Entrevue n°299 : Charles-Édouard Bouée, pdg, Roland Berger


Édition du 03 Septembre 2016

Entrevue n°299 : Charles-Édouard Bouée, pdg, Roland Berger


Édition du 03 Septembre 2016

Par Diane Bérard

«La Chine tente de passer du rêve américain au rêve chinois, du rêve individuel au rêve collectif» - Charles-Édouard Bouée, pdg, Roland Berger.

La réunion annuelle des pays du G20 se tiendra les 4 et 5 septembre prochains à Hangzhou, en Chine. Les Affaires en profite pour faire le point sur cette économie, aussi immense que mystérieuse, avec le consultant Charles-Édouard Bouée. Celui-ci a dirigé les activités asiatiques de Roland Berger, avant de prendre la direction de ce groupe-conseil. Il est l'auteur de Comment la Chine change le monde.

Diane Bérard - Selon vous, l'année 2008 a marqué un tournant décisif dans l'économie chinoise. Pourquoi ?

Charles-Édouard Bouée - Cette année correspond à la fin d'un cycle de 30 ans. En 1978, l'économie chinoise s'est ouverte au monde. Au moment de trouver un nouveau modèle économique, le gouvernement de Deng Xiaoping a exploré ce qui existait. Le modèle russe communiste ? Non, il ne fonctionne pas. Le modèle japonais ? Trop compliqué, trop insulaire. Deng Xiaoping a finalement opté pour le modèle américain, le plus simple à reproduire. Il était plus facile de mobiliser la population autour d'un modèle hypersimple avec un message comme «Enrichissez-vous !». Pendant 30 ans, on a vu les Chinois venir étudier en Amérique et y envoyer leurs enfants. Laisser-faire gouvernemental, consommation, émergence de la classe moyenne, etc., tout y est passé. L'américanisation a été particulièrement remarquable sur la côte est de la Chine : grosses voitures, grosses maisons, grosses portions au restaurant... Puis, il y a eu 2008 et la crise des subprimes [prêts à risque] aux États-Unis, avec des conséquences planétaires. Pour la Chine, cette crise a été une bénédiction. Elle lui a donné la justification nécessaire pour changer de modèle économique. Il avait atteint sa limite, on touchait à la fin de cycle. Mais comment justifier ce changement auprès d'une population américanisée ? La crise des subprimes tombait à point nommé.

D.B. - Pourquoi la Chine devait-elle changer de modèle économique ?

C.-E.B. - Quatre facteurs expliquent la transition. D'abord, les inégalités de richesse ont atteint un niveau plus important en Chine qu'aux États-Unis. Cela est intolérable dans un modèle capitalistico-communiste. Ensuite, le niveau de corruption est devenu trop élevé. Il bloquait carrément la croissance économique. Un peu comme lorsqu'un individu voit ses artères obstruées. Avec le même niveau de pression, l'individu, ou l'économie, performe moins. Il faut débloquer les artères et faire circuler le sang à nouveau. Puis, on a vu se multiplier les mauvaises pratiques économiques pour s'enrichir. Des produits contaminés ou contrefaits ont mis en péril la santé de la population. Ces dérives éthiques indiquent une dérive du modèle économique. Enfin, le niveau de pollution de l'air, de l'eau et du sol lance un signal important : le modèle chinois de développement n'est plus soutenable.

D.B. - Qu'est-ce qui lui a donné confiance en sa capacité d'effectuer ce virage ?

C.-E.B. - En 2008, deux événements majeurs se sont produits : le tremblement de terre au Sichuan et les Jeux olympiques d'été. L'un et l'autre ont permis à la Chine de démontrer sa nouvelle stature, à elle-même et au reste de la planète. Dans le cas du tremblement de terre, la Chine a géré la situation au cours des premiers jours qui ont suivi le sinistre. L'aide internationale n'est venue que plus tard. Quant aux Jeux olympiques, une nation ne peut les accueillir si elle n'a pas une certaine envergure. Elle doit démontrer sa capacité de recevoir le monde.

D.B. - Après avoir vendu le capitalisme aux Chinois, que prône désormais le gouvernement ?

