L'odeur de l'argent

Publié le 28/12/2009 à 10:06

L'odeur de l'argent

Publié le 28/12/2009 à 10:06

Sept millions. Les porcheries québécoises produisent chaque année autant de porcs qu'il y a de résidents dans la province. Pourquoi ne pas utiliser leur lisier comme source d'énergie ? C'est ce qui se fait ailleurs dans le monde.

En reprenant la ferme porcine familiale de Saint-Odilon, en Beauce, Ali St-Hilaire ne se doutait aucunement qu'il se transformerait un jour en producteur d'énergie. Et pourtant... Depuis cinq ans, c'est bien ce qu'il est. Et la ressource naturelle utilisée est pour le moins originale : le lisier des 12 000 porcs qu'il produit chaque année !

" Étrangement, toute cette histoire a commencé par un désir qui n'avait rien à voir avec l'énergie. Nous voulions simplement réduire les odeurs qui émanaient du lisier ", confie le principal intéressé. C'était au début de la décennie. La solution qui leur est alors proposée est un processus de décomposition de la matière organique par des micro-organismes qui s'activent dans un milieu sans oxygène. Non seulement la digestion anaérobie (méthanisation) offre l'avantage " d'anéantir presque totalement les odeurs ", mais elle permet aussi de recueillir du biogaz. Une pierre, deux coups.

Les résultats énergétiques ne sont pas négligeables. Les bioréacteurs utilisés pour la digestion anaérobie - généralement greffés aux installations porcines - permettent de produire environ 37 m³ de biogaz par mètre cube de lisier, soit l'équivalent de 200 kilowattheures par mètre cube de lisier traité. Plus de biogaz qu'il n'en faut pour assurer le chauffage de la maternité en hiver, admet Ali St-Hilaire, ce qui permet de mettre aux oubliettes le mazout jusqu'alors utilisé. " Il serait possible de chauffer plusieurs autres bâtiments si nous avions un système pour acheminer l'énergie. Mais pour l'instant, un tel système de distribution serait trop coûteux ", confie le producteur.

Au-delà des avantages énergétiques, ce procédé permet de réduire la quantité de phosphore contenue dans le lisier. Un facteur des plus intéressants depuis qu'une nouvelle réglementation sur les émissions de phosphore a été adoptée en 2002, rappelle Ali St-Hilaire. Celle-ci pousse les producteurs à trouver des solutions de rechange à l'épandage de lisier non traité. " Ce qui est aussi avantageux, parce que les engrais chimiques sont de moins en moins abordables ; ils coûtent maintenant près de 1 000 dollars la tonne ", dit-il.

La ferme St-Hilaire pourrait aisément produire davantage d'énergie si elle appliquait le procédé à l'ensemble de ses activités. Car la famille possède également des fermes laitières : plus de 400 vaches en lactation et autant de génisses de remplacement et de vaches taries. Pourquoi ne pas le faire ? " C'est un système extrêmement coûteux ", explique Ali St-Hilaire, sans toutefois en préciser le coût. Il ajoute alors : " Si nous pouvions rentabiliser le tout en distribuant de l'énergie à la collectivité ou en vendant notre surplus à Hydro-Québec, il y aurait peut-être moyen de rentabiliser no-tre investissement. "

En effet, l'avenue serait prometteuse si ce " n'était de la situation énergétique propre au Québec ", souligne Marc Trudel, conseiller en agroenvironnement à la Fédération des producteurs de porcs du Québec. La place prédominante de l'hydroélectricité dans le monde énergétique québécois fait baisser les prix de l'électricité. " Pour l'instant, il n'est donc vraiment pas profitable pour un producteur de vendre sa surproduction à Hydro-Québec ", indique-t-il, rappelant qu'ici, le kilowatt vaut près de sept cents, alors qu'en Europe, sa valeur oscille plutôt entre 20 et 25 cents.

" Les fermes qui produisent des biogaz pourraient générer des surplus si cette forme d'énergie était davantage valorisée et rentable. Pour le moment, comme elles n'ont pas besoin de chauffage l'été, les agriculteurs n'ont pas d'autre choix que de brûler les biogaz " que leurs fermes emmagasinent, rappelle-t-il.

