La rente viagère pour vous moquer de la mort


Édition du 25 Février 2017

La rente viagère pour vous moquer de la mort


Édition du 25 Février 2017

«Le décaissement me préoccupe. Compte tenu de la possibilité que ma conjointe et moi vivions assez vieux, est-ce qu'une rente viagère souscrite vers l'âge de 75 ans pourrait être appropriée ?»

Une rente viagère ?

Notre lecteur communiquait avec la rédaction pour poser sa candidature à notre série de portraits financiers «Clinique retraite». Sa question est surprenante. D'abord, on ne nous l'avait jamais posée. Et comme le bol de «paparmanes» roses déposé sur la table à café du salon surchauffé de grand-maman, la rente viagère évoque un passé lointain, la belle époque, pour les rentiers, des taux d'intérêt à 10 %.

Nous, non plus, nous ne sommes pas à l'abri des préjugés, dont celui qui veut que la rente viagère soit dépassée et inappropriée en cette ère où les taux d'intérêt sont au plus bas.

C'est vrai que le prix d'une telle rente est fixé en fonction des taux d'intérêt. Plus les taux d'intérêt sont élevés, moins la rente coûte cher. Mais à cet égard, elle n'est pas plus touchée que les autres placements à revenus fixes qui souffrent autant des taux historiquement bas.

Et c'est oublier aussi que le rendement de la rente a moins à voir avec le taux d'intérêt qu'avec le moment du décès. Car plus on meurt à un âge avancé, plus on fait une bonne affaire.

D'une certaine manière, la rente est un pari contre la mort !

La rente, cette incomprise

La rente viagère repose sur un principe simple. Elle consiste à «mutualiser» le risque de vivre vieux. «C'est comme si un groupe de personnes s'entendaient pour mettre leurs ressources en commun de manière à ce que les contributions de ceux qui décèdent plus jeunes servent à subvenir aux besoins des autres qui vivent très vieux», explique le planificateur financier Daniel Laverdière, Directeur principal, planification financière et services-conseils, chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

Au moment de mettre les ressources en commun, personne ne sait qui sera gagnant ou perdant. C'est le même principe que l'assurance vie, à un détail près : la rente protège contre l'épuisement du capital en cas de longévité, tandis que l'assurance couvre le risque d'une perte de revenu en cas de mort prématurée.

En assurance vie, le gagnant, si on peut dire, est celui (ou sa succession) qui décède jeune. Il recevra une importante somme assurée alors qu'il aura versé peu d'argent en primes.

Dans le cas d'une rente viagère de base, la personne qui meurt dans un accident six mois après l'entrée en vigueur du contrat n'est certes pas gagnante. Elle aura touché bien peu d'argent sous forme de rente, alors que celle-ci lui aura coûté 100 000 $. Par contre, si le rentier s'éteint à 111 ans, comme Louise-Anna Turcotte-Brouillette, de Saint-Lin-Laurentides, décédée en novembre, il aura gagné le gros lot, en plus de vivre longtemps !

Dans la perspective où de plus en plus de gens peuvent espérer atteindre un âge vénérable, la rente viagère perd tout à coup de cette odeur de vieux bonbons. Avec l'augmentation de l'espérance de vie, le risque de longévité est devenu endémique et pèse de plus en plus lourd sur les finances des retraités. Selon les évaluations actuarielles du Régime de rentes du Québec (RRQ), l'espérance de vie d'un homme de 80 ans est de 9,3 ans en 2016. Cela veut dire qu'il y en aura qui vivront moins longtemps. Et d'autres plus. Les femmes de 80 ans peuvent quant à elles espérer vivre 11,3 ans de plus.

«C'est d'ailleurs l'une des conclusions du rapport D'Amours», rappelle Daniel Laverdière, en parlant du rapport du comité d'experts sur l'avenir du système de retraite québécois présidé par Alban D'Amours. En 2013, le comité avait proposé d'instaurer une rente publique de longévité en complément du Régime de rentes du Québec.

Denis Preston, planificateur financier à la retraite et enseignant à HEC Montréal, fait partie des ardents défenseurs de la rente viagère. «Toutes les personnes en bonne santé de la classe moyenne devraient prévoir l'achat d'une rente viagère dans leur stratégie de décaissement», dit-il. Cela exclut ces retraités qui, forts d'un portefeuille bien garni, ne verront pas la fin de leurs économies et ceux, de plus en plus rares, qui profitent d'un régime de retraite à prestations déterminées. À ceux-là s'ajoutent bien sûr ceux qui n'ont pas les économies nécessaires pour s'offrir une telle rente et les autres à la santé chancelante.

Un produit boudé

Demandez aux retraités autour de vous, ou encore à ceux qui s'apprêtent à accrocher leurs patins, s'ils comptent acheter une rente viagère pour subvenir à leurs vieux jours. Vous susciterez des regards perplexes, car bien peu de gens se sentent interpellés par le produit. On peut comprendre.

