Pourquoi il est si facile de faire des affaires à Singapour

Publié le 04/02/2012 à 00:00, mis à jour le 23/01/2013 à 15:56

Pourquoi il est si facile de faire des affaires à Singapour

Publié le 04/02/2012 à 00:00, mis à jour le 23/01/2013 à 15:56

Par Marie-Claude Morin

À l'heure où gouvernements et entrepreneurs s'interrogent sur les meilleures façons d'alléger le fardeau des PME et de stimuler la création d'entreprise, Singapour offre de nombreuses pistes d'inspiration. Évidemment, il n'est pas souhaitable de copier-coller ces méthodes, le régime de la cité-État n'étant démocratique qu'en théorie. Certaines mesures proentreprises restent néanmoins pertinentes, comme l'a constaté Les Affaires sur le terrain.

«Vous allez voir, c'est facile de faire des affaires à Singapour.» C'est en ces termes que Bruno Cavalancia a convaincu ses patrons chez Kenmare Resources, une société minière anglaise, d'établir leur bureau asiatique dans cette île à un saut de puce de la Malaisie et tout près de l'Indonésie. Une installation tout ce qu'il y a de plus facile : à peine trois semaines pour obtenir l'autorisation d'ouvrir un bureau de représentation, 2 000 $ d'honoraires payés à une firme comptable, un bureau rapidement trouvé dans une des nombreuses tours, une carte de résidence permanente reçue six semaines après l'envoi de la demande.

Depuis six ans, la Banque mondiale présente Singapour comme l'endroit où il est le plus facile de conclure des affaires. Suivent, au classement de 2011, Hong Kong, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, alors que le Canada occupe le treizième rang.

Il faut dire que, depuis son indépendance en 1965, Singapour est dirigé par le même parti politique, le People's Action Party (PAP). Cette continuité a permis au gouvernement d'instaurer une vigoureuse politique économique, qui a transformé au fil du temps ce pays sans ressources naturelles en premier port mondial, quatrième place financière et centre de services et de recherche et développement en croissance.

Tout n'est cependant pas rose. La réélection année après année du PAP, la croissante mais toujours faible opposition et les limites quant à la liberté d'expression et d'association ont amené la Freedom House à qualifier Singapour et sa «démocratie guidée» de pays «partiellement libre». Le gouvernement est également omniprésent dans l'économie, détenant des participations importantes dans nombre de projets et d'entreprises.

Dans ce contexte, on peut se demander si l'étiquette de pays le plus proentreprise est méritée ou si elle tient plutôt du slogan politique. Or, les nombreux de gens d'affaires rencontrés sur place par Les Affaires s'entendent : c'est aisé de brasser des affaires dans la cité-État verdoyante.

D'abord, parce que le pays joue à fond la carte de la porte d'entrée vers les marchés asiatiques. L'aéroport accueille une centaine de compagnies aériennes, qui desservent 210 villes, pour un total de 46 millions de passagers l'an dernier (comparativement à 13 millions à Montréal en 2010). L'efficacité y est désarmante ; il ne faut compter que 12 minutes entre l'atterrissage et la réception des bagages, nous a-t-on raconté. Ce qui explique peut-être pourquoi tout le monde parle de leurs fréquents voyages à Séoul, Hong Kong ou Jakarta de façon plus détendue qu'un banlieusard venant travailler au centre-ville de Montréal...

La facilité est également due à la simplicité des démarches pour démarrer une entreprise et en poursuivre l'exploitation. Dans la clarté des règles et leur application prévisible aussi, entre autres.

Peu de paperasse

Parmi les éléments qui distinguent Singapour et dont le Québec pourrait s'inspirer, l'allègement de la paperasse figure en tête de liste.

En théorie, enregistrer une société et obtenir une dénomination sociale prend une semaine. «En pratique, on parle plutôt de quelques heures», a expliqué l'avocate Priscille Gremaud lors d'une présentation à une délégation française, à laquelle Les Affaires a assisté. «La documentation est très légère et l'enregistrement peut se faire par Internet.»

Tout peut être réglé en quelques semaines, a constaté Hannu Loponen, responsable du bureau d'Exfo à Singapour. «Même si on peut avoir besoin de conseils légaux, c'est un travail très simple.» Une heureuse surprise pour celui qui a déjà ouvert un bureau en Inde pour NetHawk, la division sans fil acquise par Exfo en 2010. «Là, c'est compliqué ! Les démarches ont pris environ un an», dit-il.