Résultat : la digestion anaérobie est une pratique plutôt marginale dans la province. Quasi inexistante même. " À peine trois fermes utilisent ce procédé ", souligne le conseiller, précisant que la plus récente initiative, celle de Saint-Hyacinthe, sert aussi à l'expérimentation. " Le lisier produit davantage de biogaz lorsqu'il est mélangé à des substances grasses " comme de l'huile de cuisson et d'autres résidus de restaurants. Des avenues aujourd'hui explorées. Ces techniques permettraient de valoriser non seulement les résidus organiques d'animaux, mais aussi les déchets de restaurants, par exemple.

Une voie qui, selon certains observateurs, pourrait contribuer à briser la dépendance du Québec aux hydrocarbures, des ressources importées à 100 % qui représentent la moitié de la consommation énergétique de la province. D'ailleurs, 2,8 % de la consommation québécoise de produits pétroliers énergétiques sont destinés au secteur agricole. Pour les agriculteurs québécois, les coûts énergétiques liés à l'utilisation du diesel, de l'essence, du mazout et du propane peuvent dépasser de plus de 11,2 % les frais totaux dans le cas de fermes de grandes cultures, précise un récent rapport d'Équiterre (www.equiterre.org/societe.php).

Pendant que les projets québécois de biométhanisation restent embryonnaires, ils gagnent en popularité ailleurs dans le monde. Des projets de grande ampleur, il y en a, par exemple, au sud du 45 e parallèle. Depuis près de 25 ans, le comté de King, dans l'État de Washington, assure le chauffage de 16 500 habitations grâce au biogaz issu des résidus organiques et de différents types de déchets traités dans ses deux usines de Renton et West Point. " La technologie permet de produire de nouvelles ressources à partir de ce qui a été considéré comme des déchets jusqu'à tout récemment ", explique Annie Kolb-Nelson, porte-parole du comté de King dans l'État de Washington. D'ailleurs, il se pourrait bien que les déchets de table soient éventuellement incorporés au processus afin d'optimiser la production.

L'Union européenne, elle, pousse encore plus loin. En 2006, la Commission européenne a mis sur pied le projet Biogasmax afin de contrer les problèmes urbains associés à la pollution de l'air et de l'eau, et à la gestion des déchets. Sa mission : valoriser les initiatives de grandes villes et inciter à produire davantage de biogaz, et cela, non seulement à partir de matières organiques, mais également à partir des déchets organiques provenant des restaurants, des municipalités et des eaux usées. Les premières expériences ont eu lieu en France, en Suisse, en Italie et en Pologne.

Les Pays-Bas, pour leur part, ont récemment ouvert la première centrale électrique à biomasse d'Europe alimentée à la fiente de poulet. Afin d'atteindre une puissance de 36,5 MW, la centrale de Moerdijk, dans le sud du pays, récupère annuellement quelque 440 000 tonnes de fiente auprès de 630 exploitations. La production électrique annuelle devrait dépasser 270 millions de kilowattheures ! Les exemples de ce genre sont aujourd'hui nombreux. L'an dernier, la Chine a inauguré elle aussi sa première centrale qui récupère les déchets de poulets.

L'idée de transformer de la matière organique en carburant n'est pas nouvelle. Les premières recherches datent des années 1970. Cependant, l'idée de développer un marché à partir de déjections animales et de résidus organiques de toutes sortes gagne du terrain. À la mi-novembre, le gouvernement du Québec a annoncé la mise en place d'un programme qui devrait favoriser la biométhanisation. " Il n'y a rien de loufoque dans ce projet, lance le producteur Ali St-Hilaire. Nous pourrions récupérer des résidus d'autres entreprises. Nous réduirions le taux de phosphore du lisier, nous achèterions moins d'engrais et nous pourrions chauffer nos bâtiments et vendre de l'énergie à nos collectivités, par exemple. Et en plus, ce serait de l'énergie d'ici. Le meilleur des mondes, quoi ! "

 

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