Les géants français du transport collectif lorgnent l'Amérique avec leurs innovations

Offert par Les Affaires


Édition du 19 Avril 2014

Les géants français du transport collectif lorgnent l'Amérique avec leurs innovations

Offert par Les Affaires


Édition du 19 Avril 2014

Par Suzanne Dansereau

BONUS WEB - Avec l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, les géants français Alstom et Kéolis et Bombardier Transport en France prévoient accroître leurs activités au Canada et en Amérique du Nord grâce à des innovations qui feraient rougir d’envie n’importe quel usager des transports en commun. Pas étonnant que Paris, la capitale française, se classe en septième place parmi les meilleures villes du monde en matière de transport en commun, alors que la même étude place Montréal en 36e position, selon l’Union internationale des transports publics.

À la mi-mars, notre journaliste Suzanne Dansereau était membre d’un groupe de journalistes canadiens invités par le gouvernement français à visiter leurs installations en France. Voici son récit.

À Paris, il n’y a pas que l’architecture et la culture qui brillent. Il y a aussi le Francilien, le dernier-né des trains de banlieue, conçu par Bombardier Transport.

Coloré, spacieux, silencieux, économe en énergie, ce train léger séduit les usagers. Ses promoteurs disent de lui qu’il est « au train ce que le iPhone est au téléphone ».

À l’extérieur, il est blanc et fuchsia. Il est plus large que les autres trains. Quand ses portes s’ouvrent, cinq personnes peuvent y entrer en même temps, ce qui rend l’embarquement plus rapide. Comme il n’y a aucune séparation entre les wagons, quand il prend les courbes, on dirait un serpent. D’où son appellation de « train boa ». Les grandes fenêtres des wagons laissent entrer la lumière à flots. À l’intérieur, les fauteuils sont multicolores et vitaminés (orange, vert lime, rouge, mauve) et le plafond au-dessus des portes change de couleur aux arrêts. Conçu par le célèbre designer Yann Kersalé, l’éclairage donne aux passagers l’impression de flotter sur un nuage sous un ciel étoilé : de petites lampes LED sont fixées au plafond, tandis qu’au plancher, l’éclairage est bleuté et on le voit bien, car les bancs n’ont pas de pieds. En plus de ses couleurs chatoyantes, le Francilien offre des écrans pour informer les usagers des déplacements en temps réel.

« Si on veut que les gens empruntent le transport collectif, il faut leur en donner le goût, explique Anne Broger, porte-parole de Bombardier Transport en France. Nous voulons que les passagers se sentent comme s’ils étaient dans leur salon ».

C’est à Crespin, dans le nord de la France, près de la frontière belge, que Bombardier construit le Francilien, de même que l’AGC, premier train hybride du monde (électrique et diesel) et le Regio 2N, un train électrique régional à deux étages. Près de 2 000 personnes travaillent dans l’usine de Crespin, alimentée par un réseau de 400 fournisseurs installés sur place et qui fonctionnent selon le principe du just-in-time.

Bombardier a remporté le contrat du Francilien sans s’être adjoint de partenaires. Elle doit livrer 172 trains d’ici la fin de son contrat.

Un autre contrat, plus récent celui-là, pour 30 trains de banlieue à deux étages (les Regio 2N) a aussi été une bonne nouvelle, car en Europe, les temps sont difficiles et les gouvernements n’ont pas d’argent.

Un wagon Le Francilien coûte à son acheteur (la Société nationale des chemins de France, SNCF) 1,5 million de dollars canadiens et chaque train en compte huit. Les Québécois, les Canadiens et les Américains seraient-ils prêts à se payer un tel luxe ?

« La SNCF est un client très exigeant, nuance Laurent Moser, directeur du site. On aurait pu en construire un pour moins cher ». Quoi qu’il en soit, tout indique que le transport en commun se développera rapidement en Amérique du Nord, royaume de l’automobile, « à cause de l’urbanisation, de la congestion, de la pollution et du coût de l’essence », croit-il. Au moment de notre voyage en France, la ville de Paris a dû interdire l’usage de l’auto durant un week-end en raison d’une alerte au smog. Les transports en commun étaient gratuits.

L’influence culturelle québécoise

C’est en 1989 que Bombardier s’est installée à Crespin, dans ce qui est désormais le site de construction de trains le plus important de France. Lors de notre visite, nous avons rencontré Sophie Plouffe, originaire du Québec, qui est directrice du contrôle de la production. Elle nous a expliqué que c’est grâce à la culture d’entreprise inculquée par Laurent, puis par Pierre Beaudoin, que Bombardier se démarque de ses concurrents européens. « Laurent Beaudoin a toujours fait passer le client en premier. Il nous disait de faire ce qu’il faut pour que le train soit de qualité et livré à temps », se souvient-elle. Bombardier en France est aussi reconnue pour la puissance de son lobbying en amont, nous a rapporté par ailleurs le leader des soumissions d’Alstom Transport, Michel Antonelli. Sophie Plouffe, elle, parle plutôt de la « volonté de gagner » des Québécois. Selon elle, Bombardier en France, c’est la « volonté de gagner des Québécois mariée à l’expertise du lean manufacturing des Français ».

