Industrie textile: À un fil de renaître


Édition du 09 Novembre 2013

Industrie textile: À un fil de renaître


Édition du 09 Novembre 2013

Par Matthieu Charest

Groupe CSR exploite à Saint-Romain une des rares manufactures textiles qui ont survécu à la délocalisation. Photo: Matthieu Charest

Quelques marques québécoises font fabriquer fièrement leurs vêtements ici même, au Québec. Mais, avis à ceux qui voudraient leur emboîter le pas. Le tissu industriel s'est effiloché et, pour le rapiécer, on manque cruellement de couturières. Il faut se lever tôt pour trouver un fabricant capable de vous ajouter à son horaire de production, comme l'a constaté Les Affaires.

Pas besoin de chercher bien loin pour s'en rendre compte : les garde-robes des Québécois pullulent d'articles «fabriqué en Chine». Jadis un fleuron de notre économie, la production de vêtements a connu un exode massif vers l'Asie. Avec la multiplication des accords de libre-échange, les quotas d'achats locaux sont éliminés, à l'instar des tarifs douaniers. Pourtant, la demande de produits locaux est en plein essor. C'est l'offre qui peine à se relever. Dans ce secteur, l'industrie manufacturière est exsangue. Les occasions d'affaires abondent... mais elles sont encore largement ratées.

Les quelques manufactures qui ont survécu à la délocalisation, vers la Chine notamment, sont clairsemées sur le territoire québécois. C'est une denrée rare, et les entrepreneurs se les arrachent.

Les fabricants derrière l'étiquette sont un secret farouchement gardé par leurs clients. «Les donneurs d'ordres ne veulent pas que ça sorte, avoue Serge Carrier, professeur à l'École supérieure de mode de Montréal de l'UQAM, il y a toujours la crainte que les concurrents y aillent aussi. La perle rare qu'ils ont découverte, ils ne veulent pas la perdre.» D'autant que les vêtements produits localement font la fierté des distributeurs et des commerçants.

Fig Clothing est l'une de ces entreprises qui misent sur une facture totalement canadienne. Les collections sont dessinées depuis ses bureaux du Mile-End, et la confection est confiée à des sous-traitants près de chez nous. Une stratégie de distribution qui s'appuie sur l'efficacité. Un appel suffit pour ajuster la quantité des articles produits qui font fureur, et vice versa. À l'étranger, le moindre changement peut entraîner des mois de délais. Une éternité dans le milieu de la mode.

En contrepartie, la flexibilité coûte cher. «On doublerait nos marges si on produisait en Chine, mais ça ne serait pas rentable à long terme. Fig ne serait pas Fig. Nous voulons encourager l'économie locale», explique Yan Bariteau, président de la PME montréalaise.

Toutefois, pas question de nommer les fournisseurs qui composent sa chaîne d'approvisionnement. «C'est compliqué de trouver des manufactures à Montréal», martèle Yan Bariteau. Il nous confie tout au plus que son entreprise entretient des relations avec cinq manufactures. Quatre d'entre elles sont situées au Québec, l'autre, en Ontario.

La clé, c'est la détermination

Un culte du secret qui n'étonne pas Serge Carrier. «C'est une industrie qui a toujours trempé dans la confidentialité, souligne le professeur à l'École supérieure de mode. Les entrepreneurs se bâtissent un réseau de contacts, c'est toujours comme ça que ça fonctionne. Par exemple, certains d'entre eux n'en connaissent qu'une dizaine.»

Ils sont d'autant plus difficiles à débusquer «qu'il n'y a plus d'associations, comme les Gens de la couture pour représenter les fournisseurs», souligne M. Carrier. Il y a bien les Manufacturiers et exportateurs du Québec, mais lorsque Les Affaires a tenté de les approcher, ils nous ont rapidement redirigé vers Vêtements Québec. «Nous ne sommes pas très bien placés pour parler de ce sujet», nous a-t-on expliqué.

C'est dire que, pour une marque de prêt-à-porter qui voudrait parier sur une fabrication québécoise, la clé repose sur la détermination de ses dirigeants. Pour percer l'omerta, il faut prendre contact avec des gens de l'industrie, entretenir des relations et s'engager dans des recherches sur le Web et auprès d'organisations connexes, comme les chambres de commerce.

Du côté de Vêtements Québec, dont le site Web annonce pourtant qu'il s'agit de «l'association la plus crédible et représentative de l'industrie de la mode dédiée à rendre les entreprises globalement plus compétitives», nous sommes redirigés vers l'association mère, la Fédération canadienne du vêtement, à Ottawa, puisqu'ils «ne peuvent pas répondre à ces questions».

La troisième tentative était la bonne. D'entrée de jeu, le directeur général de la Fédération confirme la hausse de la demande de produits locaux. «Les consommateurs canadiens, et les Québécois en particulier, veulent acheter des vêtements fabriqués ici. Ils sont même prêts à payer 5 ou 10 % de plus pour se les procurer. Mais produire au Bangladesh plutôt qu'au Canada, ça coûte deux fois moins cher...»

