Bye Bye l'Asie, bon retour au Québec !


Édition du 05 Mai 2018

Bye Bye l'Asie, bon retour au Québec !


Édition du 05 Mai 2018

Par François Normand

Le fabricant de produits électroniques M2S Électronique n'a jamais regretté une seconde d'avoir rapatrié une partie de sa production de la Chine au Québec. « On peut offrir aux clients les mêmes coûts et les mêmes engagements », affirme le patron de la PME de Québec, Mario Marcotte. Comment ? En misant sur l'automatisation et en considérant les « vrais coûts » des importations en provenance de pays émergents.

Les vrais coûts ou les coûts globaux de fabriquer en Asie sont nombreux. Ils incluent la qualification des fournisseurs asiatiques (visites, audits), les coûts de transport, les délais de livraison, la réparation et la mise à niveau des produits non conformes, le retour des marchandises, les arrêts de la ligne de production au Québec et les coûts de gestion des stocks.

« Des clients pourraient payer de 25 % à 35 % plus cher certains produits fabriqués au Québec et on serait encore compétitif, si on tient compte de tous les coûts globaux », affirme Mario Marcotte. C'est pourquoi la PME rapatrie de plus en plus sa production au Québec.

Les contrats très intensifs en main-d'oeuvre sont toujours réalisés en Chine, mais ils sont en déclin, confie l'entrepreneur. « En 2002, 10 % de nos ventes étaient faites à partir de produits électroniques fabriqués en Chine. Aujourd'hui, c'est seulement de 4 % à 5 % », dit-il, en précisant que cela a créé au fil des années de nouveaux emplois à son usine de Québec.

Louis J. Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte, veut multiplier les cas comme M2S Électronique afin que les entreprises manufacturières du Québec fabriquent de plus en plus de produits ici plutôt que dans les pays à faible coût de production. Pareille pratique pourrait aider, dit-il, à diminuer le déficit de la balance commerciale des produits manufacturiers québécois (en diminuant les importations tout en augmentant les exportations), actuellement à 5 milliards de dollars, selon l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

« Si on fabrique davantage au Québec, c'est du reshoring ; on rapatrie des emplois », explique Louis J. Duhamel. Mais attention, pas dans une optique de protectionnisme, mais pour créer de la valeur ajoutée et des postes, pour stimuler l'investissement et exporter davantage.

Deloitte et E&B Data, une firme montréalaise d'études économiques, viennent d'ailleurs de publier une vaste étude documentée qui révèle un « gisement » potentiel de 9 G$ de substitution d'importations manufacturières. Ce potentiel représente la production additionnelle qui serait faite au Québec et qui s'ajouterait au PIB québécois. C'est donc un potentiel énorme ! Cela équivaut aux exportations combinées du Québec dans cinq pays en 2017, soit la Chine, le Mexique, la France, le Japon et l'Allemagne, selon les données de l'ISQ, analysées par Les Affaires.

Ce potentiel pourrait également représenter la création de 40 000 emplois (25 000 directs et 15 000 indirects) et générer des investissements de 12 G$ en immobilisations, selon l'étude réalisée pour le compte d'Investissement Québec (IQ) et du ministère de l'Économie, de la Science et de l'Innovation (MESI), dans le cadre de la stratégie pour relancer l'économie grâce au secteur manufacturier innovant (c'est-à-dire qui utilise les technologies numériques pour améliorer son efficacité).

Selon l'étude, trois facteurs militent en faveur de la substitution : le savoir-faire industriel québécois, la croissance des importations en Amérique du Nord (la consommation augmente ; il faut capturer cette croissance), le volume élevé d'importations d'outre-mer.

Cette idée de substitution des importations manufacturières au Québec ne date pas d'hier. Elle couve en fait depuis deux ans dans les milieux politiques et manufacturiers, selon Sylvie Pinsonnault, vice-présidente, Initiatives stratégiques et conseil au comité de direction chez IQ. Tout comme le patron de M2S, elle estime que les entreprises québécoises y penseraient à deux fois avant de faire fabriquer des produits dans les pays à faibles coûts de production si elles avaient une perspective plus juste de ces coûts. « Il y a beaucoup de coûts oubliés », déplore-t-elle.

