Du Coke en Haïti à la Sainte Paix au Québec

Publié le 04/08/2012 à 00:00

Du Coke en Haïti à la Sainte Paix au Québec

Publié le 04/08/2012 à 00:00

En moins de 20 ans, Les Brasseurs RJ sont devenus la plus grande microbrasserie du Québec. Le producteur de la Belle Gueule et de la Tremblay incarne la réussite incontestée dans l'industrie québécoise du houblon. Les patrons, la famille Jaar, ont appris le métier en exploitant le monopole du Coca-Cola en Haïti !

Philippe Jaar a fait ses premiers pas dans les entreprises familiales au début des années 1990 à la Brasserie de la Couronne. L'entreprise a le permis de fabrication et de distribution du Coke à Port-au-Prince. Mais en 1998, Philippe Jaar est devenu directeur des Brasseurs RJ, l'homme de confiance à Montréal de son père et de son oncle, Roger et Raymond Jaar, actionnaires de la microbrasserie.

Dans la salle de conférence attenante à l'usine du Plateau-Mont-Royal, il ouvre deux bouteilles de sa nouvelle Belle Gueule Hefeweizen, une bière de blé allemande bien ronde, aux arômes de banane et de clou de girofle, arrivée sur les tablettes le 1er juin. «Ça fait longtemps qu'on travaille dessus», dit-il fièrement, avec son fort accent haïtien.

Puis, nous goûtons la nouvelle Sainte-Paix au pamplemousse et à l'orange, directement sortie de la cuve. La bière saisonnière est disponible depuis le 25 juin.

Le liquide n'est pas encore prêt, mais Philippe Jaar exhibe également l'emballage de la toute dernière invention de RJ. Croisement entre une India Pale Ale surhoublonnée et une bière de type belge, la Death Valley sera costaude, tant par son amertume que son taux d'alcool de 8 %. Une représentation du célèbre désert américain du même nom illustrera les caisses, et le produit sera en magasin à compter de la fin juillet.

Ces nouvelles bières viendront enrichir le portefeuille de RJ, déjà bien garni. En plus de ses propres produits, l'entreprise distribue plusieurs grandes marques importées : Carlsberg, Grolsch, Kronenbourg, Boris, Bitburger... En 2008, l'entreprise a même racheté les parts de 45 % que détenait Moosehead dans l'un de ses concurrents montréalais, la Brasserie McAuslan.

Rompus à la grande distribution dans des conditions extrêmes en Haïti, les Jaar exploitent aujourd'hui le quatrième réseau de distribution de bière le plus étendu du Québec, après ceux des géants Molson-Coors, Labatt (InBev) et Sleeman-Unibroue (Sapporo).

«Ça a été assez difficile, dit le patriarche Roger Jaar, joint à ses bureaux de Miami. Par contre, l'expérience qu'on a gagnée avec Coca-Cola dans le marketing et la distribution nous a aidés pas mal.»

Sortir de l'île

Entrepreneur en construction prospère, Roger Jaar cherchait à investir à l'étranger après le coup d'État de Raoul Cédras, en 1991.

Il a notamment préparé l'ouverture d'une microbrasserie dans South Beach, à Miami, avec des cadres de son usine de Coca-Cola de Port-au-Prince, les Québécois Sylvain et Éric Boudreault.

Ses deux employés sont ensuite partis en vacances dans leur village, l'Anse-Saint-Jean, au Saguenay. «Et puis, ils m'appellent et me disent : "Pourquoi on ne ferait pas ça ici ? Il y a des subventions, on s'occupe de tout..." Moi j'ai dit OK, pas de problème.»

C'est ainsi que la famille d'entrepreneurs haïtiens a construit une petite brasserie au fin fond du Saguenay. «Mais les gens préféraient boire de la Molson, de la Labatt, dit Roger Jaar. Après quelques années, j'ai réalisé que les consommateurs de microbrasseries étaient à Montréal.»

À la suite de discussions infructueuses avec Les Brasseurs du Nord, de Blainville (Boréale), les Jaar ont finalement acheté la brasserie GMT du Plateau-Mont-Royal, en plein coeur de la métropole, en septembre 1998. «Un mois après, j'achetais le Cheval Blanc», dit-il.