Il faut d'abord renoncer à une partie de ses économies. À l'achat d'une rente, une somme importante du portefeuille est soudainement immobilisée et n'est plus disponible. Au moment du décès, la succession devra en faire son deuil, car l'argent restera chez l'assureur et servira à payer la rente des autres souscripteurs qui défient les statistiques de mortalité. En nous protégeant contre la longévité, ce capital immobilisé devient tout à coup à risque d'une mort prématurée. C'est une autre façon de concevoir le portefeuille «équilibré».

«C'est un gros risque», dit Robin Lévesque, du cabinet Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés. Un homme de 65 ans qui achèterait aujourd'hui une rente de 100 000 $ à partir d'un compte hors REER devra attendre plus de 16 ans pour récupérer le capital de départ. Durant cette période où il recevra un peu plus de 500 dollars par mois, non indexés, le rendement de son capital est négatif. À 81 ans, il n'a pas fait un cent d'intérêt. Et la probabilité qu'il s'éteigne dans l'intervalle demeure significative.

S'il fallait départager deux camps, Robin Lévesque, avocat et comptable, ne ferait pas partie de l'équipe de Denis Preston et Daniel Laverdière. Selon lui, une bonne gestion de portefeuille couvre raisonnablement le risque de longévité. «Mais la rente peut convenir à des gens prudents qui ne désirent pas gérer leurs placements», reconnaît-il.

D'un point de vue successoral, l'achat d'une rente n'a rien pour plaire aux héritiers non plus. Le capital investi ne sera jamais transmis, ce qui fait hésiter des retraités qui voudraient léguer un peu d'argent à leurs enfants et à leurs petits-enfants.

Un autre élément qui nuit à la réputation de la rentre viagère se trouve dans les faibles taux d'intérêt. La rente est un produit simplissime. L'assureur retourne le capital et ses intérêts, plus le fruit de l'attrition à ceux qui vivent le plus vieux. Plus les taux d'intérêt sont élevés au moment de l'achat, meilleure sera la rente. Or, non seulement les taux sont encore très bas actuellement, mais les signes avant-coureurs d'une remontée s'accumulent.

«C'est là que le bât blesse, quand la rente a déjà été contractée et que les taux montent par la suite», explique Robin Lévesque.

Il y a une autre raison, souvent évoquée à mots couverts, qui pèse peut-être aussi dans la balance pour expliquer la faible popularité de la rente viagère : peu de conseillers ont intérêt à la proposer. Ceux qui gèrent des portefeuilles n'en tirent aucun revenu. Quant à ceux qui peuvent vendre la rente, soit les conseillers en sécurité financière, leur commission est si faible qu'ils offriront d'abord des produits de rechange, comme des fonds distincts ou encore la rente assurée (appelée rente dos-à-dos), un produit cousin qui n'a rien à voir avec le risque de longévité.

«La commission ne couvre pas le temps que j'y passe. Si une personne veut acheter une rente viagère, je ne me déplace pas chez elle à moins qu'elle ne prenne aussi une assurance vie. Sinon, je lui demande de venir à mon bureau», me confie un conseiller en sécurité financière sous le couvert de l'anonymat.

Graphique

La place de la rente dans le portefeuille

Il y a de quoi désoler Denis Preston, pour qui la rente viagère devrait représenter de 30 à 40 % du portefeuille du retraité moyen. «Il faut la considérer comme la partie à revenu fixe», dit-il.

Habituellement, chez un retraité, cette part du portefeuille est occupée par des obligations qui génèrent des revenus d'intérêt et des actions qui procurent des dividendes. Ce qui l'amène à dire qu'il est inutile d'attendre une hausse des taux d'intérêt pour s'intéresser à la rente viagère.

«L'achat d'une rente est financé par la portion prudente du portefeuille. C'est vrai que, lorsque les taux d'intérêt partent en hausse, les rentes viagères seront plus avantageuses. En même temps, si les taux montent, la valeur des obligations de votre portefeuille diminuera. Au bout du compte, vous vous retrouvez avec moins d'argent pour acheter la rente», dit-il.

En effet, la valeur des obligations sur le marché, tout comme celle des actions à dividendes, a tendance à évoluer dans le sens contraire des taux d'intérêt dans un mouvement presque mécanique. Quand les taux montent, les nouvelles obligations deviennent plus attrayantes que les plus anciennes qui procurent un revenu moindre, ce qui fait reculer la valeur de ces dernières.

«Ça ne sert pas à grand-chose de tenter le market timing, renchérit Daniel Laverdière. Si l'idée d'acheter une rente au mauvais moment vous hante, rien ne vous empêche d'en acheter une partie maintenant et une autre plus tard», poursuit le planificateur financier. Oui, comme avec les actions, il est possible d'étaler l'achat d'une rente pour améliorer son coût moyen.

Avant de considérer l'achat d'une rente, Daniel Laverdière conseille d'explorer d'abord cette voie : bonifier les revenus viagers déjà à sa disposition, soit les rentes du RRQ et de la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV). À compter de 65 ans, pour chaque année où l'on retarde le versement des prestations, celles du RRQ sont bonifiées de 8,4 %, et celles de la PSV, de 7,2 %, et ce, pour le reste de sa retraite.

