"L'Europe n'avance que lors des crises"

Publié le 21/05/2011 à 00:00, mis à jour le 26/05/2011 à 12:08

"L'Europe n'avance que lors des crises"

Publié le 21/05/2011 à 00:00, mis à jour le 26/05/2011 à 12:08

Par Diane Bérard

Crédit: Bloomberg

Saint-Gobain est l'une des 40 plus importantes sociétés françaises. La manufacture de miroirs de 1665 est devenue, trois siècles plus tard, une société spécialisée dans l'habitat durable qui emploie 189 193 personnes. Son pdg, Pierre-André de Chalendar, siège aussi au conseil de Veolia Environnement, un autre ténor de l'économie française. Je l'ai joint à ses bureaux de Courbevoie, près de Paris.

Diane Bérard - Entre vos implantations au Brésil et en Chine, vous avez inauguré une nouvelle usine à Chemillé, au nord-ouest de la France. Est-ce encore justifié économiquement de produire dans un " vieux " pays ?

PIerre-André de Chalendar - Près de 90 % des produits que nous fabriquons sont vendus dans la région où ils sont produits. C'est une règle, peu importe le pays, car les coûts de transport sont une composante importante de nos coûts totaux. L'usine de Chemillé, par exemple, fabrique de la laine de verre. Pour ce produit, dès qu'un trajet dépasse 500 km de l'usine, vous ajoutez 25 % au coût de transport final.

d.b. - Saint-Gobain est présente dans 65 pays. Misez-vous surtout sur les zones émergentes ?

p.-a.d.C. - Je crois qu'il faut répartir les risques. Disons que Saint-Gobain ne sera pas qu'en Chine.

d.b. - Même si Saint-Gobain a connu une forte croissance de ses revenus en 2010, on est encore loin des résultats d'avant la crise. Le retour à la " normale ", c'est pour quand ?

p.-a.d.c. - J'espérais 2012, mais j'entrevois plutôt 2013. En fait, il faudrait poser cette question aux Américains : quand vont-ils se remettre à construire ?

d.b. - Quelles sont vos trois priorités pour la prochaine année ?

p.-a.d.c. - D'abord, faire accepter à mes clients que je doive augmenter mes prix. Saint-Gobain ne doit pas réduire ses marges, et ce, malgré la croissance des coûts des matières premières et de l'énergie. Ensuite, conserver les bénéfices que nous avons récoltés durant la crise. Nous avons réussi à abaisser nos coûts, et il faut rester vigilants alors que la crise s'estompe. Enfin, nous devons redémarrer en mode croissance, surtout dans le secteur de l'efficacité énergétique et dans les pays émergents.

d.b. - La zone euro, vous y croyez ? Résistera-t-elle ?

p.a.d.c. - On a implanté l'euro sans prévoir les mécanismes de coordination fiscale nécessaires. Je crois qu'il est temps de le faire. J'ai confiance qu'on y arrivera, car l'Europe n'avance que lors des crises.

d.b. - Après 350 ans d'histoire, l'illustre Saint-Gobain a changé de mission. Pourquoi ?

p.-a.d.c. - En fait, nous n'avions plus de définition de notre mission depuis plusieurs années déjà. La société a évolué pendant les décennies 1990 et 2000. Si Saint-Gobain a longtemps été associée aux métiers du verre, cela représente aujourd'hui 40 % de nos affaires. Nous avons donc cherché comment refléter davantage notre nouveau portefeuille diversifié. La réponse : définissons-nous en fonction de notre marché plutôt que des produits que l'on vend. La mission de Saint-Gobain est donc devenue l'habitat.