Dénicher l'aiguille

«Depuis quelques années, il y a de moins en moins d'associations», se désole Jean-Luc Fortin, président du Groupe CSR, propriétaire d'une manufacture dans la petite municipalité de Saint-Romain. Du même souffle, il dénonce la culture du silence qui plombe sa notoriété. «C'est sûr que, plus on en parle, mieux c'est pour nous. Nous camoufler revient à cacher notre potentiel.»

Pourtant, lors de notre première prise de contact au téléphone, la première réaction de M. Fortin est lapidaire. «Mais comment avez-vous trouvé mon numéro de téléphone ?» Plus tard, lorsque Les Affaires le rencontre dans ses bureaux, il explique que sa réaction est due à une mauvaise expérience avec la presse... Il ne tente pas de préserver sa confidentialité, tant s'en faut.

«En général, je ne signe pas d'ententes de confidentialité avec les donneurs d'ordres, affirme l'entrepreneur. La discrétion ne s'applique qu'à certaines commandes à haute valeur ajoutée, puisque nous devons alors protéger de nouvelles technologies en développement.»

Pour Jean-Luc Fortin, le silence entretenu par ses clients n'est pas une tentative d'éloigner la concurrence, c'est plutôt «parce qu'ils veulent protéger leur stratégie de mise en marché», pense-t-il.

Pour se mettre en valeur, il mise sur un site Internet où se retrouvent son numéro de téléphone ainsi que les indications détaillées qui mènent à son atelier, implanté aux confins des régions de l'Estrie et de Chaudière-Appalaches. Mais au-delà de la recherche sur le Web, le président du Groupe CSR compte sur son expérience pour accroître sa notoriété.

«Les clients potentiels me trouvent par des contacts dans certains ministères et par des anciens de l'industrie. Ça fait depuis 1972 que je suis dans le métier, précise-t-il. Avec 40 ans d'expérience, on me connaît par le bouche à oreille.»

Une industrie de survivants

Une expérience de plusieurs décennies qui a bien failli se terminer abruptement. «Il y a une dizaine d'années, j'avais 400 employés répartis dans sept manufactures, raconte l'entrepreneur. Aujourd'hui, j'ai une usine qui fonctionne avec une trentaine d'employés. Nous avons connu des turbulences, j'ai réussi à m'en sortir, mais non sans peine. Nous sommes des survivants.»

Cette histoire, c'est le reflet du sort qu'a connu l'industrie de la fabrication de vêtements. Entre 2001 et 2010, le nombre d'employés a chuté au rythme de 14,6 % par année, selon les données de Statistique Canada.

«Nous avons perdu environ 75 000 emplois depuis 10 ans», observe Bob Kirke, directeur de la Fédération canadienne du vêtement. Auparavant, la production locale était protégée par des quotas, mais avec leur élimination progressive «nous sommes devenus des experts en délocalisation, observe M. Kirke. En trois mois à peine, on peut ouvrir une manufacture en Birmanie ! Nous sommes très, très bons pour faire ça».

N'empêche qu'il constate une tendance récente chez les consommateurs à favoriser les achats locaux. «C'est sûr que la production de piètre qualité ne reviendra jamais au pays, ajoute Bob Kirke. Mais une partie de l'industrie survivra.»

Le salut de l'industrie «passe par la conscientisation des entreprises, assure Serge Carrier, professeur à l'UQAM. Produire au Québec, c'est aussi plus flexible, plus rapide, et le contrôle de la qualité est supérieur, ne serait-ce que parce que c'est plus simple de visiter les installations.»

Un métier à revaloriser

Les ateliers tentent de maîtriser les coûts afin de rendre l'offre attrayante. Par conséquent, les salaires versés demeurent faibles. Les employés de production gagnent environ 24 000 $ par année, selon Industrie Canada. La rémunération est l'un des principaux facteurs qui expliquent la pénurie de main-d'oeuvre actuelle.

«S'ils avaient la main-d'oeuvre disponible, les manufacturiers du Québec pourraient prendre de l'ampleur», considère Serge Carrier. Un point de vue partagé par le président du Groupe CSR. «Je pourrais engager 15 couturières demain matin», confirme Jean-Luc Fortin.

«Les jeunes n'ont pas le goût de faire ce travail-là, estiment deux couturières que nous avons rencontrées sur place. Les salaires ne sont pas élevés, il n'y a pas d'avantages sociaux, et nous n'avons pas de fonds de pension.»

À quelques mètres de là, à son poste de travail, une autre employée se montre plus optimiste : «le pire est derrière nous. Maintenant, chaque membre de l'équipe touche à plusieurs étapes de la production. C'est devenu un métier valorisant. Ce n'est plus ce que c'était...»

