Les iconoclastes de la finance personnelle


Édition du 23 Septembre 2017

Les iconoclastes de la finance personnelle


Édition du 23 Septembre 2017

Depuis toujours, on louange les vertus de la «magie de l'intérêt composé», on incite à épargner dès le premier boulot chez McDo, on conseille de rembourser les dettes le plus rapidement possible.

A-t-on raison de le faire ? Pour certains dévots de la finance personnelle, le seul fait de poser la question est un blasphème. Il se trouve pourtant des gens sérieux pour oser remettre en question ces préceptes. Et ce ne sont pas des anarchistes, mais des planificateurs financiers.

Avec les années, formules superficielles, calculs fallacieux et cas d'exception ont été à ce point rabâchés qu'ils ont fini par se tailler une belle place dans le petit catéchisme de la finance personnelle. Tellement qu'on ne pense même plus à les contester.

Nous vous présentons un florilège des mythes et des clichés, ainsi que des iconoclastes prêts à les passer au tordeur.

Éric Brassard

DE L'INTÉRÊT COMPOSÉ QUI N'A RIEN DE MAGIQUE

On lui prête la capacité de multiplier l'argent comme Jésus le pain. Conseillers et commentateurs (dont moi-même), armés du sempiternel graphique qui illustre une croissance quasi exponentielle de l'épargne, ont louangé à un

moment ou à un autre les pouvoirs surnaturels de l'intérêt composé... «Les gens se laissent endormir avec ça», dit Éric Brassard, CPA, CA et planificateur financier chez Brassard Goulet Fargeau, Services financiers intégrés.

À 5 %, un épargnant qui aurait investi 1 000 $ aurait 1 050 $ au bout de 1 an, 1 275 $ après 5 ans, puis 5 000 $ après... 33 ans. Et ce, sans rien faire. Magique ? «C'est une erreur courante de comparer des montants dans le temps. Dans 48 ans, on se retrouvera en effet avec 10 000 $, mais ce montant n'est pas en dollars d'aujourd'hui. Il n'y a pas de quoi s'exciter», dit M. Brassard.

Dans un contexte où l'on peut toujours espérer un rendement identique (5 %) - et c'est ainsi que l'on vante l'effet magique de l'intérêt composé -, 10 000 $ en 2065 équivaut à 1 000 $ en 2017, selon M. Brassard. «C'est toujours la même somme. Tout ce que la courbe nous montre, c'est qu'on a fait 5 % de rendement. Il n'y a rien de magique dans ça !»

IL FAUT COMMENCER À ÉPARGNER TÔT

La «magie» de l'intérêt composé est souvent la prémisse à l'origine d'un des canons de la finance personnelle : «Il faut commencer à épargner tôt.» Généralement, c'est ici que le conseiller bien intentionné sort le graphique illustrant l'effet cumulé de l'intérêt composé. «En commençant à 20 ans, il te faudra investir telle somme chaque mois pour atteindre tel objectif, grâce à l'intérêt composé. Si tu débutes 10 ans plus tard, l'effort mensuel sera beaucoup plus grand», explique ce conseiller, sans dire un mot de la valeur de l'argent dans 10 ans ni de la capacité d'épargne qui s'accroît généralement avec l'âge.

«C'est vrai que si je place 1 000 $ à 20 ans, je serai plus riche de l'équivalent de 1 000 $ dans 45 ans, observe Éric Brassard. Cependant, il y a toujours un coût de renonciation auquel il faut penser : «Si je place 1 000 $, je devrai peut-être renoncer à faire un voyage qui me déniaiserait pour le reste de ma vie. Je ne pourrai pas non plus l'investir dans une formation qui me permettrait d'obtenir 50 000 $ de plus par année dans 20 ans», poursuit M. Brassard.

«Je ne dis pas qu'il ne faut pas épargner et commencer tôt à le faire, poursuit-il. Mieux vaut plus tôt que trop tard. Je ne dis pas que les rendements ne nous enrichissent pas. Cependant, ne pas mettre 1 000 $ de côté à 20 ans, ce n'est pas ça, l'erreur. L'erreur, c'est de surconsommer toute sa vie sans jamais avoir planifié en vue de la retraite.»

