Lion, un électrochoc dans l'industrie du transport

Offert par Les Affaires

Publié le 21/02/2018 à 06:00

Lion, un électrochoc dans l'industrie du transport

Offert par Les Affaires

Publié le 21/02/2018 à 06:00

[Photo : Martin Flamand]

Inconnue il y a dix ans, La Compagnie électrique Lion a aujourd'hui une réputation bien établie d'entreprise qui dérange. Après avoir pris de court l'industrie du transport scolaire avec le développement d'un premier véhicule électrique en 2015, l'entreprise de Saint-Jérôme poursuit son développement, cette fois en s'attaquant à l'industrie du camionnage.

« Vous n'avez pas idée à quel point l'industrie nous hait ! », laisse tomber Marc Bédard, président de Lion, qui a cofondé l'entreprise avec Camil Chartrand. « Les constructeurs d'autobus et de camions nous haïssent. Mais les opérateurs [de transport] nous aiment et c'est tout ce qui compte. »

De ses installations du chemin de la Rivière-du-Nord, que l'on voit aux abords de l'autoroute des Laurentides, il est parvenu en seulement quelques années à se hisser parmi les principaux joueurs de l'électrification des transports. À tel point que l'aventure entrepreneuriale, que tous lui déconseillaient au départ, réussit aujourd'hui à attirer l'attention de clients partout en Amérique. Et celle d'investisseurs comme Alexandre Taillefer et Power Corporation.

Perturbateur en série

Âgé de 54 ans, Marc Bédard est devenu entrepreneur sur le tard. Après avoir siégé pendant des années au conseil d'administration des Entreprises Michel Corbeil, un constructeur d'autobus des Basses-Laurentides aujourd'hui disparu, M. Bédard avait retenu une chose : l'industrie n'avait pas évolué en plus de 40 ans. Jusque-là, le marché du transport scolaire au Canada et aux États-Unis - évalué entre 3 et 4 milliards de dollars américains par année - était essentiellement contrôlé par trois géants américains : les constructeurs d'autobus Blue Bird Corporation, Thomas Built Buses et IC Bus. Les responsables de flottes aimaient la sécurité des autobus produits, mais leur reprochaient leurs coûts d'exploitation élevés (en carburant et en entretien mécanique) et leur fâcheuse propension à rouiller rapidement.

C'est de ce constat que lui vient l'idée de revoir complètement la conception des autobus scolaires. Celui qui a été associé chez PwC décide de tout quitter en 2008 et d'investir toutes ses économies pour développer une nouvelle génération d'autobus scolaires. « J'ai toujours refusé de dire combien j'ai investi, relate-t-il en entrevue avec Les Affaires. Mais je vous dirai que tout notre argent, tout ce qu'on pouvait, chaque cenne qu'on avait, on l'a mis dans le développement de ce premier produit. C'était complètement irrationnel et on ne s'est pas gêné pour me le dire. »

En 2011, Lion accouche d'un véhicule entièrement repensé qui, grâce à l'utilisation judicieuse de fibres de verre, d'aluminium et de divers alliages de plastique, est à la fois plus léger (d'environ 1 000 lb) et plus résistant à la rouille. Il n'en faut pas plus pour attirer l'intérêt des acheteurs et rapidement semer la pagaille dans l'industrie. Le régime oligopolistique, établi depuis plusieurs décennies, est brisé.

Pourtant, Marc Bédard n'est pas satisfait. Profitant du soutien de quatre anges financiers, il cherche le moyen d'affranchir ses véhicules de leur dépendance au diesel. Quatre ans plus tard, et fort de la vente de centaines d'autobus, Lion revient à la charge avec une innovation. Fin 2015, l'entreprise met en marché son premier autobus scolaire électrique et enregistre ses premières ventes dès le début de l'année suivante. Sa réputation de trouble-fête s'accentue.

En parallèle s'ouvrent devant elle les portes d'un tout nouveau marché : celui du transport par énergie propre en demande dans plusieurs États américains, à commencer par la Californie.