Une entreprise peut aussi ouvrir un bureau de représentation et l'exploiter pendant trois ans avant d'avoir à choisir une forme juridique plus contraignante. Cette option permet de mener des études de marché ou d'accroître sa présence auprès de ses distributeurs, mais interdit de facturer directement des clients. Puisqu'il joue un rôle de liaison entre la maison-mère et son agence de distribution asiatique, Bruno Cavalancia a opté pour un bureau de représentation pour Kenmare Resources. «Ça donne la liberté d'explorer le marché avant de décider jusqu'à quel point on veut s'implanter activement ici», dit-il.

Un autre élément qui attire les travailleurs étrangers à Singapour, tout comme à Honk Kong, c'est la possibilité pour le conjoint de travailler, juge Claude Morin, directeur principal à la division asiatique de la Banque Scotia. «C'est un gros avantage par rapport à d'autres places financières comme Londres et New York», soutient ce Manitobain qui travaille en Asie depuis plus de 30 ans.

Beaucoup de transparence

Selon Marlene Lee, présidente de la Chambre de commerce canadienne à Singapour, les gens d'affaires apprécient particulièrement la transparence quant aux lois et règlements en vigueur dans la cité-État. «Les gens savent à quoi s'attendre, et les règles sont les mêmes pour tous», dit-elle. Du moins quant aux règles régissant les entreprises et les impôts à payer. Car, comme dans d'autres pays, une grappe de gens d'affaires, appelée Singapour inc., gère la conduite des affaires de très haut niveau.

Le pays est toutefois salué pour l'absence de corruption, arrivant cinquième au plus récent classement de Transparency International avec une note de 9,2 sur 10 (le Canada occupe le dixième rang, avec 8,7 sur 10).

Le pays s'est également doté de nombreuses règles pour protéger la propriété intellectuelle et a signé plusieurs traités, dont le Traité de coopération en matière de brevets (PCT) et la convention de Madrid, pour la protection des marques. «C'est une belle plaque tournante pour protéger sa propriété intellectuelle en Asie», explique Caroline Bérubé, avocate et associée chez HJM Asia Law & Co.

À la protection légale étoffée s'ajoute le centre d'arbitrage, un lieu où les entreprises peuvent régler leurs disputes internationales. «Il est bien reconnu à l'international, et c'est sans conteste un autre aspect avantageux de Singapour», dit Mme Bérubé. Lorsqu'elles signent des ententes de coentreprise ou des contrats d'approvisionnement, des entreprises choisissent ainsi Singapour comme autorité où seront tranchés d'éventuels différends.

Au gouvernement, on dit considérer la transparence comme une nécessité. «Comme l'économie de Singapour a toujours reposé sur les investissements étrangers, il était important de rendre les choses faciles et les lois claires», explique Inderjit Singh, qui dirigeait l'Action Community for Entrepreneurship (ACE) lorsque Les Affaires l'a rencontré l'automne dernier. «Il fallait adopter un système de type occidental, exempt de corruption, afin de rassurer les grandes entreprises.» Selon lui, cela a été possible grâce à la présence d'un gouvernement fort et stable.

Stimuler la création de PME par un PPP

On pourrait qualifier l'ACE de partenariat public-privé pour la création de PME. Mis sur pied en 2003, l'Action Committee for Entrepreneurship est présidé par le ministre délégué à l'entrepreneuriat et est composé en majorité de dirigeants d'entreprise. Sa mission : créer un environnement proentreprise, en abordant notamment les questions de réglementation, culture, financement, réseautage et formation.

«Le partenariat est la seule façon de faire avancer les choses, car le gouvernement n'est pas expert en affaires et les entrepreneurs ne connaissent pas le gouvernement», explique Inderjit Singh.

Depuis ses débuts, l'organisme a examiné environ 2 000 lois et règlements. Du lot, il en a modifié 1 000 et espère continuer le ménage. Comme le comité regroupe fonctionnaires et entrepreneurs, les choses bougent vite, dit M. Singh : «Pour certaines règles, les changements étaient apportés en quelques rencontres seulement.»

ACE s'occupe aussi de mentorat, de réseautage et de promotion de l'entrepreneuriat. En janvier, le gouvernement disait souhaiter que l'organisme aide à la création de 500 PME. Un programme de financement permettra notamment aux entreprises en démarrage de recevoir jusqu'à 50 000 dollars singapouriens (1 $ SG vaut 0,80 $ CA).

