«Target a manqué de patience» - Jacques Nantel

Publié le 15/01/2015 à 16:55, mis à jour le 15/01/2015 à 21:32

«Target a manqué de patience» - Jacques Nantel

Publié le 15/01/2015 à 16:55, mis à jour le 15/01/2015 à 21:32

Par Denis Lalonde

(Photo: Bloomberg)

La décision du détaillant Target de se retirer du marché canadien a créé la surprise chez certains spécialistes du commerce de détail, alors que d’autres avaient prévu le coup. 

«Oui, c’est une surprise. Target avait son lot de difficultés au Canada. Toutefois, la situation n’était pas si différente de celle de Wal-Mart lorsque la société était arrivée au Canada au début des années ‘90», raconte le professeur titulaire au département de marketing de HEC Montréal, Jacques Nantel.

Ce dernier estime que Target a manqué de patience, entre autres parce qu’elle éprouve des problèmes sur le marché américain. «Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne vois pas d’erreur majeure sur la feuille de route du détaillant. Quand on ouvre 133 magasins, c’est clair qu’il faut du temps avant que l’opération soit rentable», estime M. Nantel.

Le professeur concède que la société avait des problèmes de chaîne d’approvisionnement, tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’une situation anormale lorsqu’une société de la taille de Target décide de s’implanter dans un nouveau marché.

À son avis, les propriétaires des établissements de Target au Canada, comme RioCan et Cominar, vont subir les contrecoups de cette décision. «Chaque magasin possède une taille de 80 000 à 100 000 pieds carrés. Trouver de nouveaux locataires pour tous ces espaces sera une tâche colossale», dit-il.

M. Nantel soutient que certains établissements pourraient servir d’entrepôts ou de centres de distribution pour tous les produits achetés en ligne.

«Je suis aussi surpris de la décision de Target de quitter le Canada. Bien sûr, il y avait plusieurs indicateurs à l’effet que la situation du détaillant au Canada était difficile. C’était le cas depuis l'ouverture des premiers magasins au pays en mars 2013. C’est une surprise parce que l’entreprise a investi plus de 4 milliards de dollars dans l’aventure. Je croyais que la direction allait vouloir continuer de trouver des solutions à ses problèmes, surtout qu’il s’agissait de sa première expansion à l’extérieur des États-Unis», a affirmé Nasos Makriyiannis, associé directeur chez Komand Consulting et professeur à la John Molson School of Business de l’Université Concordia. 

M. Makriyiannis explique que les consommateurs des États-Unis et du Canada ne sont pas si différents. Il soutient que la principale erreur de Target est de ne pas avoir pris le temps de bien se renseigner sur les attentes des consommateurs canadiens: «Avec les mégadonnées (Big Data), plus rien n’empêche les entreprises de bien connaître les marchés dans lesquels elles désirent s’implanter. Par la suite, bien sûr, elles doivent s’assurer de répondre aux besoins qui auront été identifiés», dit-il, ajoutant que les problèmes d’approvisionnement du détaillant n’ont jamais été résolus.

Un site web dépassé

Pour Stéphane Ricoul, fondateur du salon eCom MTL, spécialisé en commerce électronique, il est clair que le site Internet de Target n’était pas à la hauteur, sans oublier qu’il n’était pas transactionnel. «Ce n’est pas le principal facteur qui explique l’échec de l’entreprise au Canada, mais ça fait partie de l’équation. Le site créait beaucoup de frustrations. D’une part, les produits qu’on y trouvait n’étaient pas toujours disponibles en magasins. D’autre part, il était impossible de les acheter en ligne», affirme-t-il.

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M. Ricoul précise que l’entreprise a investi beaucoup du côté du marketing, mais a négligé sa chaîne d’approvisionnement, ce qui fait qu’en bout de ligne, elle offrait une mauvaise expérience-client.

«Aujourd’hui, tous les détaillants, petits ou grands, doivent être présents là où se trouvent les consommateurs. Même s’ils n’achètent pas en ligne, ils vont y magasiner avant de se rendre en magasin. Si le site Internet n’est pas à la hauteur et s’il n’est pas transactionnel, l’entreprise se retrouve avec deux prises contre elle dès le départ», ajoute le président-directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), Léopold Turgeon. 

Pas de place pour Target au Canada?

À l’inverse de Jacques Nantel, le professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM Benoit Duguay n’est pas surpris que Target décide de se retirer du marché canadien. «J’ai été surpris lorsque l’entreprise a annoncé sa venue au pays. À mon avis, il n’y avait pas de place pour un nouveau joueur dans le marché canadien du commerce de détail et l’arrivée de Target allait forcément faire mal à des joueurs dans l’industrie, comme Sears Canada qui était alors très vulnérable. Finalement, même si Sears est toujours dans une situation précaire, le départ de Target pourrait lui donner un peu d’oxygène, comme à tous les autres détaillants», raconte-t-il.

M. Duguay estime que Target n’a jamais été en mesure de se différencier des autres grands détaillants canadiens, comme Wal-Mart: «Ce qu’on entendait à propos de Target, c’est que les magasins étaient des ‘Wal-Mart peinturés en rouge’. On ne détrône pas un détaillant implanté au pays depuis plus de 20 ans de cette manière», dit-il.

Le professeur de l’ESG UQÀM rappelle que la décision de venir au Canada était financière, car Target pouvait alors racheter à rabais les magasins laissés vacants par la fermeture de la chaîne Zellers. «Aujourd’hui, le retrait est encore une décision financière, puisque les dirigeants estiment qu’il sera plus rentable d’investir aux É-U plutôt qu’au Canada. Target n’était pas obligée de quitter le pays, mais la pression des actionnaires était devenue très forte», ajoute-t-il. 

Léopold Turgeon rappelle que le détaillant était attendu de pied ferme par la concurrence, ayant annoncé son arrivée au pays deux ans avant l’ouverture de son premier établissement. «Dans un marché à maturité, ils ont mis trop de temps avant de s’ajuster sur les prix. Les concurrents ont eu amplement de temps pour rénover leurs magasins et ajuster leur stratégie de prix», dit-il.

À son avis, le retrait de Target va profiter aux autres grands détaillants, mais aussi aux commerces indépendants. «En 2013, l’industrie du commerce de détail au Québec valait 105 milliards de dollars. En 2014, on se dirige vers un chiffre de 107 milliards de dollars. La taille de la tarte reste pratiquement la même», dit-il.

Il croit que la portion de Target sera simplement redistribuée à d’autres détaillants.

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