Investir dans le pot

Offert par Les Affaires


Édition du 18 Juin 2016

Investir dans le pot

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Édition du 18 Juin 2016

Par Stéphane Rolland

Ce «nouveau marché» se chiffrerait en milliards de dollars et grandirait à une vitesse phénoménale. La légalisation de la marijuana contient l'ingrédient magique qui rendra n'importe quel investisseur euphorique. Mais prenez garde aux effets secondaires : bad trip potentiel pour votre portefeuille.




Le grand soir approche pour les partisans de la légalisation de la marijuana au Canada et aux États-Unis. Le gouvernement Trudeau devrait déposer un projet de loi à cet effet au printemps 2017. Chez nos voisins du Sud, les citoyens de 11 États américains seront appelés à voter sur le sujet au moment des élections présidentielles de novembre 2016.

Chez l'oncle Sam, les États qui poseront la question à leurs électeurs ne sont pas des moindres, souligne en entrevue John Kagia, premier vice-président de l'analyse chez New Frontier. La firme, installée à Washington, fait de la recherche économique sur l'industrie légale de la marijuana. Au nombre des États qui ont le plus de poids démographiquement, la Californie, le Nevada, le Massachusetts et l'Arizona demanderont à leurs électeurs s'ils appuient la légalisation de la marijuana pour la consommation récréative. En Floride, le vote portera plutôt sur son utilisation à des fins médicales.

«L'issue de ces scrutins aura un impact majeur sur le potentiel de croissance de l'industrie, explique M. Kagia. Si ces votes sont remportés dans la majorité des États, la taille du marché légal augmentera considérablement. La perception de la marijuana s'en trouvera inévitablement changée dans les autres régions des États-Unis.»

L'idée a déjà fait son petit bout de chemin. Près de 58 % des Américains appuieraient la légalisation, par rapport à 36 % en 2005, selon un sondage Gallup. Au Canada, le chiffre est comparable : 59 % de Canadiens y sont favorables, selon un sondage Forum mené à la suite de la dernière élection fédérale.

«La grande majorité des citoyens favorables à la légalisation ne sont pas des consommateurs», indique James McIntosh, professeur d'économie à l'Université Concordia, qui a étudié les différents modèles de légalisation de la marijuana partout dans le monde. «Ce sont des parents qui craignent que leurs adolescents ne soient arrêtés pour avoir fumé un banal joint. De plus, les gens n'aiment pas voir le crime organisé tirer toutes les recettes de cette industrie.»

Avec la légalisation, des milliards de dollars d'activité pourraient sortir de la clandestinité et se déplacer vers des sociétés cotées en Bourse ou à capital privé. Les ventes légales de cannabis à des fins récréatives ou médicales devraient croître de 26 % en 2016, pour s'établir à 7,1 milliards de dollars américains aux États-Unis, selon un rapport de New Frontier. D'ici 2020, la firme prévoit que les ventes devraient progresser jusqu'à 22 G$ US. Au Canada, la taille du marché du cannabis pourrait atteindre 2,5 G$ en 2020 si Ottawa va de l'avant avec la légalisation de la marijuana, estime Andre Uddin, de Mackie Research.

Au Canada, en comparaison, la taille du marché du cannabis pourrait atteindre 2,5 G$ en 2020 si Ottawa va de l'avant avec la légalisation de la marijuana.

Le bon moment pour investir ?

Malgré la promesse de vallées verdoyantes, bien des questions demeurent quant aux modalités qui entourent la fin de la prohibition au Canada. C'est pourquoi M. McIntosh recommande aux investisseurs de dire «non» au pot. «J'éviterai carrément les actions de ce secteur», dit le professeur d'économie.

Membre du Parti libéral du Canada, M. McIntosh a présenté ses recommandations à son parti, mais admet ne pas savoir quelle avenue le gouvernement empruntera. «La réussite des entreprises dépendra des modalités choisies par Ottawa. Les avenues envisageables sont nombreuses. On ne sait pas ce que l'avenir nous réserve.»

L'incertitude ne décourage pas Aaron Salz, le premier analyste à suivre les actions canadiennes du secteur du cannabis. Lorsqu'il a publié son premier commentaire en septembre 2014, chez Valeurs mobilières Dundee, M. Salz affirmait que le marché de la marijuana médicale était promis à une croissance dans les deux chiffres au cours de la prochaine décennie. Récemment embauché par le gestionnaire de portefeuille torontois Interward Asset Management, il croit toujours que le secteur est prometteur.

