Entrevue n°186: Thierry de Montbrial, fondateur et dg de l'Institut français des Relations Internationales


Édition du 11 Janvier 2014

Entrevue n°186: Thierry de Montbrial, fondateur et dg de l'Institut français des Relations Internationales


Édition du 11 Janvier 2014

Par Diane Bérard

Thierry de Montbrial a fondé le département d'économie de l'École polytechnique à Paris ainsi que l'Institut français des relations internationales (IFRI), un think tank sur les questions internationales, et la World Policy Conference. Il était de passage à Montréal en novembre dernier.

Diane Bérard - L'Europe se porte-t-elle aussi mal qu'il y paraît vu de l'Amérique ?

Thierry de Montbrial - Nous avons évité le pire. Mais nous allons d'émotion en émotion. Pensons à l'Italie : après la chute de Berlusconi, on croyait Mario Monti bien en selle, mais il est tombé. On a cru voir venir la fin. Puis il y a eu un miracle - il y en a toujours en Italie. Avec Enrico Letta, la situation s'est plutôt améliorée. Le nez sur la lorgnette, on ne voit qu'une suite de crises. Mais il y a progrès. On consolide la construction européenne.

D.B. - L'Union européenne, un succès ou pas ?

T.D.M. - C'est un immense succès sur le plan historique. Mais on a eu du mal à absorber la chute de l'Union soviétique. Il a fallu élargir brusquement l'UE pour sécuriser les ex-pays communistes. Cela a déstabilisé la construction en cours et entraîné un problème de gouvernance de cette zone hétérogène. Malgré tout, cela s'est bien passé. Nous aurions pu connaître une guerre.

D.B. - Qu'est-ce qui grince ?

T.D.M. - Prenons la Commission européenne. Vingt-huit États assis à la table pour prendre des décisions. Si chacun dispose de cinq minutes pour présenter son opinion, cela fait deux heures vingt écoulées et on n'a pas encore échangé ! La zone euro a été réalisée à moitié. On a fait la Banque centrale européenne, par exemple, mais on n'a pas prévu de mécanismes de gouvernance économique pour assurer la viabilité à long terme. Des mécanismes de coordination budgétaire, par exemple. Les critères du Traité de Maastricht limitant les déficits budgétaires à 3 % et les endettements à 60 % n'ont même pas été respectés.

D.B. - Parlons de la dimension sociale : génération perdue, soulèvements, iniquités...

T.D.M. - C'est l'échec des politiques de l'État-providence. On a dépensé des sommes considérables ; or, le taux de chômage est à 10 % et plus. La misère visible croît. La révolution des technologies de communication a permis la mondialisation et la croissance de nombreux pays. Un reclassement a forcé les vieux pays à revoir leurs modèles de dépenses publiques. Il y a 20 ans, la Suède était complètement bloquée avec des taux d'imposition de près de 90 % pour la tranche supérieure de revenus et un système social sclérosé. Le gouvernement a restructuré la fonction publique. Les emplois perdus ont été plus que compensés par ceux créés dans le secteur privé. La Suède a aussi restructuré ses services sociaux.

D.B. - Pourquoi certains États, comme la Suède, arrivent-ils à se réformer et d'autres pas ?

T.D.M. - Chaque pays a sa culture et ses idéologies. Les citoyens d'Europe du Nord sont plus pragmatiques, tandis que ceux d'Europe du Sud se montrent davantage idéologiques. La difficulté de la réforme, c'est qu'il faut d'abord avoir les idées claires sur ce qu'on veut accomplir, ensuite être capable de faire passer celles-ci dans l'opinion en surmontant les résistances. On revient à la politique.

D.B. - Où s'en va la mondialisation ?

T.D.M. - On assiste à des résistances de plus en plus grandes à l'interpénétration. Les citoyens ont le sentiment que leur destin ne dépend plus de leur propre patrie, qu'il se joue ailleurs, sans savoir où. Voter pour tel ou tel parti importe peu. On assiste à des renationalisations. Que ce soit une solution ou pas, c'est un fait. Et puis, les grandes entreprises de TI sont aux ordres des services secrets américains. Cela montre que, contrairement à ce qu'on dit, les entreprises ont des nationalités. IBM est américaine. Mercedes est allemande. Toyota est japonaise.

D.B. - Le pouvoir citoyen, feu de paille ou tendance lourde ?

T.D.M. - Le pouvoir citoyen ne veut rien dire. C'est un slogan. La vraie question est celle de l'avenir de la démocratie. Les modalités de jadis demeurent-elles pertinentes aujourd'hui ? Il va y avoir de nouvelles formes de gouvernance globale et locale. Au Québec, par exemple, on pose depuis longtemps la question du degré d'autonomie dont une province peut disposer par rapport à un État plus vaste. Cette question de la répartition des pouvoirs se pose ailleurs aussi. Les décisions doivent se prendre au niveau le plus bas possible. Mais comment appliquer cela sur le terrain ?

D.B. - Comment les leaders peuvent-ils agir au moment où on leur accorde peu de crédibilité ?

T.D.M. - La démocratie n'envoie pas nécessairement les meilleurs au pouvoir. Pour réussir dans notre monde complexe, il faut être compétent. Mais les électeurs ne votent pas pour la compétence. Plus de 30 % des électeurs soutiennent encore Rob Ford [au moment de notre entrevue], et Silvio Berlusconi a toujours un noyau de partisans.

D.B. - L'heure serait au «minilatéralisme». De quoi s'agit-il ?

T.D.M. - Pour être juste et légitime, il faudrait inviter un grand nombre de parties prenantes. Mais pour être efficace, il faudrait s'en tenir à un petit nombre. Le minilatéralisme est un compromis. Pour chaque enjeu, on établit le minimum de parties prenantes qui doivent absolument participer à la décision.

D.B. - La vie est faite d'alternance de bonheur et de malheur, l'économie aussi. Comment distinguer les réalités conjoncturelles des réalités structurelles ?

T.D.M. - Les crises font perdre le sens du temps. Il existe plusieurs échelles de temps. L'échelle politique et celle des gens d'affaires ont tendance à se réduire. L'échelle économique, elle, s'allonge. Les décisions pour réformer le marché du travail sont bénéfiques à long terme, mais douloureuses à court terme. Le risque est d'être conduit, pour des raisons de perception, à prendre de mauvaises décisions.

D.B. - Votre conseil aux chefs d'entreprises ?

T.D.M. - Pensez plus large que les intérêts immédiats de vos affaires. Consacrez une partie de votre temps et de votre énergie au bien commun. L'idée voulant que l'État porte l'intérêt général et les entreprises l'intérêt privé n'est plus bonne. Tous les acteurs portent une partie de l'intérêt général.

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