Entrevue n°140: Richard Goldstone, commissaire auprès des nations unies

Publié le 26/01/2013 à 00:00

Entrevue n°140: Richard Goldstone, commissaire auprès des nations unies

Publié le 26/01/2013 à 00:00

Par Diane Bérard

Richard Goldstone, commissaire auprès des nations unies

 

À 74 ans, le juge sud-africain Richard Goldstone a vu son lot de corruption. Il fut, entre autres, procureur au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et à celui pour le Rwanda. Il préside aussi la commission d'enquête sur la corruption dans le programme «Pétrole contre nourriture» des Nations Unies, où 2 500 entreprises ont payé des pots-de-vin au gouvernement irakien pour décrocher des contrats.

Diane Bérard - Pourquoi plusieurs entreprises affichent-elles un comportement éthique dans certains pays et pas dans d'autres ?

RICHARD GOLDSTONE - Ces entreprises affirment ne pas avoir le choix. Je dirais plutôt que laisser ses valeurs à la frontière d'un pays pour faire des affaires relève d'un choix. Un choix dicté par la facilité, la peur ou l'appât du gain. Après tout ce que j'ai vu, je reste convaincu qu'aucune circonstance ne justifie le paiement d'un pot-de-vin.

D.B. - Dans le programme «Pétrole contre nourriture» en Irak, qu'est-ce qui différencie les fournisseurs qui ont payé des pots-de-vin pour obtenir des contrats de ceux qui ne l'ont pas fait ?

R.G. - À première vue, absolument rien. Les entreprises qui ont souscrit à la corruption venaient de tous les pays. Certaines étaient petites, d'autres, très grandes. Certaines riches, d'autres moins. Impossible de tracer un portrait-robot de l'entreprise qui joue le jeu de la corruption ni de celle qui résiste.

D.B. - Les fonctionnaires irakiens avaient reçu l'ordre de Sadaam Hussein de réclamer un pot-de-vin de 15 % sur chaque contrat. Pourquoi près de la moitié des entreprises ont-elles réussi à avoir des contrats sans payer de pots-de-vin ?

R.G. - C'est simple : elles ont refusé d'en payer, et ça a fonctionné. Imaginez que vous êtes un fonctionnaire corrompu. Vous tentez votre chance auprès de toutes les entreprises. Si certaines résistent, allez-vous vous acharner ou plutôt arrondir vos fins de mois avec celles qui collaborent ? Les entreprises qui estiment ne pas avoir eu le choix de payer ont-elles essayé de résister ?

D.B. - Comment avez-vous réussi à assembler les preuves nécessaires pour mettre à jour ce scandale ?

R.G. - Nous avons mis la main sur les preuves parfaites : les rapports préparés par chacun des ministères irakiens pour Sadaam. Aucun fonctionnaire ne voulait subir les foudres de Sadaam pour non-respect de ses ordres. Ils voulaient prouver que les pots-de-vin avaient bel et bien été encaissés. Tout était documenté : le nom des entreprises, les sommes versées. Après la chute de Sadaam, la commission d'enquête a eu accès à tous ces documents. Au total, nous avons trois millions de documents. L'enquête dure depuis près de deux ans. Et ce n'est pas fini. Il nous reste encore des pays sur lesquels enquêter.

D.B. - À combien s'est élevé le pot-de-vin le plus élevé de ce scandale ?

R.G. - Il s'agit d'une somme de 240 millions de dollars pour décrocher un contrat de 1,2 milliard de dollars.

D.B. - Les Nations Unies en ont pris pour leur rhume dans cette histoire...

R.G. - Personne n'est au-dessus de la loi. Pas même le Secrétariat général qui se trouve au 38e étage de l'édifice des Nations Unies. On a saisi et fouillé ses ordinateurs comme ceux de tous les autres employés.

D.B. - Certains projets appellent-ils plus la corruption que d'autres ?

R.G. - Le programme «Pétrole contre nourriture» était un projet de 100 G$. À peine 13 vérificateurs étaient affectés à la surveillance. Il en aurait fallu au moins cent.

D.B. - Comment brise-t-on un système corrompu ?

R.G. - En reconnaissant d'abord son existence. Qu'il ne s'agit pas de comportements ad hoc. Et puis, il faut faire comprendre aux têtes dirigeantes qu'on ne les protégera pas, qu'elles ne sont pas immunisées contre les enquêtes. Les dérives morales commencent au sommet. Par manque de leadership devant les écarts ou carrément par malhonnêteté. Regardez le gâchis du tabloïd News of the World de Rupert Murdoch. Pendant des années, on a mis sous écoute des personnalités publiques pour pouvoir révéler des détails juteux de leur vie dans le tabloïd. Ce manque d'éthique faisait partie intégrante de la culture de News of the World. Lorsque l'existence d'un système de corruption est connue, il faut des preuves. Cela suppose que vous disposez d'un système de contrôle et de vérification.

D.B. - Quel parallèle faites-vous entre harcèlement sexuel et corruption ?

R.G. - Il est devenu naturel pour les entreprises de faire savoir à leur personnel qu'elles ne toléreront aucune forme de harcèlement sexuel. Le code de conduite est connu, les sanctions aussi. Aucun dirigeant n'oserait affirmer que certaines circonstances justifient la pratique du harcèlement sexuel. C'est un comportement officiellement décrié. Tant que les entreprises n'emprunteront pas la même attitude face à la corruption, elles en seront esclaves. Pour ma part, je ne vois aucun problème à licencier des employés qui ont souscrit à la corruption pour lancer un message à tout le personnel.

D.B. - Votre suggestion pour lutter contre la corruption est plutôt extrême...

R.G. - On connaît déjà le concept de délateur, c'est-à-dire l'employé qui dénonce des pratiques corrompues de son employeur. Certaines entreprises ont installé des lignes téléphoniques consacrées à la délation, qui permettent aux employés d'exposer de façon anonyme certains comportements déviants. Pourquoi les dirigeants ne pourraient-ils pas faire de même ? Imaginons que l'entreprise sollicitée pour un pot-de-vin publie un communiqué de presse pour révéler cette tentative d'extorsion à tous. Et surtout, pour mettre en garde les autres entreprises contre cette pratique.

D.B. - Vous avez présidé nombre de commissions d'enquête au cours de votre carrière, qui ont dévoilé le côté sombre des humains. Y a-t-il encore des choses qui vous surprennent ?

R.G. - On ne s'habitue pas. Prenez le programme «Pétrole contre nourriture» ; je m'étonne encore du nombre de dirigeants qui ont accepté de violer les règles en sachant que leur comportement contribuait à priver des gens affamés de nourriture. Parce qu'ultimement, c'est de cela qu'il s'agit.

D.B. - Quel fut votre dossier de corruption le plus difficile ?

R.G. - L'enquête sur la violence qui a eu cours en Afrique du Sud entre 1991 et 1994, après la sortie de prison de Mandela. Nous avons découvert que cette violence avait été induite par la police et le gouvernement pour justifier le maintien du système d'apartheid.

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