Entrevue: Huguette Labelle, PDG, Transparency International

Publié le 24/02/2011 à 00:00

Entrevue: Huguette Labelle, PDG, Transparency International

Publié le 24/02/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Huguette Labelle, PDG, Transparency International

Conseillère à la Banque Mondiale, membre du Global Compact des Nations-Unies, participante régulière au Forum Économique de Davos, Huguette Labelle est aussi présidente du conseil de Transparency International (TI).

Connue pour son indice annuel de perception de la corruption, TI oeuvre surtout sur le terrain, auprès des chefs d'États, pour faire évoluer les mentalités et implanter des outils concrets de lutte contre la corruption. C'est une mission qu'Huguette Labelle assume avec passion depuis 2005. Je l'ai jointe à sa résidence d'Ottawa.

Diane Bérard - Où s'arrêtent les différences culturelles et où commence la corruption ?

Huguette Labelle - La corruption n'a rien à voir avec les différences culturelles. Si elle est plus présente dans certains pays que dans d'autres, c'est circonstanciel et structurel, mais certainement pas culturel.

D.B. - À Davos, le président russe Medvedev a déclaré : " Nous acceptons les conseils, mais nous refusons qu'on nous fasse la morale ". Comment concilier souveraineté des États et lutte contre la corruption ?

H.L. - Medvedev a raison, blâmer ne règle rien. Par contre, parler franchement à ces dirigeants de la perception négative de leur État est essentiel. Mais il faut aussi les inviter à joindre le mouvement mondial de lutte contre la corruption. Vous seriez surprise du nombre de chefs d'État qui m'ont avoué avoir besoin de la pression de la communauté internationale. Ils ne le disent pas publiquement, mais certains l'accueillent avec soulagement.

D.B. - Vous travaillez avec les Nations-Unies et la Banque Mondiale. Qu'en est-il du véritable intérêt des États à collaborer ?

H.L. - La réussite de la collaboration des États repose d'abord sur l'existence, dans ces pays, d'institutions régionales qui coopèrent entre elles.

D.B. - La crise économique et les plans de relance ont-ils accentué la corruption ?

H.L. - Plus il y a d'argent qui circule, plus le risque est élevé. La Banque mondiale a démontré qu'on peut perdre ou économiser jusqu'à 40 % du coût des grands projets de construction, selon qu'il y ait ou non des pots-de-vin et de la corruption.

D.B. - Transparency International propose un " pacte d'intégrité ". De quoi s'agit-il et pourquoi une entreprise le signerait-elle ?

H.L. - Un pacte d'intégrité suppose un organisme public et ses soumissionnaires. Les signataires s'engagent à ne payer ni ne réclamer aucun pot-de-vin, sinon ils s'exposent à une amende. De plus en plus d'États et d'entreprises le signent, parce qu'ils se rendent compte du coût élevé de la corruption. Imaginez que vous versiez un pot-de-vin à un client potentiel. Vous n'avez aucune idée si votre concurrent pratiquera une surenchère qui vous fera perdre le contrat. Gagner l'appel d'offres n'est guère mieux : pour absorber le coût du pot-de-vin, vous devrez prendre des raccourcis et vous exposer à une poursuite pour non-qualité. De plus, on donne rarement un seul pot-de-vin : c'est souvent le début d'une dynamique infernale, dont il est impossible, voire dangereux, de s'extraire.

D.B. - Quelle méthode de lutte à la corruption estimez-vous la plus efficace ?

H.L. - L'accès à l'information. Nous insistons pour que les États, les villes et les quartiers affichent en détails le budget de leurs écoles, de leurs cliniques, de leurs travaux d'infrastructures, etc. Si, par exemple, on lit que tant de dollars ont été consacrés à la construction d'une route ou à l'embauche de professeurs et que rien n'a été fait, les citoyens pourront réclamer des comptes.

D.B. - Croyez-vous aux sites citoyens comme ipaidabribe.com ?

H.L. - Ils sont essentiels. Les citoyens doivent prendre conscience que personne n'est obligé de subir la corruption; on peut en effet la combattre. Mais dénoncer ne suffit pas. La population doit travailler de concert avec le gouvernement et proposer des améliorations.

D.B.- Pas facile d'être juste lorsque vos concurrents ne respectent pas les règles...

H.L. - En effet, il faut faire front commun, comme l'a fait TNT, ce géant du transport qui en a eu marre de subir les exigences répétées de douaniers malhonnêtes. Il a approché ses concurrents et, ensemble, ils ont rencontré les représentants de gouvernement du Viêt-Nam, un pays où les affaires s'avéraient de plus en plus pénibles à mener. Leur proposition : " Nous allons payer des frais de douane plus élevés et vous prendrez cet argent pour augmenter le salaire de vos douaniers. De plus, vous établirez une politique sans pot-de-vin clairement affichée, assortie de sanctions. " Ce front commun a porté ses fruits, la situation s'est améliorée.

D.B. - Est-ce qu'il suffit de mieux rémunérer les fonctionnaires ?

H.L. - Dans le cas où le salaire du fonctionnaire ne lui permet même pas de vivre décemment, la tentation de la corruption est évidente. Augmenter la rémunération aide. Par contre, je peux vous citer deux exemples où une hausse de salaire a eu des effets opposés. Après avoir augmenté les honoraires des juges dans le pays A, la population a reconnu que les causes étaient entendues plus rapidement et traitées de façon plus juste. Par contre, dans le pays B, multiplier par quatre le salaire des policiers a été catastrophique. Ils ont carrément cessé de patrouiller, car auparavant, ils patrouillaient pour entrer en contact avec les citoyens et leur réclamer des pots-de-vin...

D.B. - Vous dirigez le conseil de Transparency International depuis cinq ans. Y a-t-il encore des actes de corruption qui vous révoltent ?

H.L. - Tout ce qui est lié à la santé. Par exemple, détourner des vaccins et les diluer pour en vendre une plus grande quantité. Lorsqu'ils sont injectés aux patients dans les cliniques, leur efficacité est évidemment moindre, sinon nulle.

" De nombreux chefs d'État m'ont avoué avoir besoin de la pression de la communauté internationale [pour agir contre la corruption]. Ils ne le disent pas publiquement, mais certains l'accueillent avec soulagement. " Huguette Labelle

LE CONTEXTE

Le gouvernement Charest a annoncé la création d'une unité permanente anticorruption dotée de 189 employés et d'un budget de 31 M$. Les réflexions et les solutions d'une pionnière de ce combat appuient l'importance de lutter de façon continue contre ce fléau.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Jusqu'en 1996, la plupart des pays de l'OCDE permettaient de déduire les pots-de-vin sur présentation de pièces justificatives.

PALMARÈS 2010 DE TRANSPARENCY INTERNATIONAL

Sur une échelle de 10 (1 = + corrompu, 10 = - corrompu)

Les pays perçus les moins corrompus

1 Danemark 9,3

2 Nouvelle-Zélande 9,3

3 Singapour 9,3

4 Finlande 9,2

5 Suède 9,2

6 Canada8,9

Les cinq pays perçus les plus corrompus

1 Somalie 1,1

2 Myanmar 1,4

3 Afghanistan 1,4

4 Iraq 1,5

5 Ouzbékistan 1,6

Source : Transparency International

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