IQ, le MESI, Sous-traitance industrielle Québec (STIQ) et Suzanne Blanchet, ambassadrice de l'Initiative industrielle Investissement Québec (qui a travaillé pendant plus de 30 ans chez Cascades) prendront bientôt leur bâton de pèlerinage et tenteront de sensibiliser les principaux donneurs d'ordres au Québec sur la situation.

Du bois et des blindés

Jean Matuszewski, économiste principal chez E&B Data, donne en exemple deux occasions concrètes de substitution aux importations parmi les 40 qui sont répertoriées.

La première se trouve dans le secteur du bois d'ingénierie. Ce sont des produits qui ont des applications structurelles pour construire, par exemple, des bâtiments de plusieurs étages avec une structure portante en bois. « Le bois d'ingénierie pourrait devenir une substitution à l'importation de poutres en acier », fait remarquer M. Matuszewski. Le Québec compte déjà près d'une trentaine d'entreprises manufacturières de bois d'ingénierie, qui sont concentrées dans Chaudière-Appalaches, le Centre-du-Québec et le Bas-Saint-Laurent.

La deuxième occasion de substitution se trouve dans le secteur des véhicules automobiles à usages spéciaux. Il s'agit de véhicules qui ont un usage autre que le transport traditionnel de personnes. Le Québec compte 37 fabricants de véhicules spéciaux tels que Bombardier Produit récréatifs (BRP). Ces entreprises sont surtout localisées en Montérégie, dans Lanaudière, en Chaudière-Appalaches et en Estrie. Selon l'économiste, une multinationale comme Garda, la société québécoise spécialisée dans la sécurité, achète une partie de ses véhicules auprès de Groupe Cambli, un fabricant de véhicules blindés de Saint-Jean-sur-Richelieu, mais le Québec importe encore des véhicules spéciaux, selon l'étude.

Un « gisement » qui fait fi de la pénurie de main d'oeuvre

Le gisement de 9 G$ en substitution des importations manufacturières est bien entendu théorique. Car, en pratique, le potentiel réaliste et réalisable est moins élevé, admettent les auteurs de l'étude. « On pourrait parler de quelques milliards de dollars réalisables », estime avec prudence Louis J. Duhamel. « Il y a un minimum d'un milliard de dollars réalisable sur cinq ans », affirme pour sa part sans hésiter Jean Matuszewski. Selon lui, ce milliard représente l'équivalent d'agrandir ou de construire 20 usines par année (dotées de revenus de 10 millions de dollars par année et employant une trentaine de personnes) sur une période cinq ans.

Trois raisons de produire ici plutôt que d’importer

1. Savoir- faire industriel québécois

Dans les filières où une expertise existe déjà, il est possible d’amorcer ou de réamorcer la fabrication locale, voire de l’accélérer. L’effort et les investissements nécessaires pour adapter la chaine de production sont moins importants.

2. Croissance de la consommation en Amérique du Nord

La consommation augmente. En produisant localement, il devient possible de capturer cette croissance, plutôt qu’elle ne se traduise en une hausse des importations.

3. Volume élevé d’importations d’outre- mer

Les importations (particulièrement celles hors Amérique du Nord) creusent la balance commerciale du Québec. La production locale limite ces importations et a tendance à présenter des occasions d’exportation.

Source : Deloitte et ses sociétés affiliées. / E&B DATA

L'économiste admet qu'il y a cependant des obstacles importants à la substitution des importations. Au premier chef, la pénurie de main-d'oeuvre. L'étude ne tient pas compte de ce paramètre capital, alors que la majorité des entreprises manufacturières du Québec pâtissent d'une pénurie de main-d'oeuvre. « La disponibilité de la main-d'oeuvre qualifiée n'a pas été explicitement considérée [...] Ce facteur sera évidemment à explorer davantage dans les étapes suivantes », peut-on lire dans le document.

Appelée à commenter l'étude, la présidente de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx, affirme que le potentiel de substitution aux importations est une « piste intéressante » afin de stimuler le secteur manufacturier. Elle s'étonne cependant que les auteurs n'aient pas tenu compte de la pénurie de main-d'oeuvre, une pénurie qui fait en sorte que certaines entreprises manufacturières en sont rendues à refuser des contrats faute de bras. « Il faut en tenir compte si on veut substituer des importations manufacturières ; c'est essentiel pour relever le défi de cette stratégie », insiste Mme Proulx.

