Entrevue: Howard Schultz, PDG, Starbucks

Publié le 23/04/2011 à 00:00

Entrevue: Howard Schultz, PDG, Starbucks

Publié le 23/04/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Howard Schultz, PDG, Starbucks

Trois ans après le retour houleux à la barre de Starbucks de son fondateur et président du conseil, Howard Schultz, la chaîne de cafés a retrouvé son âme. Mais sa stratégie a changé : la plupart des 500 prochains établissements se trouveront à l'extérieur des États-Unis et un des plus grands vecteurs de croissance sera le café vendu en épicerie.

En pleine tournée de promotion de son livre Onward: How Starbucks Fought for Its Life without Loosing Its Soul, Howard Shultz raconte par quels extrêmes Starbucks a dû passer pour renouer avec ses clients.

Diane bérard - Starbucks a entamé la lutte pour sa survie en 2008. Quelle est la décision la plus " extrême " que vous ayez prise pour vous en sortir ?

Howard Schultz - J'en ai pris deux. Le 26 février 2008, à 17 h 30, nous avons mis à la porte tous les clients de nos 7 100 établissements. Puis, pendant trois heures, nous avons formé à nouveau nos 100 000 employés. Ce jour-là, nous avons perdu sept millions de dollars (M$). Sans compter l'effet média et nos concurrents qui ont affûté leurs couteaux, prêts à dépecer notre cadavre. Peu importe, c'était essentiel. Pour que nos clients redeviennent amoureux de Starbucks, il fallait que nos employés retombent amoureux de leur métier. L'autre décision fut prise en octobre 2008. Au plus fort de la crise, j'ai maintenu notre conférence biannuelle sur le leadership pour nos 11 000 gérants. La pression était forte pour que je l'annule. J'ai résisté. Jamais pareille conférence n'avait été aussi nécessaire. Nos gérants tenaient la clé de notre transformation. Si nous n'arrivions pas à les galvaniser, c'était fichu. Cette fois, la facture s'est élevée à 30 M$, mais je suis convaincu que, sans ces deux décisions, nous n'aurions jamais pu ramener l'âme de Starbucks.

D.B - Pourquoi avoir tenu votre réunion de gestionnaires de 2008 à la Nouvelle-Orléans, alors qu'elles ont toujours eu lieu à Seattle ?

H.S. - J'ai suivi mon instinct. Comme Starbucks, la Nouvelle-Orléans livrait une bataille pour sa survie. D'ailleurs, le programme de la conférence comprenait du bénévolat pour contribuer à la reconstruction. Mon pari aurait pu tomber à plat. Cette conférence nous a au contraire rapprochés, elle a ramené la culture Starbucks. Conserver l'équilibre entre rendement pour l'actionnaire et conscience sociale a toujours été notre défi.

D.B. - Quel était le risque de fermer tous vos établissements pendant trois heures pour former de nouveau vos 100 000 employés ?

H.S. - Nous avons admis au monde entier que nos employés avaient besoin de formation... Faire cela équivaut à reconnaître que votre entreprise souffre d'un problème de qualité généralisé. Mais, dans un contexte de gestion de risque, j'ai estimé que le risque associé à ne pas le faire - et laisser Starbucks continuer à perdre son âme - était supérieur à celui découlant de cet aveu public.

D.B. - On ne perd pas son âme du jour au lendemain. À quels signes avez-vous reconnu que celle de Starbucks s'atrophiait ?

H.S. - Il n'y avait aucun signe particulier, mais plutôt un sentiment diffus que notre expansion cachait nos problèmes. Pendant 16 ans, nous avons connu une croissance continue. Pourtant, quelque part en 2007, un des mes collaborateurs m'a confié, mi-figue mi-raisin, " Howard, tu rends les gens trop riches. Certains commencent à croire que cela n'aura pas de fin ". Il avait raison. Et cette croissance avait un prix : au nom de l'efficacité, nous avons perdu notre âme. Nous avons accepté trop de compromis pour nourrir notre expansion.

D.B. - Quel était le principal problème de Starbucks ?

