Entrevue n°284 : Martine Pinville, Secrétaire d'État auprès du ministre français de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique


Édition du 09 Avril 2016

Entrevue n°284 : Martine Pinville, Secrétaire d'État auprès du ministre français de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique


Édition du 09 Avril 2016

Par Diane Bérard

Martine Pinville, Secrétaire d'État auprès du ministre français de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, chargée du Commerce, de l'Artisanat, de la Consommation et de l'Économie sociale et solidaire. [Photo : Alain Salesse]

Le 16 mars, le gouvernement français a lancé son premier appel d'offres pour des contrats à impact social. Ceux-ci sollicitent l'argent privé pour des projets sociaux. La Grande-Bretagne et l'Australie en proposent déjà. Le Québec explore la question. J'en ai discuté avec Martine Pinville, la Secrétaire d'État chargée du dossier, lors de sa visite dans la métropole, à l'incubateur entrePrism, de HEC Montréal.

Diane Bérard - Madame la Ministre, il y a beaucoup de confusion entre l'économie collaborative et l'économie sociale. Quelles en sont vos définitions ?

Martine Pinville - L'économie collaborative est une forme économique qui s'est mise en place parfois à travers des liens directs entre les individus, parfois à travers l'intermédiaire d'une plateforme. L'économie sociale et solidaire (ESS), quant à elle, est un modèle économique qui découle d'un choix. Je peux citer les fondations, les coopératives, les mutuelles, les associations et l'entrepreneuriat social. C'est ainsi que nous définissons le périmètre de cette économie en France.

D.B. - L'emploi du mot «partage» porte à conclure que l'économie du partage est forcément sociale...

M.P. - Pas du tout. L'économie du partage est une économie d'échange neutre. À cela vient se greffer un modèle d'organisation. Parfois, ce modèle relève de l'économie classique, d'autres fois de l'ESS.

D.B. - Il ne faut pas confondre le moyen et la finalité...

M.P. - En effet, la plateforme est un moyen. Avant, ce moyen était peut-être le téléphone ou les Pages Jaunes. Une plateforme n'est aucunement révélatrice d'un modèle économique. La plateforme permet d'avoir un lien, un contact, c'est tout. Il faut cesser de s'y attarder et se concentrer sur les modèles économiques et leur encadrement.

D.B. - Il ne faut pas confondre non plus l'économie et l'échange de service.

M.P. - Si j'accueille un passager dans mon véhicule lors du trajet Paris-Orléans, ce n'est pas la plateforme que j'utilise qui décide s'il s'agit d'un geste économique ou d'un échange de services. C'est le fait que j'en tire, ou pas, un profit.

D.B. - Où en est la réflexion du gouvernement français sur l'encadrement de l'économie collaborative ?

M.P. - En octobre dernier, le gouvernement a confié au député Pascal Terrasse la mission de mener des auditions et des consultations sur les enjeux de la consommation collaborative. Il a présenté son rapport à l'Élysée le 16 février. Ce rapport contient un certain nombre de propositions que nous étudions.

D.B. - Quel est votre but ?

M.P. - Que l'on définisse des règles claires et équitables. Justice et équité des règles fiscales et sociales pour tous ceux qui utilisent un modèle économique de partage. Ces règles ne concernent pas ceux qui oeuvrent dans l'économie du partage non capitaliste.

D.B. - Parlons un peu de financement. Les entreprises sociales et solidaires françaises comptent-elles uniquement sur des outils financiers parallèles ?

M.P. - Ces entreprises sont financées par des organisations d'État, dont une partie des financements sont orientés vers l'économie sociale et solidaire. Ce sont la Caisse des dépôts et consignations, la banque publique d'investissement Bpifrance, des fonds coopératifs, etc.

D.B. - Les acteurs de la finance traditionnelle investissent-ils l'économie sociale et solidaire ?

M.P. - Les banques peuvent s'y intéresser.

D.B. - Le 16 mars, la France a lancé les «contrats à impact social». De quoi s'agit-il ?

M.P. - Il est question d'innovation sociale. C'est une nouvelle formule pour lutter, par exemple, contre l'échec scolaire, favoriser la réinsertion des prisonniers, la lutte contre les addictions, l'intégration des migrants ou la protection de l'environnement. Les contrats à impact social existent déjà en Grande-Bretagne et en Australie [social impact bonds]. Il s'agit de solliciter des fonds privés pour financer des actions sociales. [Le Québec explore quelques projets d'obligations communautaires, du même type que les contrats à impact social.]

D.B. - Pourquoi lancez-vous ces contrats ?

M.P. - Pour réaliser de nouvelles politiques sociales que le gouvernement n'a pas les moyens financiers de déployer.

D.B. - Les contrats à impact social remplacent-ils le financement des programmes sociaux par l'État ?

M.P. - Ce n'est pas l'esprit ni le but. Ils ne doivent pas prendre la place des autres types d'accompagnement. Ils existent pour financer des politiques sociales innovantes qui n'existent pas et répondent à des besoins non comblés identifiés par les acteurs sur le terrain.

D.B. - Entre qui ces contrats sont-ils signés ?

M.P. - Les contrats à impact social impliquent quatre parties : un financeur, qui assume le risque financier, une structure ou une association, qui a un projet d'innovation sociale sous forme expérimentale, un évaluateur indépendant, qui coconstruit le projet avec l'association pour s'assurer qu'il y aura des résultats. Le quatrième acteur peut être un ministère, de la santé s'il s'agit de politiques de santé, de la justice, ou une collectivité locale ou territoriale.

D.B. - Celui qui investit dans de tels contrats a-t-il des garanties ?

M.P. - Non, il n'en a pas. A priori, le financeur retrouve son capital et un certain rendement uniquement si le projet génère un impact social selon des paramètres déterminés à l'avance. C'est lui qui prend le risque.

D.B. - Pourquoi un investisseur accepterait-il de telles conditions ?

M.P. - Parce qu'il souhaite participer à l'innovation sociale.

D.B. - Vous dites que ce seront des contrats à impact social «à la française». Qu'est-ce que cela signifie ?

M.P. - Ces contrats seront très encadrés. Ils seront validés et accompagnés par mon ministère. Nous n'allons pas simplement les laisser aller, nous serons vigilants. L'appel à projets vient d'être lancé. Il se prolongera jusqu'en mars 2017.

D.B. - Quelle place l'ESS occupe-t-elle en France ?

M.P. - Il y a du travail à faire pour qu'on cesse de la considérer uniquement comme un modèle «réparateur». Devant une entreprise en difficulté, on pense immédiatement à la transformer en Scop [société coopérative et participative] pour la sauver. Il faut casser ce réflexe. Il y a une culture différente à promouvoir, entre autres dans l'enseignement. Une chaire de l'économie sociale existe à la Sorbonne et à Dauphine.

D.B. - L'ESS intéresse-t-elle les jeunes ?

M.P. - La moitié des jeunes diplômés affirment vouloir s'y lancer. Au final, 20 % le font. Il faut continuer de promouvoir l'ESS comme modèle économique viable et souhaitable. Auprès des jeunes, mais aussi auprès de ceux qui accompagnent les entreprises. L'autre jour, j'ai cherché sur le site de la chambre de commerce de l'Île-de-France comment on proposait l'ESS. J'ai eu du mal à trouver...

D.B. - Qu'est-ce que l'ESS apporte à l'économie en général ?

M.P. - Elle lui redonne du sens, tout simplement.

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