Design et innovation chez Alstom

Dans la banlieue parisienne de Saint-Ouen, au siège social du géant français Alstom Transport, nous avons visité une salle de théâtre bâtie au coût de 1 M$, où des images en 3D de wagons de trains sont projetées sur un écran par une dizaine d’ordinateurs. C’est là que les ingénieurs et les designers évaluent et corrigent les dessins 3D qu’ils font de leurs futurs trains. « Plus besoin de maquettes, sauf quand on conçoit les fauteuils de train et l’intérieur de la cabine des conducteurs, indique Xavier Allard, vice-président du design chez Alstom. Nous sommes en avance avec l’implantation de la réalité virtuelle ». Le design de train est réalisé à l’interne, ce qui assure selon lui une meilleure intégration entre l’ingénierie et le design.

Cela n’empêche pas Alstom d’avoir fait appel au célèbre couturier Christian Lacroix pour « habiller » l’extérieur du tramway de Montpellier, dont le New York Times a dit qu’il serait le tram « le plus sexy d’Europe ». Ces jours-ci, l’équipe de designers d’Alstom planche sur le design du futur train léger d’Ottawa, après avoir passé une semaine sur place pour tenter de capturer « l’âme de la ville », dit M. Allard.

C’est en 2012 qu’Alstom a obtenu ce contrat de 2,1 milliards de dollars (G$). Elle fabriquera un nouveau genre de véhicule, un « tram-train », sa plus récente innovation. Le tram-train agit comme un tramway en ville, mais se métamorphose en train régional lorsqu’il sort de la ville et relie les banlieues. « L’avantage du tram-train, c’est qu’il coûte moins cher à exploiter qu’un système de trains régionaux » dit Olivier Eymery, directeur de la production chez Alstom Transport.

Pourrait-il être utilisé sur le futur Pont Champlain, qui reliera Montréal à la Rive-Sud ? « Tout dépend de la commande », dit M. Eymery. Même chose en fait pour le Francilien ou le Regio 2N de Bombardier.

Quel que soit le choix final, il faudra « faire des adaptations, notamment pour l’hiver canadien », indiquait à Montréal Daniel Desjardins, vice-président aux affaires juridiques et secrétaire de Bombardier, rencontré lors d’un congrès d’affaires France-Québec. Chose certaine, le libre-échange avec l’Europe facilitera les échanges entre les usines des deux côtés de l’Atlantique en réduisant les coûts.

Innovation entrepreneuriale

À Lille, dans le nord de la France, tout le réseau des transports publics - qui comprend deux lignes de métro, un train régional, un tramway, des autobus et un système de partage de vélos - est géré sous forme de concession par un seul exploitant privé.

« Pour le passager, cela garantit une expérience plus fluide, explique Thierry Du Crest, directeur adjoint de la société de transport Lille Métropole. Les gens peuvent prendre le vélo, puis le bus, et le métro pour se rendre où ils le veulent, et ce, avec la même carte. La combinaison des modes de transport, c’est la tendance de l’avenir », dit-il. Parce que la société de transports fonctionne par contrat avec le secteur privé, elle en a pour son argent, poursuit-il. « Je le paie pour des résultats, et s’il n’atteint pas les objectifs il est pénalisé ». De son côté, le fournisseur a carte blanche pour augmenter l’achalandage en offrant par exemple des promotions croisées.

C’est la société Transpole, une filiale de Kéolis, qui a remporté le contrat. Elle vient récemment d’ajouter à son offre un système d’autopartage avec des voitures électriques dans le cadre d’un projet-pilote.

Kéolis a des ramifications québécoises. Alors que son actionnaire principal est la SNCF, elle est détenue à 30 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Implantée au Québec depuis 2002, Kéolis détient et gère la flotte d’autobus la plus importante de la province, anciennement connue sous le nom de Groupe Orléans. Depuis, elle prend de l’expansion en Amérique du Nord.

Kéolis fait partie du consortium GrandLinq, qui vient tout juste de remporter le contrat de 1,9 G$ sur 33 ans en PPP pour le nouveau système léger sur rail (SLR) de l’agglomération de Kitchener-Waterloo, en Ontario.

Elle fait aussi partie du consortium qui a remporté à Boston un contrat pour ses trains de banlieue d’une valeur totale de 2,9 G$ contre un concurrent local.

Maintenant que l’Europe fonctionne au ralenti, les sociétés françaises de transport se tournent résolument vers l’Amérique pour assurer leur croissance. À Montréal, à Toronto, à Vancouver, à Washington, à Las Vegas, à San Francisco ou à Edmonton, on entendra davantage parler d’elles au cours des prochaines années.

Bientôt, le président de la Société de transport de Montréal (STM) et président de l’Association du transport urbain du Québec (ATUQ), Philippe Schnobb, accompagnera le maire de Montréal au cours d’une visite de villes françaises, dont Lyon, afin d’y examiner de plus près leurs systèmes de transport collectif. « Nous n’avons pas la même densité de population que les Européens, alors nous n’aurons jamais leurs moyens. Mais la tendance est là, a dit M. Schnobb dans une entrevue aux Affaires. Les usagers veulent que les gouvernements investissent davantage dans les transports en commun. Il y a en Europe des modèles de gouvernance, de financement et de contractualisation différents que nous voulons examiner. Sont-ils applicables ici ? C’est à voir ».

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?