H.S. - Nous avons " commoditisé " Starbucks en pensant productivité et efficacité aux dépens de l'expérience client. Notre croissance nous a menés à mesurer et à récompenser les mauvaises activités. Ainsi, la vitesse d'exécution pour les cafés de même que les ventes par magasin ont pris plus d'importance que la qualité du moment passé dans nos établissements. Par exemple, nous avons installé des machines à expresso plus rapides, mais qui étaient trop hautes et empêchaient nos employés de voir les clients. Lorsque vous mesurez et récompensez des activités qui vous éloignent de votre mission, tôt ou tard, votre culture s'effrite. Nous transmettions le mauvais message à nos employés. De la même façon, nous avons ajouté au menu du déjeuner des sandwichs dont la cuisson masquait l'odeur du café. Ces mets rapportaient bien, ce qui plaisait à nos gérants. Mais chaque fois qu'un employé faisait chauffer un de ces sandwichs, nos établissements sentaient de moins en moins le café et de plus en plus le fromage. Voilà comment la croissance d'une entreprise peut cacher ses problèmes.

D.B. - N'est-il pas normal pour une entreprise de viser l'efficacité ?

H.S. - Il n'y a rien de mal à vouloir être efficace, mais la ligne est bien mince entre la décision qui accroît votre efficacité et celle qui dilue votre marque ainsi que l'expérience que vous offrez à vos clients. La croissance continue nous a fait perdre de vue que Starbucks offre bien plus qu'une tasse de café à ses clients. Elle crée un environnement. Notre mission ne consiste pas à servir du café, mais bien à dépasser les attentes de chaque client qui se présente dans nos établissements. Et, pour y arriver, nous devons d'abord aller au-delà des attentes de nos employés, car ce sont eux qui incarnent notre culture.

D.B. - Le 14 février 2007, vous vous êtes vidé le coeur face à la dilution de la marque Starbucks dans un courriel destiné à votre équipe de direction. Ce courriel s'est retrouvé sur Internet et dans les médias. Qu'avez-vous appris de cette expérience ?

H.S. - Je me suis senti trahi. Longtemps, j'ai cherché qui avait commis cet acte. Aujourd'hui, ça n'a plus d'importance. Rendre cette note publique ressemblait à divulguer un lourd secret de famille. Je me suis contenté de dire que tout était vrai, mais j'ai refusé d'accorder des entrevues. Quant à la leçon que j'en ai tirée : à l'ère des médias sociaux, aucune entreprise n'est maîtresse de ce qu'on raconte sur elle. L'histoire de Starbucks ne peut se vivre uniquement dans nos établissements, elle doit aussi se poursuivre sur le Web.

D.B. - Vous avez envoyé ce courriel avant la crise et alors que Starbucks ne se portait pas si mal. Comment arrive-t-on à convaincre son équipe qu'il y a crise et qu'il faut changer, même si l'entreprise croît ?

H.S. - Ce n'est pas facile, mais cela se fait. Il faut convaincre ses collaborateurs et ses employés de regarder autre chose que la ligne du bas et le prix de l'action. Je me suis mis à parler de l'expérience dans nos établissements. En 10 ans, nous sommes passés de 1 000 à 13 000 cafés. Pour y arriver, nous avons pris de nombreuses décisions qui, évaluées isolément, semblaient justes. Mais additionnées les unes aux autres, elles ont banalisé notre offre et la valeur de notre marque.

D.B. - La traversée du désert qu'a connue Starbucks ne menace-t-elle pas toutes les entreprises à succès comme la vôtre ?

H.S. - La confiance et l'arrogance ne se trouvent jamais bien loin l'une de l'autre. S'il y a une leçon à tirer de la crise que nous venons de traverser, c'est que le succès confère un faux sentiment d'invincibilité. C'est ce qui explique que d'autres entreprises ont chuté avant nous, et que d'autres le feront demain. Elles ont oublié que le succès n'est pas un droit.

D.B. - En quoi le fait que votre entreprise soit cotée en Bourse a-t-il influencé votre stratégie de gestion de cette crise ?

H.S. - Non seulement nous sommes cotés en Bourse, mais Stavrbucks est une marque-culte. Nous évoluons donc sous un microscope deux fois plus grossissant ! Il a fallu évaluer deux fois plus les conséquences de chacune de nos décisions. Quant à notre stratégie, nous devions à la fois rebâtir la confiance de nos clients, qui ne vivaient plus chez nous l'expérience que nous leur avions promis, et celle de Wall Street.

Contexte

Howard Schultz lance son livre confession au moment où Starbucks se sent prêt à affronter de nouveaux défis. Le marché américain est saturé, soit ! Mais le géant américain met le cap sur l'Asie, l'Amérique du Sud et le Québec.

Saviez-vous Que...

Le premier Frappuccino Starbucks fut développé en 1993 par des baristas du sud de la Californie qui s'amusaient à expérimenter des mélanges de café et de glace.

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