D.b. - Comment le fait de définir votre mission par rapport à votre marché a-t-il influencé votre organisation ?

p.-a.d.c. - La structure n'a pas changé, mais notre façon de travailler, si. Nous posons davantage de gestes transversaux. Par exemple, les services entreprennent des actions conjointes de lobby pour influencer une réglementation plus verte qui favorisera tous nos produits. Nous nous regroupons aussi pour mener des actions clients, puisque nous sommes tous centrés sur le marché de l'habitat et non sur nos produits respectifs.

d.b. - Votre repositionnement du côté de l'habitat s'inscrit dans la tendance du développement durable. N'est-ce pas risqué de tout miser sur une tendance ?

p.-a.d.c. - Attention, c'est une tendance durable. En Europe, près du tiers de l'énergie dépensée sert à chauffer les maisons et les bâtiments. Les nouvelles normes de construction vont toutes dans le sens des économies d'énergie. Sans compter la lutte contre le réchauffement climatique et la flambée des prix du pétrole.

d.b. - Alors que nous désespérons de la flambée du prix du carburant, vous devez vous réjouir...

p.-a.d.c. - À court terme, certainement pas. Nous sommes comme toutes les autres entreprises, chaque hausse vient augmenter nos coûts de production. La fabrication du verre, par exemple, exige beaucoup d'énergie. Sans compter le transport. En revanche, contrairement aux autres secteurs, nous y gagnons à moyen terme, car cette augmentation du prix du carburant accroît la demande pour nos produits isolants.

d.b. - Saint-Gobain fabrique des panneaux solaires, mais ceux-ci ne ressemblent en rien à ceux que l'on connaît. Expliquez.

p.-a.d.c. - Nous prenons l'esthétique en considération. C'est pourquoi nous coupons nos panneaux pour en faire de petites tuiles ressemblant à des ardoises. Le résultat donne un coup d'oeil plus harmonieux que les panneaux traditionnels.

d.b. - Vous êtes dans le marché du solaire et, pourtant, votre entreprise s'est prononcée contre les subventions gouvernementales à ce secteur. Étonnant, non ?

p.-a.d.c. - Les subventions sont utiles pour créer un marché. Mais je n'y crois pas à long terme. Toute entreprise doit avoir un prix de revient qui lui permette de soutenir la demande sans subvention. La question : quand atteint-on le moyen terme ? La réponse varie selon le pays. Elle est conditionnée par deux facteurs : le nombre d'heures d'ensoleillement et le prix de l'électricité alternative. Par exemple, le solaire est déjà rentable sans subvention dans le sud de l'Italie. On peut aussi affirmer que l'industrie du solaire canadienne aura besoin de subventions plus longtemps que celle du Texas.

d.b. - Plusieurs personnes disent de vous que vous n'avez pas d'ego. Un pdg sans ego, est-ce possible ?

p.-a.d.c. - Je laisse aux autres leur jugement sur moi. Pour ma part, je crois qu'un pdg doit avoir de la personnalité plutôt que de l'ego. C'est fort différent. L'ego peut conduire à confondre les décisions qui sont bonnes pour l'entreprise et les positions personnelles.

d.b. - Quel est, pour vous, le pire échec que puisse connaître un pdg ?

p.-a.d.c. - Le départ d'un proche collaborateur. Former des équipes, les entraîner à travailler ensemble, c'est l'essence de mon rôle de pdg. S'ils démissionnent, c'est que j'ai failli, que je n'ai pas su les motiver. Comme pdg, je dois le sentir lorsque mes collaborateurs se sentent à l'étroit, qu'ils ont besoin d'évoluer. Et je dois tenter l'impossible pour satisfaire ce besoin.

d.b. - Vous affirmez détester les conflits, mais ceux-ci font partie de la vie. Comment les gérez-vous ?

P.-a.d.c. - Je fais la distinction entre les conflits portant sur des sujets et les conflits entre des personnes. Les premiers sont liés à des situations objectives, par exemple vous n'avez pas la même vision que votre collègue sur un dossier ou un projet. Ces conflits-là, je ne cherche pas à les éviter. Par contre, je ne tolère pas les conflits entre mes collaborateurs. Lorsque cela survient, car je ne peux l'empêcher, j'interviens immédiatement. J'" attrape " mes collaborateurs et je leur parle.

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