«Oui, je pense qu'il s'agit d'un bon point d'entrée, mais les prochains 6 à 12 mois seront plus difficiles, dit-il en entrevue. Dans l'attente de la légalisation de la marijuana, l'encaisse des entreprises fondra à mesure que celles-ci augmenteront leur capacité de production pour répondre à la demande. Les investisseurs doivent se préparer à un parcours mouvementé avant que le prochain cycle haussier ne commence.»

Le portrait est encore plus embrouillé aux États-Unis. Même si le Colorado et l'État de Washington ont légalisé la marijuana à des fins récréatives, elle reste une substance illicite aux États-Unis. Des entrepreneurs doivent ainsi opérer comme s'ils dirigeaient des entreprises clandestines, ce qui mine leur productivité. «Les banques refusent d'offrir des services à ces entreprises, car leurs activités sont illégales au palier fédéral, affirme John Kagia. Elles font leurs transactions avec de l'argent comptant.»

Le statut de la substance est trop à cheval entre le plaisir coupable et la criminalité pour y investir en toute quiétude, croit Gerald Sullivan, gestionnaire de portefeuille du Barrier Fund (autrefois connu sous le nom du Vice Fund). Spécialiste du «vice légal», le gestionnaire de portefeuille du New Jersey investit dans le tabac, les armes et l'alcool. La marijuana légale compléterait bien ce cocktail, mais le cadre réglementaire demeure trop incertain, d'autant plus qu'un nouveau président fera son entrée à la Maison-Blanche en novembre, estime M. Sullivan. «Ça reste une drogue illégale, résume-t-il. Pour l'instant, nous regardons des entreprises dont les activités peuvent profiter de la légalisation du cannabis, mais en toute régularité au cas où le fédéral sévisse contre l'industrie.»

Le seul investissement de M. Sullivan se trouve dans une petite entreprise à capital fermé qui produit de l'engrais biologique, qui est utilisé pour faire pousser du cannabis dans les États qui ont levé la prohibition. Certains agriculteurs s'en servent également pour leurs plantations de maïs.

L'industrie de la marijuana médicale sera appelée à connaître des changements rapides, souligne M. Sullivan. Les grandes sociétés pharmaceutiques pourraient aussi faire leur entrée dans le secteur et changer la donne. La question des brevets sur certaines composantes de la plante se posera également, anticipe le gestionnaire.

Selon lui, le créneau de la marijuana médicale pourrait être bien plus intéressant à long terme pour les actionnaires que l'usage récréatif. «En ce moment, le médecin qui vous prescrit de la marijuana vous dira "prenez-en autant que nécessaire". Il n'y a aucun autre médicament pour lequel votre médecin vous dira ce genre de chose.»

À mesure que la science évoluera, certaines biotechs seront en mesure d'isoler des composantes de la plante afin d'obtenir des résultats médicaux plus précis, prédit M. Sullivan. «Pouvez-vous travailler si vous êtes "gelé" ? demande-t-il. Certains patients voudront des médicaments sans effets secondaires.» Le gestionnaire ne cite pas de noms de sociétés dans ce créneau, mais Cara Therapeutics (CARA, 6,25 $ US) est sur la voie. Elle effectue des études précliniques afin de limiter l'effet de composantes du cannabis sur certains récepteurs du cerveau afin de produire un médicament antidouleur.

Choisir la bonne semence

Avant d'investir dans les actions du cannabis, il est important de séparer le «bon stock» de la «mauvaise herbe». «Des quelque 200 sociétés du secteur du cannabis inscrites à la Bourse de New York, il y en a peut-être 10 qui sont crédibles, affirme John Kagia. Le hic, c'est que beaucoup d'entreprises n'ont pas de plan viable. Certaines ne sont que des coquilles vides.»