Une autre option, qui convainc même les moins entichés de la rente, est d'attendre à l'orée des 80 ans avant d'y souscrire. «Si on attend à 80 ans, on a une meilleure idée si notre état de santé peut nous mener jusqu'à 95 ans et plus. C'est d'autant plus logique que la rente vise à couvrir le risque de longévité», poursuit le planificateur financier.

Comme les probabilités qu'elle soit versée sur une plus longue période sont réduites, la rente sera d'autant plus élevée. Et si le pire devait se produire avant 80 ans, le capital serait préservé au profit de la succession.

Même si Denis Preston reconnaît qu'il s'agit sans doute de la meilleure option sur papier, il hésite à lui donner sa bénédiction. «La rente viagère sert aussi à protéger le capital contre soi-même. Le risque qu'on dépense trop au début de la retraite est important.»

«Il y a un autre risque dont on ose moins parler, mais qui est réel, poursuit l'enseignant de HEC Montréal : la famille.» Il est plus compliqué pour les proches à l'appétit financier sans bornes de s'approprier les actifs d'un retraité qui reçoit un chèque de 816 $ par mois.

Huit-cent-seize dollars, c'est la somme qu'aurait reçue Louise-Anna Turcotte-Brouillette, de Saint-Lin-Laurentides, si elle avait souscrit à 80 ans une rente avec une prime de 100 000 $ selon les conditions actuelles. En recevant sa rente jusqu'à 111 ans, elle aura connu un rendement composé de 9,6 % pendant 31 ans. Un rendement qui bat celui de la majorité des gestionnaires de portefeuilles d'actions.

LA RENTE ET SES EXTRAS

Plusieurs options s'offrent à ceux qui voudraient souscrire une rente viagère. Cependant, ici comme pour n'importe quel produit, les extras viennent gonfler la note. La rente de base consiste, en échange du paiement d'une prime, en un versement d'une somme récurrente fixe, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, jusqu'au décès du rentier. C'est l'option la moins chère, mais c'est aussi celle qui présente le risque le plus élevé en cas de décès prématuré.

Pour augmenter sa rente, le futur retraité a aussi la possibilité d'acheter une rente différée. Il paie alors la prime à l'avance pour commencer à recevoir sa rente, par exemple, cinq ans plus tard.

Pour préserver une partie de la prime en cas de décès, il est possible d'opter pour le versement garanti de la rente durant une période déterminée. Par exemple, l'assureur pourrait garantir le versement de la rente durant 10 ans, même si le souscripteur décède avant. Plus la garantie est longue, plus la prime est élevée pour une même rente.

On peut aussi opter pour une rente dite «réversible». En cas de décès du souscripteur, la rente continue alors d'être versée au conjoint. Elle est plus chère quand le souscripteur est un homme et que la réversibilité est prévue au bénéfice d'une conjointe. La raison : l'espérance de vie de cette dernière est plus élevée que celle du rentier qui appose sa signature au bas du contrat. Pour la même raison, une rente coûte plus cher pour une femme.

À la base, une rente viagère n'est pas indexée, mais il est possible de s'en procurer une dont les prestations augmentent avec les années. Mais comme on dit, «toute est dans toute». Pour la même prime, la rente indexée sera moins généreuse au début qu'une rente qui ne l'est pas. Ce qui veut dire qu'il faudra plus de temps au rentier pour récupérer son capital initial. À moins que les centenaires soient nombreux dans votre famille, on lui préférera une rente non indexée.

ACHETER SA RENTE AVEC LE REER OU NON ?

Se procurer une rente viagère avec de l'argent en provenance du REER, ce n'est pas la même chose que de payer la prime à partir d'un compte non enregistré.

En puisant dans le REER, on rend la rente entièrement imposable. Si on l'achète avec des actifs hors REER, une fraction seulement de la rente sera imposable. On parle alors d'une rente prescrite.

La rente, rappelons-le, consiste simplement en un retour du capital avec une portion de rendement d'intérêt. Théoriquement, la portion intérêt est plus élevée au début qu'à la fin, comme lorsque vous remboursez une hypothèque. Mais dans le cas de la rente prescrite, la part des intérêts dans les versements est étalée uniformément dans le temps selon des calculs fondés sur une table de mortalité. Les paramètres sont déterminés par Ottawa.

Nous avons fait une comparaison à l'aide de la calculatrice de rentes de RBC Assurances. Avec une prime de 100 000 $ provenant du REER ou du FERR, un retraité de 65 ans recevrait une rente de 541,75 $ entièrement imposable. Payée avec des fonds non enregistrés, la rente s'élèverait alors à 530,34 $, dont 122,78 $ seraient imposables.

541,75 $

Rente imposable d'un retraité de 65 ans pour une prime de 100 000 $ provenant d'un REER ou d'un FERR.

Source : RBC Assurances

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