Il est souvent arrivé à Andrée Lise Méthot, présidente du Fond d'investissement en développement durable (FIDD), de se faire demander si elle parlait d'accident vasculaire cérébral quand elle prononçait l'acronyme ACV. Cela illustre à quel point l'analyse du cycle de vie - ou ACV - est encore peu connue au Québec. Pourtant, lors du second forum canadien sur la gestion cycle de vie des produits et services qui avait lieu à Montréal, fin octobre, les fabricants ont reçu un avertissement : "Si vous ne vous y mettez pas, vous risquez de ne plus pouvoir exporter", leur a dit Denis Morrissette, du Centre national de recherches du Canada (CNRC). L'analyse du cycle de vie consiste à mesurer et à analyser tous les éléments qui entrent dans la fabrication et la consommation d'un produit. Les grandes entreprises mondiales comme Alcan et RIO Tinto s'y sont mises il y a quelques années déjà. Mais pour les PME et sous-traitants, cette analyse exige beaucoup de ressources : plusieurs dizaines de milliers de dollars et de nombreux mois de recherche. Mais à long terme, cela rapporte. Et puis, il y a maintenant une version simplifiée, que le FIDD utilise d'ailleurs dans ses décisions de financement des entreprises. Un outil qui réserve de belles surprises PDG de Earth Canada, Alain Ferland a expliqué lors du forum comment l'analyse du cycle de vie s'est avérée un excellent investissement pour cette entreprise montréalaise qui fabrique des filtres industriels utilisés sur les plateformes de production de pétrole pour nettoyer l'eau contaminée."L'ACV nous a permis de réduire par un facteur de quatre à cinq nos coûts de matière première, a-t-il affirmé. Autrement dit, ce qui nous coûtait 100 $ nous en coûte maintenant 20 $, car nous avons commencé à utiliser de la matière recyclée plutôt que de la matière vierge."Côté distribution, nous avons diminué nos coûts de transport en faisant fabriquer nos contenants plus près de notre marché, qui est en Mer du Nord", a ajouté M. Ferland, selon qui l'ACV est un"outil de planification stratégique qui peut vous réserver de belles surprises". Chez Bush Marine, un fabricant québécois de bateaux haut de gamme financé par le FIDD,"l'ACV est devenue un outil de marketing auprès d'une clientèle soucieuse de l'environnement", souligne Mme Méthot. Loin d'être un fardeau"L'ACV ne doit pas être perçue comme un fardeau", a renchéri Daniel Normandin, président du Centre interuniversitaire de recherche sur l'analyse, l'interprétation et la gestion du cycle de vie (CIRAIG). Ce centre travaille avec l'industrie du ciment à un projet pilote visant à remplacer le charbon par du bois contaminé - des poteaux de téléphone - à des fins de combustible. Il vient aussi d'obtenir un mandat de Bell Canada qui entend faire subir une ACV à certains équipements et services. L'Institut de développement de produits est un autre promoteur de l'ACV. Son rôle est de soutenir les PME dans le développement de méthodes de fabrication innovatrices. Il a reçu du CNRC le mandat de développer une"approche ACV" qui sera offerte gratuitement aux concepteurs de produits dans les PME. Cette approche sera moins fastidieuse et coûteuse que l'analyse cycle de vie à proprement parler, ou même que l'ACV simplifiée, qui comporte pas moins de 200 questions et 600 données quantitatives et qualitatives. Par ailleurs, l'ACV peut même contribuer au redressement d'une entreprise, comme ce fut le cas de Steelcase, un fabricant de chaises dont la filiale française a évité la faillite. Alors que ses ventes de chaises de bureau étaient en décroissance, Steelcase a procédé à une ACV. Celle-ci l'a amenée a utiliser des matériaux recyclables (fabriqués par la beauceronne Victor Innovatex) et à concevoir un dossier de chaise démontable, ce qui a amélioré son processus d'emballage et réduit de 30 % ses frais de transport. Selon Jean-Paul Simard, chef du marketing et développement durable de Victor Innovatex,"il ne faut pas attendre la réglementation pour agir. Si on attend, on ne sera plus concurrentiel". QU'EST-CE QUE L'ACV ? S'inscrivant dans une démarche de développement durable, l'analyse du cycle de vie (ACV) consiste à mesurer et à analyser tous les éléments qui entrent dans la fabrication et la consommation d'un produit, à partir de l'extraction des matières premières jusqu'à la mise au rebut du produit, en regard de leurs impacts sur l'économie et sur l'environnement ainsi que, plus récemment, sur la société. On parle donc ici d'un bilan à trois volets, soit social, économique et environnemental. L'objectif est de répertorier et de quantifier ces impacts. Certaines économies, comme l'Union européenne et le Japon, ont intégré l'ACV dans leur réglementation. Les manufacturiers canadiens doivent y porter attention, car ceux qui veulent exporter en Europe et au Japon sans avoir élaboré une ACV risquent d'être refusés. Des banques de données sur l'ACV ont été créées en Europe. En Suisse, on a dépensé plusieurs millions de dollars pour répertorier 2 700 procédés industriels. Au Canada, des chercheurs réclament une banque canadienne, pour qu'on puisse tenir des facteurs de production spécifiques à notre pays, comme le recours à l'hydroélectricité, une source d'énergie plus propre que le charbon."