POUR LA RETRAITE, IL FAUT PRÉVOIR 70 % DU SALAIRE BRUT DE VIE ACTIVE

Éric Brassard ne manque pas d'arguments pour détruire ce qu'il appelle la «stupide» règle du 70 %. «Comment se baser sur cette règle alors que la situation de chacun diffère ?» demande-t-il. Il cite en exemple un célibataire de 50 ans sans enfant qui gagne un revenu de 100 000 $ et le compare à une personne qui, avec un revenu identique, a trois enfants en bas âge et un conjoint qui ne travaille pas. «Les besoins ne seront pas les mêmes», dit-il.

Le seul moyen de calculer le revenu de remplacement consiste à faire un budget et à calculer le plus justement possible le coût de vie à la retraite, lequel doit se baser sur les revenus après impôt.

La règle du 70 % ignore plusieurs aspects cruciaux de la planification de la retraite, dont le style de vie et son évolution dans le temps, ainsi que l'âge prévu de la retraite. Une personne frugale disposant de revenus élevés aura besoin d'un revenu de remplacement nettement moins grand qu'une personne à faible revenu, qui, elle, pourrait avoir besoin de 100 % de revenu de remplacement.

Dany Provost

IL FAUT COTISER TÔT (BIS) AU REER

Pour les raisons évoquées plus haut, Dany Provost, directeur à la planification financière et fiscale chez SFL Cité de Montcalm, trouve absurde qu'on incite les gens à contribuer le plus rapidement possible au REER. Selon lui, il n'est pas raisonnable de conseiller à des jeunes d'investir de l'argent dans leur REER à un moment de la vie où les obligations financières sont importantes et où les revenus sont, à l'échelle d'une carrière, à leur plus bas.

«Le sacrifice demandé au départ est trop important. Mieux vaut laisser les droits de contribution s'accumuler et se rattraper plus tard, quand on aura plus de marge de manoeuvre», dit M. Provost.

Autrement dit, l'effort pour épargner 1 000 $ à 25 ans est parfois beaucoup plus grand que celui nécessaire pour épargner 5 000 $ à 40 ans.

IL FAUT ÉPARGNER EN FONCTION DE SES PROJETS DE RETRAITE

Payez maintenant, vivez plus tard. Dany Provost s'oppose depuis longtemps à l'approche qui consiste à planifier en vue de la retraite sans tenir compte des années qui précèdent. Il en a fait un livre, Arrêtez de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir, publié aux Éditions Transcontinental en 2005.

«L'approche traditionnelle de la planification financière escamote la qualité de vie durant la vie active pour se concentrer sur la qualité de vie à la retraite. Mais la vie active, c'est long ! Aussi bien avoir du fun à ce moment-là aussi», souligne-t-il.

Sa démarche consiste donc à planifier de manière qu'une personne puisse se payer autant de plaisir avant le départ à la retraite qu'après. Selon cette philosophie, un épargnant doit rechercher un rythme de vie uniforme, sans ressentir de baisse ou de hausse au passage à la retraite. Et dépenser et épargner en conséquence. «Depuis 10 ans, notamment grâce au développement de logiciels plus performants, de plus en plus de planificateurs financiers se sont ralliés à cette approche», note-t-il.

JE COTISE AU REER ET JE PAIE L'HYPOTHÈQUE AVEC LE REMBOURSEMENT D'IMPÔT

Certains se souviendront de la publicité où un client exprime ce déchirant dilemme à son conseiller financier, sur la banquette arrière d'une voiture : «Dois-je contribuer à mon REER ou rembourser mon hypothèque ?» Le conseiller, ingénieux, lui répond du tac au tac : «Mais les deux !» L'idée est ici d'utiliser le remboursement d'impôt généré par la cotisation au REER pour réduire le montant de son hypothèque.

À cela, Éric Brassard rétorque : «Mais si c'était mieux dans le REER la première fois, pourquoi ne le serait-ce pas la deuxième ?»

S'il est plus judicieux de placer son argent dans un REER, dans un CELI ou dans un compte non enregistré dans un premier temps, ce sera encore le cas dans un deuxième temps.

Alors, le remboursement accéléré de l'hypothèque ne devrait pas être une préoccupation.