Regrouper les portes où cogner

«Peu importe l'agence avec laquelle vous communiquez, les fonctionnaires vous dirigeront vers le bon endroit», a dû répéter à plusieurs reprises Tan Kai Hoe, vice-président de Spring, à la délégation française, incrédule.

Son organisation est responsable du développement des PME, en plus de s'occuper de l'élaboration et de l'application des normes. Elle octroie entre autres des subventions et des garanties de prêt. De son côté, l'Economic Development Board (EDB) travaille avec les investisseurs étrangers, alors que l'International Enterprise (IE) veille à la croissance extérieure des entreprises de Singapour et s'occupe des ententes facilitant le commerce international.

Pour faciliter la vie des entrepreneurs singapouriens et des investisseurs étrangers, le portail Web EnterpriseOne regroupe des informations sur ces organismes, les programmes de financement, les lois, etc.

Des grappes ciblées

Un peu comme au Québec, Singapour mise sur les grappes industrielles pour attirer les sociétés étrangères et faire naître des entreprises locales. Dans sa mire pour les prochaines années : l'énergie propre, l'environnement, l'eau, le transport public et les technologies de l'information.

«L'agence de développement économique est très efficace. Une fois qu'elle a ciblé une industrie, elle élabore une stratégie et cogne aux portes des multinationales», dit M. Morin. Les fonctionnaires offrent alors plusieurs services. Ils gèrent notamment les aspects fiscaux, veillent à ce que l'espace nécessaire soit accessible à bon prix et à ce que la formation soit disponible pour la main-d'oeuvre.

Directeur du bureau de la québécoise GLV à Singapour, Andew Lau est à même de constater les effets de l'approche des grappes. Le parc industriel où travaille sa trentaine d'employés, au nord du centre-ville, est en effet dédié à l'eau, un secteur clé dans un pays que la mer baigne, mais qui manque cruellement d'eau douce. «La création de la grappe a vraiment encouragé les gens à lancer des entreprises ici», dit-il.

Une fiscalité attrayante

La faible taxation, tout le monde en parle à Singapour. L'impôt des sociétés y est de 17 %, avec une réduction à 8,5 % sur les premiers 300 000 $ SG de profits. Au Québec, l'impôt total des sociétés est de 26,9 %, soit 15 % au fédéral (16,5 % jusqu'en 2011) et 11,90 % au provincial, avec également des réductions pour les plus petites entreprises.

Les dividendes et les gains en capital ne sont pas imposables à Singapour, alors que la taxe de vente se situe à 7 %.

«Le gouvernement mise sur de bas taux d'imposition plutôt que sur les crédits d'impôt», observe Claude Morin. Les nouvelles entreprises jouissent d'une plus faible imposition pendant trois ans, et d'autres allègements fiscaux sont offerts selon la nature des activités. Singapour a par ailleurs signé des traités fiscaux avec près de 70 pays, mais pas le Canada.

Toutes ces mesures, espèrent les Singapouriens, permettront de limiter l'effet de la crise européenne et du ralentissement américain. Depuis 2008, la croissance du PIB de Singapour joue au yoyo. Et les économistes utilisent le plomb plutôt que le feutre pour prédire 2012...

RÉPARTITION DU PIB PAR SECTEUR

Fabrication 22,2 %

Services financiers 11,9 %

Transport et entreposage 8,6 %

Vente en gros et au détail 16,5 %

Services aux entreprises 14,0 %

Construction 4,5 %

Autres 18,7 %

Communications 3,6%

Source : Singapore Department of Statistics

+ 3 % Croissance attendue du produit intérieur brut (PIB) de Singapour en 2012, selon les économistes sondés par la banque centrale en décembre dernier. Le PIB a crû de 4,8 % en 2011, un ralentissement marqué par rapport à la croissance de 14,5 % en 2010.

7 000 Nombre de multinationales américaines, japonaises ou européennes qui ont des activités à Singapour. On y trouve aussi 92 entreprises canadiennes. Sources : Haut-Commissariat du Canada à Singapour, US Department of State.

Sécurité

La criminalité est presque inexistante et les gens n'hésitent pas à marcher seuls, de jour comme de nuit.

2 % Taux de chômage en date de septembre 2011

18 Nombre de traités de libre-échange signés par Singapour, couvrant un total de 24 pays, dont les États-Unis, la Chine et l'Inde. Des négociations sont en cours avec le Canada. Source : IE Singapore

QUATRE LANGUES OFFICIELLES

L'anglais, le mandarin (chinois), le malais et le tamoul. Tout le monde parle anglais, y compris les chauffeurs de taxi et les commerçants. L'affichage est également multilingue.

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