Anticosti: vaincre les peurs et l'idéologie par la transparence


Édition du 07 Juin 2014

Anticosti: vaincre les peurs et l'idéologie par la transparence


Édition du 07 Juin 2014

Après avoir accusé le gouvernement Marois de jouer à «Loto-pétrole» avec l'argent des Québécois, Philippe Couillard vient d'autoriser son gouvernement à aller voir s'il y a un potentiel pétrolier à l'île d'Anticosti. Il a raison, mais ne rêvons pas en couleur.

Cette décision fait partie du plan d'action du gouvernement à l'égard du développement de la filière des hydrocarbures au Québec. Ce plan est multidimensionnel : il comprend tant les projets d'oléoducs d'Enbridge et de TransCanada et l'exploration éventuelle de la structure gazière Old Harry dans le golfe du Saint-Laurent que le cadre réglementaire requis pour ces développements.

Québec a autorisé Ressources Québec (intérêt de 35 % dans le projet) et ses partenaires privés, Pétrolia, Corridor Resources et le groupe français Maurel et Prom (intérêt de 21,7 % chacun), à faire cet été environ 15 sondages stratigraphiques à l'île d'Anticosti. Ces sondages, qui coûteront de 40 à 45 millions de dollars, permettront de sortir des carottes de roche d'environ trois pouces de diamètre, sur lesquelles on analysera la composition, la porosité et l'épaisseur des formations géologiques rencontrées.

Ce n'est qu'à la suite de ces analyses qu'on décidera où se feront les trois forages pétroliers prévus à l'été 2015. Selon les résultats des sondages menés cet été, Maurel et Prom pourrait se retirer du projet, ce qui forcerait les autres partenaires à payer la facture afin de poursuivre l'aventure. Ressources Québec accroîtrait alors sa participation à 50 % et celle de Pétrolia et de Corridor monterait de 25 % chacune. Ces forages, qui devront être autorisés par Québec, se feront par fracturation hydraulique. Ils pourraient coûter de 55 M$ à 60 M$, ce qui indique le coût du programme d'exploration qu'il faudra mener pour bien évaluer le potentiel d'Anticosti.

Des centaines de millions à investir

Selon le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles Pierre Arcand, il faudra peut-être de 10 000 à 30 000 forages pour connaître le véritable potentiel pétrolier d'Anticosti. Cela prendra plusieurs années et coûtera une fortune, que l'État n'a pas la capacité d'absorber. Il faudra plutôt avoir accès aux immenses capitaux des grandes multinationales du pétrole, si jamais on parvient à les intéresser. Shell a déjà réalisé sans succès plusieurs forages d'exploration conventionnels à Anticosti, après quoi elle a abandonné ses permis. Récupérés par Hydro-Québec qui a, elle aussi, fait des forages, ces permis ont ensuite été cédés à Pétrolia, transaction que Daniel Breton avait qualifiée de «vol du siècle».

Nous sommes très loin des milliards de barils et de dollars de revenus dont se sont gargarisés ces dernières années des promoteurs pour faire monter le prix de leurs actions et des ex-ministres péquistes pour faire rêver les Québécois. Heureusement que le ridicule ne tue pas !

Alors que les opposants à l'exploration des hydrocarbures ont surtout utilisé les risques de contamination de la nappe phréatique de la vallée du Saint-Laurent pour s'opposer à l'industrie, ils se serviront cette fois des risques pour la faune et l'eau des rivières de l'île d'Anticosti pour combattre le projet gouvernemental.

Information et transparence

Il y a certes des risques associés à cette activité, mais ceux-ci peuvent être grandement limités par des mesures d'atténuation appropriées. Fort des connaissances acquises par l'industrie aux États-Unis et en Alberta, on pourra utiliser les meilleures techniques d'exploration et, éventuellement, d'exploitation employées à ce jour.

Toutefois, on n'arrivera à rassurer les citoyens que par une information adéquate sur les technologies utilisées, les connaissances scientifiques acquises pendant les phases exploratoires, les risques encourus et les mesures de protection de l'eau potable et de contrôle des risques relatifs au transport. Bien entendu, il faudra aussi, avant d'autoriser les forages de l'été 2015, que le projet ait fait l'objet d'une évaluation stratégique qui aura confirmé sa pertinence sur les plans économique et environnemental. Quant aux partenaires privés, ils devront épauler l'État dans le travail de consultation des citoyens et la dissémination de l'information relative aux enjeux en cause. La transparence devra primer.

On sait déjà que les militants écologistes ne changeront jamais d'idée, mais ce n'est pas une raison pour obtempérer face à leur rhétorique. Au bout du compte, et s'ils ont été bien informés sur tous les aspects du projet, ce sont les citoyens qui jugeront si celui-ci est acceptable.

Compte tenu de ses immenses besoins financiers, le gouvernement du Québec doit s'assurer de tirer le meilleur parti possible des différents projets de la filière des hydrocarbures que ses attributs géologiques et sa situation géographique lui permettent d'envisager.

Il faut s'intéresser au potentiel pétrolier d'Anticosti, mais sans y prendre de risques indus.

Précision
Une erreur s'est glissée dans ma chronique de la semaine dernière. David Angus et le Dr Arthur Porter n'ont pas siégé en même temps au conseil d'administration d'Air Canada. David Angus l'avait quitté quand le Dr Porter y est entré.

 

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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