C'est d'ailleurs ce qui a dissuadé Philippe Bélanger d'y investir. L'investisseur passionné de microcapitalisations et cofondateur du blogue Espace MicroCaps croit que la plupart des titres du secteur n'ont fait que «surfer» sur la légalisation de la marijuana dans les États du Colorado et de Washington ou sur la victoire électorale des libéraux à Ottawa. «En tant qu'investisseur, il faut être extrêmement prudent. Ciblez uniquement les sociétés qui ont déjà un permis et qui ont les moyens de produire et de distribuer leurs produits», suggère le détenteur d'une maîtrise en finance de l'Université de Sherbrooke et candidat au titre de comptable.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), dont l'Autorité des Marchés financiers (AMF) est membre, partagent les mêmes inquiétudes. Les gendarmes provinciaux des marchés boursiers ont constaté que certaines entreprises du secteur de la marijuana cotées à la Bourse canadienne avaient tendance à embellir le portrait lorsqu'elles s'adressaient à leurs actionnaires. À partir d'un échantillon de 62 émetteurs, les autorités de réglementation provinciales ont découvert que 25 d'entre eux, soit 40 %, ont présenté une information déséquilibrée aux actionnaires. «Nous avons constaté que bien souvent, l'information fournie par les émetteurs n'était pas équilibrée et comportait un aspect promotionnel», peut-on lire dans un rapport publié l'an dernier.

«Les investisseurs doivent se souvenir du fait qu'une entreprise qui annonce son intention de produire du cannabis médical devra passer par un processus rigoureux pour obtenir l'approbation de Santé Canada, souligne Sylvain Théberge, porte-parole de l'AMF. Lorsqu'un émetteur annonce son intention de produire de la marijuana médicale, ça ne veut pas dire que c'est un fait accompli.» En ce moment, seulement 31 producteurs sont autorisés par Santé Canada à produire de la marijuana médicale.

Deux favoris : des titres canadien et britannique à surveiller

Canopy Growth

Le meilleur pari pour miser sur le pot au Canada est Canopy Growth (CGC, 2,63 $), croit Martin Landry, de GMP Securities. «En raison de sa capacité de production inutilisée, de sa marque reconnue et de son bilan solide, nous croyons que Canopy est en bonne position pour rester à la tête de l'industrie», commente le seul analyste qui suive le titre. Il a une recommandation d'achat sur le titre et une cible de 3,25 $, ce qui laisse miroiter un gain potentiel de 24 % par rapport au cours actuel.

Canopy Growth est le producteur légal le plus important de marijuana du Canada. La société s'affiche sous la marque Tweed. L'an dernier, elle a également fait l'acquisition de Bedrocan pour un montant de 58 M$. Grâce à une encaisse de 25 M$, la direction aurait une marge de manoeuvre suffisante pour effectuer d'autres acquisitions, croit M. Landry. La société vient aussi d'obtenir l'autorisation de produire de la marijuana sous forme d'huile. Ce produit attirera de nouveaux clients, ajoute l'analyste.

M. Landry estime que Canopy est favorisée par la manière dont l'industrie s'est bâtie au Canada. «Le gouvernement fédéral a créé un cadre réglementaire favorable, avec d'importantes barrières à l'entrée, ce qui renforce la fidélisation des clients», constate M. Landry. La levée de la prohibition du cannabis pour l'usage récréatif pourrait également rendre son usage médical plus acceptable aux yeux de nombreux patients.

GW Phamaceuticals

John Kagia, de New Frontier, cite GW Pharmaceuticals (GWPH, 92,09 $ US) comme une des «rares sociétés crédibles» dans le secteur de la marijuana. La société britannique inscrite au Nasdaq a mis au point et commercialisé le premier médicament à base d'une des composantes du cannabis, le Sativex. Le médicament est utilisé pour soulager la douleur chez les patients atteints de sclérose en plaques.

La société effectue des études cliniques en vue de commercialiser l'Epilodex, un médicament contre le syndrome de Dravet, une rare forme d'épilepsie, mortelle chez les enfants.

«GW Pharmaceuticals a plusieurs des ingrédients qui favorisent la réussite d'une entreprise dans le secteur du cannabis, soutient M. Kagia. Elle a un bon pipeline de produits, une équipe de scientifiques réputés, des dirigeants compétents et des permis dans de nombreux pays. C'est l'exception dans le secteur, d'être si bien préparé pour croître à long terme.»

Les analystes sont optimistes quant aux perspectives de l'entreprise de Cambridge au Royaume-Uni. Les six analystes recensés par Bloomberg recommandent tous l'achat du titre. Leur cours cible moyen est de 147,67 $ US, ce qui représenterait une croissance de 67 % sur un horizon de 12 à 18 mois.

CROISSANCE DES VENTES AUX ÉTATS-UNIS

Grâce à la légalisation, des milliards de dollars pourraient se déplacer vers des sociétés cotées en Bourse ou à capital privé.

Sources : Arcview Research & New Frontier, Bloomberg

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