Force est de constater que l'atelier ne correspond pas aux clichés de l'usine poussiéreuse, où les couturières travaillent à la chaîne. L'atelier de Saint-Romain est à aire ouverte, propre et lumineux. Et aux quatre coins de l'atelier, les haut-parleurs accrochés aux murs vibrent au son d'un succès des Backstreet Boys. «Franchement, je ne sais pas comment nous allons pouvoir combler le manque de main-d'oeuvre, avoue M. Fortin. Peut-être qu'on devrait s'intéresser aux immigrants ? Peut-être aussi qu'on devrait mettre sur pied des programmes de formation, payés, pour que les jeunes viennent voir nos entreprises ? Il y en a des gens manuels, mais bon, l'image de notre industrie est tellement dévalorisée...»

Nous sommes interrompus par la cloche qui retentit. Vendredi, 12 h 30, la journée est terminée. «Je prends soin de mon monde, lance le patron. Je veux les garder.»

Le vieillissement de la main-d'oeuvre est une autre tuile qui s'abat sur les ateliers. «Une étude [parue en 2011] révèle que l'industrie a besoin de recruter 2 500 couturières sur trois ans uniquement pour combler les départs à la retraite», expose Christophe Billebaud, directeur de Montréal Couture, un laboratoire d'idées pour le secteur de la mode.

Pour tenter d'éviter ce trou noir, l'organisation a lancé le projet pilote Mini-Campus Couture afin de recruter et de former des employés de production pour les entreprises québécoises. Le programme s'échelonne sur 10 semaines, pendent lesquelles les étudiants partagent leur temps entre les cours de couture et de français.

Franciser, parce qu'«à Montréal, 63 % des employés de production dans la mode sont issus des communautés culturelles, précise M. Billebaud. C'est la clientèle que nous recherchons. Nous offrons aussi des sessions de formation pour faciliter leur intégration en entreprise.»

Il a fallu deux ans de représentation auprès de Québec «pour leur faire comprendre et admettre l'urgence [de la situation], relate M. Billebaud. Le manque de ressources humaines est un enjeu majeur pour la survie de l'industrie. Étant donné le peu de pouvoir d'attraction et la disparition de l'offre de formation professionnelle en couture. Il était temps d'agir !»

Formation et nouvelles technologies

Toutefois, en entrevue avec Les Affaires, la ministre déléguée à la Politique industrielle et à la Banque de développement économique du Québec ne croit pas que la formation soit en cause. «J'ai rarement entendu dire que c'était un problème criant, soutient Élaine Zakaïb. Le plus important pour aider l'industrie, c'est d'appuyer les manufactures pour qu'elles se dotent de nouvelles technologies.»

Par ailleurs, Mme Zakaïb a laissé entendre qu'elle «réfléchit à la création d'un label afin de désigner clairement les vêtements qui sont produits au Québec.»

Les conclusions de la ministre quant à l'offre de formation font sursauter la directrice générale de Vestechpro, un centre de recherche et d'innovation affilié au Cégep Marie-Victorin. «Tous les gens de l'industrie nous disent que le manque de formation, c'est vraiment un problème, atteste Paulette Kaci. C'est l'oeuf ou la poule, pas de programmes, pas de demande !»

Si le gouvernement doit contribuer à trouver une solution, «l'industrie doit réévaluer les salaires qu'elle offre, juge Mme Kaci. Qui a envie de travailler dans un métier stressant pour un salaire de misère ?»

Un point de vue que partage le directeur de la Fédération canadienne du vêtement. «C'est un domaine qui requiert de l'expérience et qui est bien mal payé. C'est plus facile de travailler chez Tim Hortons», rappelle Bob Kirke. Quant à la faible demande en matière de formation, il en est persuadé, c'est une question d'image. «Le design de monde est pas mal plus glamour que la production. Disons que Milan, c'est plus sexy que Saint-Georges de Beauce...»

L'industrie du vêtement au Canada

Nombre d'employeurs (2010)
Québec: 856
Canada: 1 700

Nombre d'emplois de production
2001: 94 260
2010: 19 340

Salaire moyen des employés de production
2001: 19 402 $
2010: 24 110 $

Revenus de la production manufacturière
2001: 7,8 G $
2010: 2,5 G $

Répartition des coûts de fabrication en 2010
Matériaux et fournitures: 96 %
Salaires des employés de production: 4 %

Source : Statistique Canada

À la une

Bourse: nouveaux records pour le Dow Jones et le S&P 500 à Wall Street

Mis à jour à 17:10 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto est en hausse et les marchés américains sont mitigés.

À surveiller: Microsoft, Apple et Dollarama

Que faire avec les titres de Microsoft, Apple et Dollarama? Voici quelques recommandations d’analystes.

Bourse: les gagnants et les perdants du 28 mars

Mis à jour à 17:54 | LesAffaires.com et La Presse Canadienne

Voici les titres d'entreprises qui ont le plus marqué l'indice S&P/TSX aujourd'hui.