Baptisé eLion, le nouvel autobus scolaire, aussi fabriqué en matériaux composites, est équipé de son propre caisson de batterie et d'un moteur entièrement développé par TM4, une filiale d'Hydro-Québec. « Contrairement à ce qu'on voit trop souvent, ici comme en Europe, le eLion est un véritable autobus électrique, explique, admiratif, Eric Azeroual, le directeur des ventes de TM4. Il n'est pas de ces adaptations de véhicules traditionnels sur lequel ont été ajoutés des composants de moteurs électriques. Ça, non ! C'est un vrai nouvel autobus électrique qui fait l'envie de toute l'industrie. »

Trois rondes de financement

À partir de ce moment, les choses évoluent rapidement. Connu pour son intérêt pour l'innovation, l'homme d'affaires Alexandre Taillefer ne fait ni une ni deux et entre au capital à l'occasion d'une seconde ronde de financement. Grâce à une injection de quelque 7 millions de dollars de sa société de placement XPND Capital, l'ex-dragon devient propriétaire d'un peu moins du tiers de la société.

Peu de temps après, le gouvernement du Québec adopte en grande pompe son Plan d'action en électrification des transports. Une enveloppe de 420 M$, dont 30 M$ pour l'aide à l'achat d'autobus scolaires électriques.

L’usine de Saint-Jérôme, où sont assemblés les autobus Lion, embauche un peu plus d’une centaine de travailleurs.

« Il est très rare de voir un homme qui gagnait auparavant très bien sa vie décider de tout laisser pour se lancer en affaires, commente Alexandre Taillefer. Marc Bédard est un de ces êtres d'exception qui, tout en sachant bien anticiper le marché, a compris qu'on ne peut jamais s'asseoir sur ses lauriers. »

À l'été 2017, Autobus Lion change de nom (et d'identité visuelle) pour devenir La Compagnie électrique Lion. À peine cinq mois plus tard - début novembre -, Énergie Power, une filiale en propriété exclusive de Power Corporation du Canada, annonce un investissement majeur dans l'entreprise. Le montant de cet investissement demeure secret à ce jour. C'est « très important, facilement le double » du total des investissements dont l'entreprise avait profité jusque-là, se contentera de dire, du bout des lèvres, Marc Bédard. « Une chose est sûre, cependant, ajoute-t-il, ça change bien des choses pour l'avenir. Et pour le mieux ! »

Du minibus au camion lourd

À preuve, dès cet été, l'entreprise lancera le eLionM, un minibus électrique destiné aux besoins du transport scolaire, du transport adapté (fauteuil roulant) et du transport collectif. Le véhicule sera doté d'une autonomie de 120 km à 240 km. « Il est si populaire et a tellement d'usages qu'on l'appelle déjà notre "canif suisse" », résume M. Bédard. Il a été conçu de manière à intégrer les systèmes d'intelligence du futur (conduite autonome, par exemple). « Tout ce que nous construisons, nous le faisons en tentant d'anticiper les quinze prochaines années. »

Le développement de ce nouveau véhicule constitue un accomplissement majeur pour Lion, dont une part du succès réside dans sa capacité à contrôler l'ensemble de sa chaîne de production. À titre de donneur d'ordre, l'entreprise s'approvisionne auprès de quelque 400 fournisseurs, dont la moitié seraient québécois. Pour l'heure, M. Bédard estime que ce casse-tête logistique lui permet un meilleur contrôle des coûts et de la qualité de ses produits.

À la fin de l'année en cours, Lion entend maintenant sortir du strict domaine de la fabrication d'autobus scolaires et urbains pour se lancer dans la fabrication d'une nouvelle gamme complète de camions 100 % électriques. On parle ici de camions urbains électriques de spécialité, de classe 5 à 8. Cela va du camion ambulance au camion de service d'Hydro-Québec, en passant par la bétonnière et le traditionnel camion de déménagement ou de livraison, utilisé par exemple par Brault et Martineau.