C.-E.B. - Il tente de passer du rêve américain au rêve chinois, du rêve individuel au rêve collectif.

D.B. - La Chine entre dans l'ère de l'élimination des dommages collatéraux. Ce sera long ?

C.-E.B. - Ce pays fonctionne par cycles de 30 ans. C'est le temps qu'il faudra pour éliminer les dommages causés par la période précédente. Par exemple, pour l'avenir, la Chine s'est donné des normes antipollution aussi élevées que celles des pays européens. Mais ça prendra 10, 20 et même 30 ans pour tout nettoyer. Une génération sera touchée : malformations, cancers, etc. Mais ce pays a un avantage important : son gouvernement fort.

D.B. - Vous dites que la Chine a un gouvernement fort, mais l'est-il suffisamment pour garantir la paix sociale ?

C.-E.B. - Dans un pays aussi populeux, c'est un défi. Il faut protéger la base de la pyramide. La croissance des inégalités a fait mal. En Chine, la paix sociale tient à deux choses : des aliments abordables et le sentiment que les inégalités ne sont pas trop prononcées.

D.B. - Les mesures de stimulus ont eu un effet pervers dont il faut se débarrasser...

C.-E.B. - Elles ont créé de la surcapacité dans plusieurs secteurs. Il faut l'éliminer en même temps que l'on modernise l'économie. Des secteurs dominés par les sociétés d'État - l'automobile, le ciment, le béton, l'acier - doivent évoluer. On ferme des sociétés. Il faut redéployer les employés dans d'autres entreprises. En 2015, la Chine a créé 15 millions de nouveaux emplois dans les villes.

D.B. - On a le sentiment que la Chine a deux économies parallèles...

C.-E.B. - En effet, il y a la vieille économie en surcapacité et l'économie de la technologie et des entrepreneurs.

D.B. - La Chine renoue avec ses racines marchandes. Expliquez-nous.

C.-E.B. - Le peuple chinois a longtemps été un peuple de commerçants. Aujourd'hui, on veut stimuler l'entrepreneuriat. La Chine compte plus de 1 500 incubateurs d'entreprises et plus d'une centaine de parcs scientifiques universitaires. Et ce que plusieurs décrient, le protectionnisme chinois, fait la force de ces entreprises. Les entrepreneurs chinois sur Internet bénéficient d'un marché de consommateurs immense et protégé. Et, contrairement à une économie protégée à la façon communiste, la Chine n'a pas à composer avec des oligarques. Elle a des entrepreneurs. C'est une combinaison plutôt unique : un gouvernement fort qui protège l'économie et des entrepreneurs forts qui se font une vive concurrence. Tout ça dans un marché intérieur suffisamment grand pour tous.

D.B. - Le ralentissement économique effraie de nombreux chefs d'État et d'entreprise.

C.-E.B. - Cette inquiétude est injustifiée. Il faut voir au-delà des pourcentages. Une croissance économique de 5 % aujourd'hui a un impact bien plus important qu'une croissance de 10 % il y a 10 ou 15 ans. Aujourd'hui, la Chine a une base bien plus solide qu'il y a 10 ou 20 ans. Il faut donc regarder le PIB et non le taux de croissance.

D.B. - Vous observez trois transformations parallèles. Outre la rénovation de l'ancienne économie et la montée de l'entrepreneuriat, quelle est la troisième ?

C.-E.B. - L'ouverture de la Chine en cercles concentriques. Les entrepreneurs occupent d'abord leur pays. Ensuite, les pays limitrophes. C'est la nouvelle route de la soie imaginée par le président Xi Jinping. Elle relie par terre et par mer la Chine aux autres pays d'Asie, d'Europe et même d'Australie. Enfin, il y a le déploiement des capitaux chinois dans le monde. Attention : les Chinois veulent faire des affaires avec l'étranger, mais ils ne tiennent pas nécessairement à s'y installer.

D.B. - Quel message aimeriez-vous laisser à nos lecteurs ?

C.-E.B. - Si vous voyez trois Chine, c'est normal. La Chine polluée en surcapacité cohabite avec la Chine survoltée qui s'éparpille et la Chine qui investit méthodiquement. Ce pays entame la plus grande transformation de son histoire.

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