Exiger des comptes, en rendre aussi


Édition du 22 Avril 2017

Exiger des comptes, en rendre aussi


Édition du 22 Avril 2017

Par Robert Dutton

Nous sommes en pleine saison des assemblées annuelles, rencontres au cours desquelles s'exerce la démocratie d'entreprise. Une démocratie un peu soviétique, où il n'y a habituellement qu'un parti, un bilan, un programme, généralement sanctionnés par des majorités proches de l'unanimité.

Ce système, il faut l'admettre, a fait ses preuves. Les grandes sociétés cotées en Bourse ont créé une quantité de richesse et d'emplois que n'aurait imaginée aucun des concepteurs de la démocratie de l'entreprise cotée en Bourse.

Aucun de ces concepteurs, non plus, n'aurait prédit à quel point cette démocratie serait transformée par l'évolution du monde de l'investissement. En 1950, plus de 90 % des actions des sociétés cotées américaines étaient détenues par des individus en chair et en os ; vers le milieu des années 1960, cette proportion était encore d'environ 85 % ; en 2010, elle n'était plus que de 33 %. Au Japon, cette proportion était tombée à 18 % en 2011. Au Royaume-Uni, elle avoisinait 12 % en 2012. En 1950, les actionnaires votaient avec leur propre argent. Rationnellement ou non, ils exprimaient leurs préférences et leurs sensibilités.

En 2017, l'écrasante majorité des actionnaires vote avec l'argent des autres.

Dans les entreprises cotées en Bourse, la démocratie a perdu son sens étymologique d'«autorité du peuple». Le peuple a été remplacé par des investisseurs institutionnels. Ceux-ci exercent les droits et les devoirs du propriétaire, mais ils sont eux-mêmes devenus des agents des propriétaires véritables, au même titre que les gestionnaires d'entreprise. Soulignons-le, ils ne sont pas tenus de consulter lesdits propriétaires sur la façon d'exercer ces droits et ces devoirs.

On parle beaucoup de la gouvernance des entreprises, de la meilleure façon de rendre leurs dirigeants imputables, de solutionner le fameux «problème d'agent». Les investisseurs institutionnels, du moins les meilleurs d'entre eux, se préoccupent non seulement de la rentabilité financière des entreprises, mais aussi de leurs normes de transparence, de la rémunération de leurs dirigeants, de leur responsabilité sociale...

De plus en plus de recherches concluent à l'existence d'un lien positif entre l'importance des investisseurs institutionnels dans l'actionnariat des entreprises et la qualité de leur gouvernance. En revanche, une étude de l'OCDE a conclu que les investisseurs institutionnels avaient failli à leur tâche de surveillance des comportements ayant mené à la crise financière de 2008.

Il est justifié que les investisseurs, institutionnels ou non, demandent des comptes aux dirigeants des sociétés dans lesquelles ils investissent. Cependant, il serait temps de s'interroger aussi sur la gouvernance des investisseurs institutionnels eux-mêmes, non seulement quant à leur rendement financier, mais aussi quant à leur façon de s'acquitter des droits et des devoirs fiduciaires qui accompagnent inévitablement la propriété des entreprises. La propriété d'une entreprise comporte des droits, mais aussi des devoirs quant à son développement à long terme et à son impact sur ses principales parties prenantes : employés, clients, fournisseurs, collectivités.

Par OBNL et par investisseurs interposés, la société demande de plus en plus de comptes aux entreprises et à leurs dirigeants sur l'ensemble de ces questions. Leurs objectifs ne sont pas seulement financiers, ils sont multivoques.

Dans cette logique, on doit aussi rendre imputables ceux qui, en exerçant au nom des autres les prérogatives des propriétaires d'entreprises, pèsent sur le destin de celles-ci. Cette imputabilité doit dépasser le seul dévoilement du rendement. Les épargnants qui, pas toujours par choix, leur confient des sommes considérables ont le droit de savoir comment les investisseurs institutionnels utilisent le pouvoir fiduciaire qui leur est dévolu par l'argent des autres. Chaque investisseur institutionnel, en effet, a sa propre «personnalité». Certains ont un horizon long, d'autres, un horizon court ; certains ont des affiliations syndicales, d'autres émargent aux pouvoirs publics.

Cette imputabilité doit être aussi bien prospective que rétrospective.

Imputabilité prospective, d'abord : comment le régime de rémunération et de bonification des dirigeants et des gestionnaires de portefeuille est-il structuré ? Privilégie-t-il le rendement à court terme ou à long terme ? Quelle est la politique de l'institution en matière de rémunération des dirigeants ? En matière de responsabilité sociale ? Les gestionnaires font-ils des arbitrages réels, le cas échéant, entre ces responsabilités sociales et le rendement financier ? Dans quelles circonstances, et selon quels critères, l'institution cesse-t-elle d'être un investisseur passif pour devenir active et chercher à intervenir dans la gestion des entreprises de leur portefeuille ?

Imputabilité rétrospective, ensuite : ceux qui leur confient leur épargne devraient avoir systématiquement accès à tous les votes que les institutions ont effectués au cours d'une année, à l'identité de toutes les personnes dont elles ont soumis les noms pour élection aux conseils d'administration en vertu des droits que leur donnent des ententes, etc.

Un milliardaire qui investit son propre argent a toute discrétion dans ses réponses à ces questions. Il n'a de comptes à rendre à personne qu'à sa propre conscience. Mais les investisseurs institutionnels agissent au nom de milliers, voire de millions d'investisseurs individuels.

À ce titre, ils sont en droit de demander des comptes aux sociétés dans lesquelles ils investissent. À ce titre aussi, ils doivent rendre des comptes aux citoyens qui leur confient leur épargne. Et cette reddition de comptes dépasse le seul rendement.

Biographie

Pendant plus de 20 ans, Robert Dutton a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

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