La concurrence d'un Tesla

Le secteur du camion urbain attire actuellement énormément d'intérêt dans l'industrie. Des villes, comme New York, s'apprêtent à imposer aux opérateurs de camions de livraison l'obligation d'avoir une flotte composée à 25 % de véhicules électriques. Sans certificat d'attestation, ces camions ne seront plus les bienvenus dans la ville.

Ailleurs, comme cela se voit en Californie, des villes pensent à concevoir des quartiers électriques, des quadrilatères complets où les camions diesel seront interdits de circulation, histoire de limiter le bruit et la pollution.

Conscientes de ces changements, de nombreuses entreprises comme BAE Systems, Volkswagen et Tesla, plus récemment, ont déjà annoncé leur intention de jouer aussi un rôle dans ce marché des autobus et des camions électriques.

De quoi inquiéter Lion ? « Nous ne parlons pas beaucoup. Nous sommes plus discrets. Je peux toutefois vous assurer que peu importe ce que les autres peuvent dire, notre camion électrique va sortir avant celui de Tesla. » On parle ici de la fin de 2018 ou du début de 2019 pour le camion lourd de classe 8 de Lion.

Une usine aux États-Unis

À ce jour, l'entreprise jérômienne affirme avoir vendu quelque 150 autobus électriques (eLion) et 700 autobus motorisés au diesel (Lion). Son usine d'assemblage embauche un peu plus d'une centaine de travailleurs, le double d'il y a deux ans.

Son personnel d'expérience vient souvent d'autres entreprises manufacturières des environs, dont Komatsu, Paccar ou Novabus. Mais pas toujours. « Vingt ans d'expérience, dira le grand patron, se résument parfois à vingt ans d'inefficacité. »

L'entreprise prévoit un chiffre d'affaire de 40 M$ en 2018. Si la demande se maintient, estime-t-il, ses ventes grimperont d'un autre 50 % d'ici un an pour atteindre 60 M$. Et dans cinq ans ? « Ça n'aura plus rien à voir », répond le président, hésitant, avant de laisser tomber : « On pense que ce pourrait être dix fois plus... »

Déjà, Lion pense à agrandir. De 85 000 pi2 actuellement, son usine d'assemblage de Saint-Jérôme pourrait devoir tripler sa superficie pour atteindre les « 200 000 à 300 000 pi2 ». Le nombre de travailleurs devrait suivre la même courbe.

À peu près en même temps, Lion prévoit aussi devoir ouvrir des installations aux États-Unis, histoire d'accroître la production, de se rapprocher de la clientèle et de se plier, ce faisant, aux règles d'origine imposées aux véhicules destinés aux États-Unis.

Actuellement, plus de 60 % de ses revenus proviennent des États-Unis, une proportion qui pourrait croître rapidement, étant donné la volonté des grandes villes américaines d'électrifier les flottes de transport en commun et de limiter la livraison par camion diesel.

De taille similaire à celle du Québec, une usine d'assemblage de Lion devrait embaucher quelque 200 travailleurs d'ici trois ans aux États-Unis. Le lieu exact de cette usine n'a pas encore été choisi, mais, déjà, les États de New York et de la Californie lui font la cour.


L’oligopole à battre dans l’autobus scolaire :

Blue ­Bird ­Corporation (société cotée, actionnaire principal ­Ceberus ­Capital ­Management), fondée en 1932, située en ­Géorgie

Thomas ­Built ­Buses (filiale de ­Daimler ­Trucks ­North ­America [Freightliner]), fondée en 1972, située en ­Caroline du ­Nord

IC ­Bus (filiale de ­Navistar ­International ­Corporation), fondée en 2002, située en ­Illinois

 

Les principaux actionnaires
de ­La ­Compagnie électrique ­Lion
(Par ordre d'importance)

Énergie ­Power, ­Power ­Corporation

9368‑2672 ­Québec inc. (Marc ­Bédard et ­Camil ­Chartrand)

XPND ­Capital ­Croissance

Source : ­Registraire des entreprises du ­Québec 

 

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