L'investissement responsable se réinvente


Édition de Octobre 2017

L'investissement responsable se réinvente


Édition de Octobre 2017

Réduire le risque de son portefeuille en investissant de manière responsable. C'est ce que font plusieurs grandes caisses de retraite au Canada. Au-delà de l'écologie et de la morale, les rendements semblent au rendez-vous.

Dans les années 1980, les fonds éthiques adoptent une approche qu'on peut qualifier de restrictive. On exclut des pans entiers de l'économie, comme le tabac et l'armement, parce que cela va à l'encontre de nos valeurs. Aujourd'hui, l'investissement responsable est un concept beaucoup plus large. On reconnaît l'importance financière des questions environnementales, sociales et de gouvernance, plus communément nommées facteurs ESG. Avec plus de 1 500 milliards de dollars d'actifs sous gestion à la fin de 2015 (voir le tableau), ce marché représente près de 40 % de tout le marché canadien de l'investissement.

Mais soyons francs : ce n'est pas pour se donner bonne conscience que de plus en plus de fonds de pension suivent les six Principes pour l'investissement responsable (voir l'encadré). Une multitude de recherches ont montré ces dernières années que miser à long terme sur des entreprises socialement responsables peut réduire le risque d'un portefeuille de placement. Il s'agit ici d'enjeux liés aux compétences des dirigeants, aux impacts des changements climatiques sur la profitabilité des sociétés, à l'acceptabilité sociale d'un projet ou même au respect des droits des travailleurs.

Une méta-analyse réalisée par l'Université de Hambourg et la société Deutsche Asset Management* a brassé la cage des sceptiques en 2015. On a examiné quelque 2 200 études menées depuis les années 1970 sur les effets des facteurs ESG sur les résultats financiers des entreprises. Conclusion : dans 90 % des cas, la performance des entreprises est équivalente ou supérieure à celle des sociétés qui n'ont pas de telles préoccupations. Dans plus du tiers des situations examinées, le rendement est supérieur. Autre fait intéressant : les marchés émergents et l'immobilier dits responsables ont engendré de bonnes performances dans environ 70 % des cas.

Des stratégies qui s'affinent

Qu'entend-on concrètement par investir de manière responsable aujourd'hui ? Eh bien, on cible des sociétés, souvent des leaders dans leur industrie, en les incitant à améliorer leurs pratiques d'affaires. On ne vise donc pas à boycotter une entreprise. «On mise plutôt sur des démarches d'actionnariat engagé et de dialogue afin de trouver des solutions. On aura parfois des placements dans des secteurs litigieux. On veut justement avoir une influence en les amenant à changer», explique Rosalie Vendette, conseillère principale, Investissement responsable chez Desjardins.

Les stratégies se sont également affinées avec les années. On tente désormais de protéger les placements en gérant le mieux possible les risques. «On se demande, sur un horizon de 10 ou 20 ans, comment nos placements vont réagir aux changements climatiques, par exemple. Encore plus important : comment les entreprises dans lesquelles on investit s'adapteront aux modifications réglementaires, par exemple une taxe sur le carbone», ajoute la spécialiste. La rentabilité des entreprises et, ultimement, leur performance boursière dépendent de ces questions et les comités de placement en sont conscients.

«Plutôt que d'exclure le secteur pétrolier en entier, on voudra repérer le meilleur acteur de sa classe et inclure, par exemple, une entreprise comme Suncor dans le portefeuille», illustre Olivier Gamache, PDG du Groupe investissement responsable (GIR). La société canadienne Suncor a accepté de divulguer publiquement ses plans à ses investisseurs afin de réduire son empreinte carbone en plus d'évaluer les risques de certains de ses projets.

Avant d'ajouter un titre dans les portefeuilles de ses clients, le comité de recherche de Jarislowsky Fraser examine une multitude de données financières qui incluent également une analyse des facteurs ESG. «On détermine, selon le secteur d'activité, quels risques sont les plus matériels. Ces renseignements s'ajoutent à notre analyse fondamentale et font partie de notre approche d'investissement durable où l'on sélectionne des entreprises de grande qualité», souligne Michel Brutti, associé principal senior, recherche, chez Jarislowsky Fraser.

Plusieurs entreprises fournissent de la recherche sur les facteurs ESG ou encore des cotes, comme le font les grandes firmes de courtage pour les titres en Bourse. Une organisation sans but lucratif telle que Carbon Disclosure Project (CDP) va publier des données sur les émissions de gaz à effet de serre produites par les entreprises à l'échelle planétaire.

Gagner en crédibilité

Le hic, c'est que ces facteurs sont souvent intangibles et les quantifier est un défi important. Des groupes de travail s'efforcent depuis quelques années de donner une crédibilité au développement de pratiques commerciales durables. Les entreprises doivent aussi apporter leur contribution. Des personnalités comme Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre et président du Conseil de la stabilité financière, ou encore l'ancien maire de New York, Michael Bloomberg, ont rallié beaucoup de grands patrons d'entreprise dans le monde. Par exemple, le groupe de travail que dirige Michael Bloomberg propose que les entreprises divulguent publiquement leurs risques opérationnels et financiers liés aux changements climatiques. Des centaines de multinationales et d'institutions financières ont appuyé jusqu'ici l'initiative, parmi lesquelles on retrouve Dow Chemical, Unilever, Pepsi, Shell, Bank of America, AXA, etc. Il y a donc une pression grandissante afin de rendre publiques de telles informations.