Daniel Laverdière

À LA RETRAITE, NOTRE TAUX D'IMPOSITION EST TOUJOURS PLUS BAS

C'est le principal argument pour défendre les contributions au REER. Cependant, rien n'est garanti, affirme M. Laverdière, qui se base ici sur les taux effectifs marginaux d'imposition (TEMI) extraits des courbes du fiscaliste Claude Laferrière. Le mot clé ici : «effectif».

En plus de tenir compte de l'impôt sur le revenu, le TEMI inclut l'impact de chaque dollar supplémentaire gagné sur l'accessibilité à diverses mesures sociales et fiscales. La perte d'un crédit ou d'un autre avantage, par exemple, est une forme d'impôt.

Dans le cas d'un retraité, les principaux programmes en jeu sont le Supplément de revenu garanti (SRG) et la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV). Le SRG disparaît rapidement, tandis que les prestations de la PSV commencent à s'effriter à partir d'un revenu de retraite d'environ 74 000 $.

Ainsi, le TEMI pour les retraités à faible revenu est de plus de 80 % en raison de la perte du SRG. Autrement dit, pour chaque dollar retiré du REER, une personne dans cette situation n'augmenterait son revenu disponible que de 20 cents. Le TEMI dépasse 50 % sur des revenus de 35 000 $ (excluant la PSV) pour un retraité vivant seul. Les courbes de Laferrière nous montrent que nous sommes la plupart du temps plus imposés que ce qu'indiquent les tables d'impôt. C'est vrai autant à la retraite que durant la vie active.

Si le taux marginal d'imposition est souvent plus bas à la retraite, il n'est pas dit qu'il en ira de même avec le TEMI.

QUI REMBOURSE SES DETTES S'ENRICHIT

Pourquoi vous empresser de rembourser une dette dont les intérêts sont de 3 % alors que vous pouvez placer cet argent dans un portefeuille qui vous rapporte 4 % ?

Évidemment, reconnaît Éric Brassard, on ne gagne pas à traîner des dettes de consommation dont les intérêts sont de 19 %. Toutefois, dans le cas d'une hypothèque, il n'y a pas d'urgence à rembourser. «Et dans le cas d'un investisseur immobilier, ce serait stupide de s'asseoir sur des immeubles libres d'hypothèque.»

Cela dit, les personnes qui éprouvent certaines difficultés à épargner et à investir devraient se dépêcher de rembourser leurs dettes.

IL FAUT GARDER TROIS ANS DE LIQUIDITÉS À LA RETRAITE POUR SE PROTÉGER

Dans les moments d'incertitude boursière, ce conseil refait surface avec force : à la retraite, une personne devrait toujours conserver en liquidités l'équivalent de deux ou trois ans de dépenses. Le principe à l'origine de ce conseil est plein de bon sens. En cas de krach boursier, comme en 2008, le retraité n'aura pas à cristalliser des pertes en puisant dans son portefeuille de placements.

«C'est inutile», affirme Daniel Laverdière, directeur principal à la planification financière et aux services-conseils chez Banque Nationale Gestion privée 1859. Le problème, ici, repose sur la manière de constituer ce bouclier financier.

«Est-ce que je prépare ce coussin d'un coup ou progressivement ? Dans le premier cas, je pourrais le faire à la veille d'un marché boursier haussier. Dans l'autre cas, ce que je retire de mon coussin, je devrai le combler en transférant de l'argent de mes placements vers ce coussin, ce qui revient au même que de retirer directement l'argent de mon portefeuille d'investissement», explique-t-il.

Daniel Laverdière s'inspire du professeur de finance canadien Moshe Milevsky, qui a donné à cette approche cette étiquette percutante : the buckets myth.

Le planificateur financier conseille simplement de retirer de l'argent de son portefeuille de placement à mesure qu'on en a besoin, peu importe les humeurs du marché. «À la longue, on parvient à obtenir un coût moyen raisonnable, de la même manière qu'on le faisait en déposant régulièrement de l'argent dans son compte de placement, sans se soucier du moment le plus propice pour investir.»

LE REER EST UN INSTRUMENT DE REPORT D'IMPÔT

La majorité des conseillers affirment que le REER est un instrument qui sert à reporter l'impôt. C'est logique. Lorsque vous contribuez au REER, le fisc consent à vous rembourser l'impôt que vous avez payé sur ce revenu, comme si vous ne l'aviez pas gagné. Néanmoins, il y a une contrepartie : le fisc se reprendra lorsque vous retirerez l'argent du compte enregistré.