Deux exemples de substitution réussie

Malgré tout, d'autres cas similaires à M2S montrent qu'il est possible de fabriquer des produits manufacturiers au Québec plutôt qu'en Asie.

Gentec, une entreprise de Québec qui conçoit et fabrique des équipements électriques et électroniques, en est un bel exemple. Ses principaux clients sont des sociétés d'État comme Hydro-Québec, Manitoba Hydro ou SaskPower.

Ces dernières années, elle a réussi à convaincre des entreprises québécoises de faire affaire avec elle au lieu de sous-traitants asiatiques. « Les coûts montent en Asie et baissent au Québec. On est rendu au point de bascule, où c'est à peu près équivalent si l'on tient compte de tous les coûts », affirme son président, François Giroux.

Cette substitution des importations a permis à la PME d'augmenter ses revenus. « Cela a dû rajouter facilement 15 % sur notre chiffre d'affaires depuis deux ans », estime-t-il.

Selon lui, plusieurs de ses clients nourrissaient des « frustrations » liées à la production en Asie. La communication avec des sous-traitants asiatiques était déficiente. La qualité n'était pas toujours au rendez-vous. Des clients devaient accumuler des stocks au Québec. De plus, les coûts facturés par les sous-traitants asiatiques avaient tendance à augmenter.

La clé pour tenter de convaincre des clients québécois, c'est de s'asseoir avec eux et de « mettre les structures de coûts sur la table », dit François Giroux. Et il faut absolument tenir compte de tous les coûts, au premier chef celui de la non-qualité. C'est ainsi que Gentec a réussi à convaincre DimOnOff, une autre entreprise de Québec, de lui confier la production de modules de contrôle intelligent plutôt que de les faire fabriquer à Taïwan.

« Le problème, c'est que le cycle de production était trop long, explique François Têtu, président de DimOnOff, un fournisseur de solutions pour éclairage intelligent dans de grandes villes nord-américaines, dont Montréal.

Confier la production à Gentec a légèrement fait augmenter les coûts de DimOnOff. Mais la PME a quand même gagné au change, confie l'entrepreneur. « Il a fallu s'ajuster sur le prix. En fin de compte, l'entreprise a gagné en flexibilité et en souplesse. »

De plus, s'il y a un problème dans la production de module, les représentants Gentec peuvent aller rapidement rencontrer les représentants de DimOnOff ou vice-versa. À Québec, les deux entreprises sont à moins de trois kilomètres de distance en voiture. « Le temps de réaction est très rapide. Quand on avait un problème de qualité à Taïwan, ça pouvait prendre de une à deux semaines ! » souligne François Têtu.

Contrairement à Gentec, DimOnOff n'est pas en mesure d'affirmer avec certitude si le rapatriement de sa production de Taïwan à Québec lui a permis d'accroître son chiffre d'affaires. « Je ne sais pas si on a gagné plus de contrats, mais chose certaine, ça nous a permis de ne pas en perdre », dit-il. Surtout, la PME peut répondre plus rapidement aux besoins de ses clients, car sa chaîne logistique est pratiquement en juste-à-temps.

La réindustrialisation, un long processus

Les cas de M2S, Gentec et DimOnOff montrent qu'il est possible de faire de la substitution d'importations manufacturières au Québec. Quant au potentiel vraiment réalisable, c'est l'avenir qui nous le dira. On peut cependant déjà anticiper que le processus sera long et difficile. Car, pour y arriver à grande échelle, il faut absolument que les entreprises québécoises soient beaucoup plus compétitives, insiste Véronique Proulx, de MEQ. « En moyenne, nos entreprises investissent huit fois moins qu'aux États-Unis, dit-elle. De plus, elles ont un retard de productivité. »

L'amélioration de la productivité passera par une plus grande automatisation, disent de leur côté les entreprises qui ont déjà décidé de fabriquer ou de s'approvisionner localement. « Plus j'automatise mes procédés, plus je suis concurrentiel », souligne Mario Marcotte, de M2S.

Selon Sylvie Pinsonnault, d'IQ, l'occasion est belle de faire d'une pierre deux coups en accélérant l'automatisation du secteur manufacturier : « le Québec compte plusieurs entreprises spécialisées dans la robotisation des procédés ».

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