Dans les faits, certains gros investisseurs institutionnels détiennent des participations si importantes dans des entreprises cotées en Bourse qu'ils peuvent influencer les règles du jeu. «Par exemple, on va interpeller le G7 et le G20 afin que soient respectés certains accords comme ceux de Paris. Présentement, beaucoup d'efforts sont déployés pour augmenter la qualité des données divulguées par les entreprises, en plus d'avoir une standardisation dans la fréquence des publications, tout cela afin de prendre de meilleures décisions de placement», souligne Rosalie Vendette.

Quel pouvoir a le petit investisseur ?

Dans tout ce débat sur l'investissement responsable, le petit épargnant semble laissé pour compte. Peut-il jouer dans la cour des grands ? Selon Rosalie Vendette, on ne doit pas sous-estimer le pouvoir des fonds communs de placement dans lesquels investissent des millions de ménages canadiens. «La concentration des capitaux se trouve dans les régimes de retraite, mais également dans les fonds communs de placement qui permettent d'enregistrer les votes des détenteurs de participations», rappelle-t-elle. En vérité, les actifs en investissement responsable gérés pour des particuliers ne représentent, selon l'Association pour l'investissement responsable du Canada (AIR), qu'un maigre 118 milliards de dollars (fin 2015), alors que le marché des fonds communs au Canada valait quelque 1 400 milliards de dollars au 30 juin 2017.

Il reste donc du chemin à faire pour sensibiliser les conseillers financiers et le grand public. «Au printemps, nous avons sondé l'opinion des Canadiens à propos de l'investissement responsable et plus des trois quarts des répondants se sont dits intéressés par ces questions. Toutefois, un nombre équivalent affirmait en connaître très peu sur le sujet. Cette méconnaissance est un enjeu sur lequel nous allons concentrer nos efforts dans l'avenir», indique Dustyn Lanz, directeur recherche et communications de l'AIR.

Les investisseurs individuels ont la possibilité d'acheter des fonds communs de placement qui intègrent les facteurs ESG dans leur sélection de titres. Ceux qui ne veulent pas payer de frais de gestion trop élevés peuvent aussi se tourner vers les fonds négociés en Bourse (FNB). Plusieurs reproduisent des indices qui regroupent des titres suivant les principes d'investissement responsable, comme le Jantzi Social Index au Canada. BlackRock a également émis ces dernières années plusieurs FNB qui misent sur des indices américains et internationaux dont les sociétés prennent en compte les facteurs ESG dans leur pratique d'affaires. Les titres à revenu fixe ne sont pas en reste avec de plus en plus d'émissions d'obligations vertes. La province de Québec a d'ailleurs lancé l'hiver dernier son premier programme d'obligations vertes aussi accessibles aux particuliers. On souhaitait financer des projets respectueux de l'environnement dans le domaine du transport public.

PRINCIPES ÉNONCÉS PAR LES NATIONS UNIES

Le mouvement pour l'investissement durable a pris de l'ampleur notamment grâce à l'initiative des Nations unies. En 2006, l'organisme a mis en place les Principes pour l'investissement responsable (PRI) afin de réunir tous les investisseurs convaincus de l'importance des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces six directives visent l'établissement d'un système financier mondial plus stable et durable. Les signataires s'engagent, par exemple, à intégrer les facteurs ESG à leurs processus décisionnels et d'analyse des investissements en plus d'être des actionnaires actifs qui incluront les facteurs ESG à leurs politiques et procédures en matière d'actionnariat. On demande aussi aux sociétés dans lesquelles on investit de faire preuve de transparence concernant les facteurs ESG.

On recense aujourd'hui plus de 1 700 signataires dans une cinquantaine de pays et ces investisseurs gèrent à eux seuls près de 70 000 milliards de dollars d'actifs. Chez nous, on retrouve des noms comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public au Canada (Investissements PSP), Jarislowsky Fraser, Desjardins, Fiera Capital, Placements AGF et bien d'autres.

À la une

Bourse: Wall Street a rebondi

Mis à jour le 22/04/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto a légèrement progressé lundi.

Bourse: les gagnants et les perdants du 22 avril

Mis à jour le 22/04/2024 | LesAffaires.com et La Presse Canadienne

Voici les titres d'entreprises qui ont le plus marqué l'indice S&P/TSX aujourd'hui.

À surveiller: Meta Platforms, 5N Plus et Lycos Energy

Mis à jour le 22/04/2024 | Jean Gagnon

Que faire avec les titres de Meta Platforms, 5N Plus et Lycos Energy ? Voici quelques recommandations d’analystes.