qu'il savait cela. Si tel est le cas, pourquoi a-t-il été si déterminant dans l'explosion de la rémunération des spécialistes quand il a été président de leur syndicat ? Comment a-t-on pu ensuite négocier des hausses de rémunération mirobolantes en faisant l'hypothèse que les spécialistes des autres provinces allaient bénéficier d'une croissance de leur propre rémunération et que l'on devait, par conséquent, donner à nos chers spécialistes les ajustements excessifs que l'on connaît ? Comment a-t-on pu être assez bête pour ne pas prévoir un plafonnement de ces hausses ou même un réajustement à la baisse dans l'hypothèse où les hausses anticipées dans le reste du Canada ne se produiraient pas ?

Eh oui ! Comme ces hausses ne se sont pas produites, on se retrouve aujourd'hui avec un écart de 30 % en faveur des spécialistes québécois, selon les calculs d'Alain Dubuc de La Presse, comparativement à la rémunération de leurs collègues ontarien en tenant compte du fait que le coût de la vie est de 12 % inférieur au Québec. C'est un non-sens.

Comme on ne peut pas, paraît-il, selon notre gouvernement de docteurs, revenir en arrière (bien que cela ne soit pas si sûr, le gouvernement de René Lévesque avait reculé les salaires des fonctionnaires de 20 % pour trois mois au début des années 1980), c'était un minimum d'étaler les hausses promises, tel que l'a annoncé le gouvernement du Québec en février dernier.

S'il ne se passe pas une journée sans que l'on ne parle de la rémunération excessive et indécente des spécialistes sur le plan de l'équité par rapport à celle d'autres professionnels et des salariés du système de santé, c'est que l'élastique a été cassé aux yeux du public.

On ne connaîtra pas avant quelques semaines le détail des ententes convenues entre le gouvernement et les syndicats de médecins. Or, comme la Fédération des médecins spécialistes a aujourd'hui une immense pente à remonter dans l'estime des Québécois, elle aurait avantage à profiter de ce délai pour faire d'elle-même certaines concessions. Elle paraîtrait mieux que le gouvernement, qui n'a pas daigné s'attaquer à une situation qui n'a aucune base objective.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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