Retour aux sources

Près de 14 ans plus tard, l'aventure québécoise des Jaar a bien tourné. Les Brasseurs RJ fabriquent maintenan environ 105 000 hectolitres par an. L'entreprise compte environ 250 employés, et son chiffre d'affaires est d'environ 70 millions de dollars, en incluant la distribution.

Ces dernières années, RJ s'était faite plus parcimonieuse dans le lancement de nouvelles bières, alors que des dizaines de petites microbrasseries voyaient pourtant le jour aux quatre coins du Québec. «On était en train de perdre notre image de vraie microbrasserie, croit même Roger Jaar. On allait vers le volume...»

Les Brasseurs RJ ont peut-être un peu trop misé sur la distribution de bières importées, ajoute-t-il. «À court terme, c'est intéressant, à cause des profits ; mais à long terme, on pousse les marques des autres, dit-il. Je ne vais pas en accepter d'autres en distribution.» En cette ère de grande effervescence pour les petits fabricants de bières savoureuses et typées, RJ a donc décidé de se «recentrer».

Une vingtaine de marques

Produits de Brasseurs RJ

gamme Belle Gueule

Tremblay

Cheval Blanc

Coup de Grisou

Sainte-Paix

Death Valley

Snoreau

gamme d'Achouffe

Cap Espoir

Produits de la Brasserie McAuslan

(détenue à 45 % par RJ)

gamme Saint-Ambroise

gamme Griffon

Moosehead (brassée sous licence)

Produits importés et distribués

Grolsch

Carlsberg

Bitburger

Boris

Kostritzer

Kronenbourg 1664

Tuborg

Volume de production des usines des Brasseurs RJ

MONTRÉAL

100 000 hectolitres

ANSE-SAINT-JEAN

5 000 hectolitres

Source : Brasseurs RJ

COCA-CHAOS À PORT-AU-PRINCE

Produire du Coca-Cola en Haïti fait figure de sport extrême, comparé au microbrassage québécois. En 30 ans d'embouteillage là-bas, la famille Jaar a dû composer avec trois coups d'État, des infrastructures ravagées, un embargo pétrolier et des ennuis douaniers constants. Mais surtout, les Jaar ont fait le deuil de plusieurs employés.

En septembre dernier, Marie Colin a été tuée par balle dans sa voiture près du bidonville de Cité Soleil, à Port-au-Prince, alors qu'elle rentrait du travail. Elle était directrice des ressources humaines de la Brasserie de la Couronne, l'usine des Jaar qui embouteille le Coca-Cola et d'autres boissons gazeuses. Le meurtre a laissé les employés de l'usine sous le choc.

«Moi je n'étais même pas au courant, dit Roger Jaar. Je suis allé à l'usine le lendemain du meurtre pour une rencontre prévue avec elle.» C'est à ce moment-là qu'il a appris la consternante nouvelle.

À l'époque où il était directeur de la Brasserie de la Couronne de 1991 à 1995, Sylvain Boudreault a vécu les problèmes de violence sous la dictature de Cédras. «Des fois, il y avait des corps le long de la route, près de l'usine. À un moment donné, mes deux gardes de sécurité se sont fait abattre pendant la nuit», raconte l'ancien homme de confiance des Jaar.

Les relations avec le millier d'employés de la Brasserie de la Couronne ont aussi entraîné leur lot de problèmes. En 2006 et 2009, le mouvement de travailleurs Batay Ouvriye a lancé une campagne pour dénoncer l'entreprise (revenus sous le salaire minimum, heures supplémentaires non rémunérées, renvoi de militants syndicaux...) «Chacune des usines d'embouteillage d'Haïti gagne son profit en ne payant pas ce qui est dû aux ouvriers», assure Didier Dominique, porte-parole à Batay Ouvriye, joint à Port-au-Prince.

Roger Jaar dément : «Comment pourrait-on payer en dessous du salaire minimum ? Il est de trois dollars par jour ! On paye largement au-dessus.»

3,5 M$ Investissement dans l'achat d'une nouvelle salle de brassage complètement automatisée à l'usine de la rue de la Roche, sur le Plateau-Mont-Royal, à Montréal | Source : Brasseurs RJ

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