Éric Brassard ne le voit pas de cette manière. Pour lui, le REER est un abri fiscal pur, comme le CELI. Voici sa démonstration, qui a déjà fait grand bruit et dont nous reprenons les grandes lignes.

Imaginons que votre taux marginal d'imposition s'élève à 40 %. Si vous versez 1 000 $ au REER, le fisc (provincial et fédéral) vous remboursera 400 $ payés en trop en impôt.

Si les 1 000 $ versés au REER génèrent 8 %, vous aurez 1 080 $ au bout d'un an. En retirant cette somme du REER, vous aurez 648 $ dans vos poches, une fois que l'impôt se sera servi.

Si vous versez plutôt 600 $ dans votre CELI, un rendement de 8 % générera un gain de 48 $, pour un total de 648 $ (600 x 8 % = 48).

Le REER et le CELI, même chose ?

Le REER est plus efficace si le taux d'imposition est plus élevé au moment de la contribution qu'au retrait. Toutefois, il ne faut pas présumer que le taux d'imposition sera forcément plus bas à la retraite, comme on l'a souligné plus haut. N'oubliez pas le TEMI !

INVESTIR DANS LES FONDS DE TRAVAILLEURS, CE N'EST BON QU'À CINQ ANS DE LA RETRAITE

Le Fonds de solidarité FTQ et le Fondaction de la CSN ont rarement eu la faveur des conseillers financiers. Les fonds de travailleurs offrent des rendements moins élevés que la Bourse, arguent-ils, et en retirer l'argent en cas d'urgence est plus difficile. À bien des égards, ils n'ont pas tort, bien qu'ils tendent à exagérer le deuxième argument.

Cela dit, ces inconvénients sont plus que compensées par les généreux crédits d'impôt offerts par Québec et Ottawa (30 % combinés), dit Dany Provost. Le planificateur financier a étudié la question en modifiant divers paramètres (TEMI à l'entrée et à la sortie, écart de rendements nettement favorable aux titres boursiers, nombre d'années de détention, etc.). Dans la majorité des cas, les crédits d'impôt procurent un avantage indéniable, note M. Provost, même dans l'hypothèse où le rendement du fonds de travailleurs est chétif en comparaison des indices boursiers.

«Un contribuable dont le TEMI est élevé peut récupérer en crédits et en remboursement d'impôt autant que sa contribution au fonds. Rien ne peut battre ça», dit-il.

Morale de l'histoire : on veut nous présenter les règles de finances personnelles comme si elles étaient gravées dans des tables de pierre, mais la vraie vie, en bas de la montagne, est beaucoup plus nuancée que ces règles nous poussent à le croire.

PRENDRE LE RRQ LE PLUS TÔT POSSIBLE POUR NE PAS EN LAISSER SUR LA TABLE

Plus tôt on pigera dans la cagnotte, moins on en laissera au moment de notre mort. Il s'agit là d'un conseil de beau-frère qui rencontre bien des oreilles attentives. C'est qu'à première vue, encore une fois, il semble s'appuyer sur la logique.

Toutefois, rappelle Daniel Laverdière, plus une personne commence tôt à percevoir les prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ), plus elle est pénalisée à long terme. En effet, on peut toucher la rente du RRQ dès l'âge de 60 ans, mais la rente est alors amputée considérablement, le retraité ne touchant que 64 % du montant qu'il aurait reçu à 65 ans. «C'est un pari, explique le planificateur financier. Le retraité recevra plus d'argent s'il meurt jeune, mais, s'il vit longtemps, il sera perdant.»

Et c'est là tout le problème. M. Laverdière voit la rente du RRQ, tout comme la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), comme une protection en cas de longévité. C'est pourquoi il propose souvent de retarder le plus longtemps possible l'encaissement de la prestation des deux régimes. Dans le cas du RRQ, un retraité qui attend jusqu'à 70 ans avant de toucher sa rente recevra une prestation bonifiée de 42 % sa vie durant. Et, pour chaque année de report de la PSV, un retraité verra sa rente augmenter de 7,2 %.

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