Le principe pollueur-payeur

Publié le 29/07/2009 à 15:08

Le principe pollueur-payeur

Publié le 29/07/2009 à 15:08

Par lesaffaires.com

Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, parle d'instaurer un péage sur les ponts de l'île de Montréal. À Ottawa, le Parti libéral promet la mise en place d'une taxe sur le carbone advenant son accession au pouvoir.

Qu'ont en commun ces initiatives ? L'application concrète du principe pollueur-payeur, qui consiste à faire payer la pollution par ceux qui la génèrent. Le principe est connu depuis 1972, date à laquelle l'Organisation de coopération et développement économique (OCDE) l'a adopté. Et pourtant, « l'idée a mis des années à s'imposer, surtout en Amérique du Nord, où l'on est très en retard sur l'Europe », affirme Paul Lanoie, professeur titulaire à l'Institut de l'économie appliquée et responsable du développement durable à HEC Montréal. L'Union européenne a adopté en 2003 une directive inspirée du principe pollueur-payeur, encourageant ainsi les entreprises à s'assurer contre les dommages environnementaux qu'elles pourraient causer. La France, réticente au départ, y a finalement adhéré.

Quel est donc l'intérêt de ce principe ? Il permet d'intégrer les externalités dans le coût d'un produit ou d'un service. Du point de vue comptable, les externalités sont les impacts environnementaux, sociaux ou économiques, qu'ils soient positifs ou négatifs, des activités humaines, et qui ne sont pas reflétés dans le prix de vente des biens ou des services.
Exemple : si l'on devait payer les vrais coûts de transport (et les impacts environnementaux et sociaux qui y sont associés) des fruits et des légumes que nous consommons, certains d'entre eux seraient hors de prix, car le trajet moyen parcouru par un aliment du champ à la table est de 2 400 kilomètres.

L'objectif

L'objectif du concept pollueur-payeur est de pénaliser un comportement jugé néfaste pour la société pour en favoriser un autre plus sain. Prenons par exemple le système de péage électronique - aussi appelé « taxe à la congestion » - instauré à Londres en 2003 pour accéder au centre-ville. En exigeant 12 dollars par jour (19 dollars maintenant) des automobilistes qui pénètrent dans le centre de la métropole britannique, le maire Ken Livingstone voulait assainir l'air de la ville, réduire la congestion causée par l'automobile et développer le transport en commun. Aujourd'hui, la circulation a diminué de 20 %, et plus de la moitié des gens qui venaient en voiture auparavant prennent désormais l'autobus. L'idée vient de Singapour, la première ville du monde à avoir imposé un péage urbain, en 1975.

« Nous préférons parler de responsabilité élargie des producteurs de biens et services, afin que les gens comprennent que la réduction de la pollution est une responsabilité partagée entre les producteurs et les consommateurs », affirme Mathieu Villemette, conseiller services techniques et environnement à ÉcoEntreprises Québec (EEQ). EEQ est un organisme privé sans but lucratif mandaté pour appliquer la loi 102, Loi modifiant la Loi sur la qualité de l'environnement et la Loi sur la Société québécoise de récupération et de recyclage, adoptée en 2002. Cette loi oblige les entreprises qui utilisent des contenants et des emballages pour vendre leurs produits, et qui publient des imprimés pour en faire la promotion, à compenser financièrement les municipalités jusqu'à concurrence de 50 % des coûts nets des services municipaux de collecte sélective. L'argent recueilli est versé à ÉcoEntreprises, qui se charge de le redistribuer aux municipalités. Cette application du principe pollueur-payeur a permis d'amasser 60 millions de dollars en 2007.

Les exemples de ce genre sont toutefois rares au Québec. « Il y a beaucoup à faire ici pour refléter les véritables coûts des gestes que nous posons », affirme Paul Lanoie. Il mentionne quatre secteurs où nous sommes très en retard : les transports (aucun péage autoroutier ou urbain, aucune tarification à l'usage), l'énergie (le tarif de l'électricité, trop bas, encourage le gaspillage), l'eau (aucune tarification à la consommation) et les déchets (pas de tarification au poids ou au sac, comme cela se fait déjà dans 200 municipalités du reste du Canada).

Des avantages pour les entreprises

Le principe pollueur-payeur fait porter aux pollueurs le vrai fardeau de la pollution. Il corrige les distorsions causées par l'économie de marché, qui a de la difficulté à chiffrer le coût de l'utilisation de l'air, de l'eau et du sol, dont les droits de propriété ne sont pas bien définis. Paul Lanoie estime que ce principe comporte aussi de nombreux avantages pour les entreprises. « En assumant les vrais coûts, les entreprises seront en mesure de prendre de meilleures décisions », dit-il. Un exemple récent : la hausse constante des prix de l'essence a amené General Motors à réduire la production de ses gros véhicules énergivores, comme le Hummer.

Payer les vrais coûts réduit aussi le gaspillage des ressources et permet d'améliorer la performance environnementale des entreprises. « Les entreprises qui endossent cette philosophie ont plus de facilité à trouver du financement et de nouveaux clients, et à attirer de nouveaux employés », soutient Paul Lanoie.

Il y a toujours des limites

Cependant, l'imposition d'une taxe pour pénaliser un comportement n'atteint pas toujours les objectifs visés, selon Philippe Bourke, directeur général du Regroupement des conseils régionaux de l'environnement du Québec. « Il est souvent difficile de déterminer le prix juste, celui qui provoquera les changements de comportement. » Ainsi, la redevance de 10 dollars par tonne de déchets imposée par le gouvernement du Québec aux services de collecte des ordures a permis d'améliorer la collecte sélective, mais n'est pas encore parvenue à réduire la quantité de déchets qui vont à l'enfouissement, ce qui était pourtant un des buts de cette mesure.

La taxe sur le carbone de 0,8 cent par litre d'essence imposée par le gouvernement Charest en octobre 2007 à une cinquantaine d'entreprises, dont les pétrolières, a eu aussi un effet mitigé. Cette taxe finance le transport en commun et certaines mesures pour contrer le réchauffement climatique. Toutefois, jusqu'ici, elle n'a pas permis de réduire la consommation de carburant, et encore moins la pollution, selon Philippe Bourke. Faudrait-il en arriver à un prix de 2,50 dollars le litre d'essence, comme en France, pour avoir un impact réel ? Une révolution avec ça ?

4 secteurs à surveiller

1. Les transports
Aucun péage autoroutier ou urbain, aucune tarification à l'usage.
2. L'énergie
Le tarif de l'électricité, trop bas, encourage le gaspillage.
3. L'eau
Aucune tarification à la consommation.
4. Les déchets
Pas de tarification au poids ou au sac, comme cela se fait déjà dans 200 municipalités du reste du Canada.
                                                                                                Paul Lanoie, professeur titulaire 
                                                                                                               à l'Institut de l'économie appliquée et 
                                                                                                                responsable du développement durable
                                                                                                               à HEC Montréal

Petit lexique
Au fil des ans, la notion de pollueur-payeur s'est nuancée. On parle aujourd'hui d'utilisateur-payeur lorsqu'un pouvoir public impose une tarification à l'utilisation d'une ressource dans le but d'en réduire l'usage. Ainsi, la tarification de l'eau imposée par la Ville de Montréal à une quinzaine d'entreprises, grandes utilisatrices de cette ressource, en est un bon exemple. Par ailleurs, Montréal exige aussi des redevances sur les eaux usées rejetées par certaines entreprises dans ce cas, on parle véritablement du principe pollueur-payeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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