La fièvre du centre-ville


Édition de Mars 2017

La fièvre du centre-ville


Édition de Mars 2017

Photo : Martin Flamand / Montage : Visualbox

Le centre-ville de Montréal connaît depuis 2009 un boom résidentiel sans précédent qui redessine complètement le panorama urbain. Portrait d'une vague qui ne fait que débuter.

Il y a trois ans, René Lemieux a changé de vie. Propriétaire d'un haut de duplex pendant un quart de siècle à Ahuntsic, il a vendu son appartement rénové, dit adieu à sa piscine qu'il partageait avec des amis du rez-de-chaussée, à la verdure de son quartier ainsi qu'à ses voisins, qu'il considérait comme des amis, et il a déménagé dans un minuscule appartement de Griffintown, dans un environnement de béton et d'asphalte. Et pourtant, dit-il, c'est la meilleure décision de sa vie !

«Comme guide touristique, je voyageais chaque jour vers le centre-ville de Montréal, mais le transport devenait de plus en plus difficile. Les pannes de métro se multipliaient et les wagons débordaient. Je chialais tout le temps», raconte-t-il. Une amie, qui habitait un complexe résidentiel dans Griffintown, l'invitait de plus en plus souvent chez elle. «On festoyait en groupe dans les espaces communs. J'avais tellement de plaisir que je ne voulais plus retourner chez moi», dit-il. Après des mois d'hésitation, il fait le grand saut en 2013 en achetant une copropriété de 500 pieds carrés au 9 e étage du Lowney, à la jonction de l'autoroute Bonaventure, du Vieux- Montréal et du centre-ville.

«Depuis, j'ai l'impression de vivre à temps plein dans un Club Med. J'ai un gym, une piscine, une terrasse sur le toit et plein d'amis dans l'immeuble. De plus, je voyage toujours à pied et je suis à 10 minutes de tout», dit-il. Même si la superficie de son appartement ne fait que la moitié de celle de son ancien, il n'y voit pas d'inconvénient. «Je profite d'une vue incroyable sur le Vieux-Montréal, j'ai un balcon de 30 pieds de long et je n'entends absolument pas le trafic ni mes voisins. Côté espace, je me suis débarrassé du superflu et je trouve aujourd'hui mon appartement trop grand !» dit ce célibataire de 61 ans, qui ne possède pas d'auto.

Comme René Lemieux, de plus en plus de gens sont contaminés par la fièvre du centre-ville. L'épidémie est telle que les promoteurs peinent à répondre à la demande. Résultat : le centre-ville de Montréal connaît un boom de construction de tours de copropriétés. Du jamais-vu. Même phénomène dans Griffintown, tout juste au sud du centre-ville, où les grues de construction s'activent sans relâche depuis moins de 10 ans.

En 2016, Patrice Groleau, courtier immobilier spécialisé dans la vente d'unités neuves, a comptabilisé 24 projets en vente en même temps dans ce quartier qu'aucun Montréalais ne pouvait situer sur une carte en 2005. «Depuis l'ouverture de l'épicerie Adonis, en juillet 2016, au coin de Peel et Wellington, c'est la frénésie. Les acheteurs croient plus que jamais à ce milieu de vie», dit ce courtier avec qui Les Affaires Plus a visité ce quartier en métamorphose.

Certains analystes craignaient une surconstruction en 2012 et 2013, mais on est loin du compte. La demande est si forte que plusieurs promoteurs vendent 100 % de leurs unités avant même de commencer la construction, comme ce fut le cas pour les deux Tours des Canadiens de Montréal et plusieurs complexes réalisés par Devimco, dont O'Nessy. Un phénomène pourtant rarissime dans la grande région de Montréal, car normalement, beaucoup d'acheteurs attendent de voir la première levée de terre avant de signer une promesse d'achat.

Cet engouement surprend, parce qu'il n'y a pas si longtemps, la vie au centre-ville ne semblait pas si attirante. Pendant un demi-siècle, le centre montréalais s'est vidé de ses habitants, indique le document «Stratégie centre-ville», de la Ville de Montréal. «Il y a eu une petite vague de constructions de logements dans le secteur Saint-Mathieu dans les années 1960 et 1970, mais c'était ce que j'appelle des poulaillers. Pas des milieux de vie intéressants, et leur construction avait suscité la controverse, car on détruisait des immeubles patrimoniaux pour leur faire de la place», raconte Gérard Beaudet, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.

Sauf exception, peu d'immeubles, que ce soient des tours de bureaux ou de logements, s'ajoutent dans le ciel montréalais pendant un quart de siècle, et voilà que boom, des tours de 50 étages aux parois de verre semblables aux tours des grandes métropoles du monde émergent de terre, dépassant en hauteur l'emblématique Place Ville-Marie ! Que se passe-t-il ? «La tendance de l'heure en immobilier, c'est ce qu'on appelle le live, work, play. Les gens, plus particulièrement les milléniaux (les 18 à 35 ans), veulent pouvoir vivre, travailler et s'amuser au même endroit, tout en réduisant leurs déplacements. Le rêve de la pelouse et de l'unifamiliale isolée ne répond plus à leurs aspirations», soutient Vincent Shirley, directeur recherche, évaluation et services-conseils au Groupe Altus, une société qui fait des analyses de marché pour les promoteurs immobiliers.

Le rêve d'un village

Actuellement, la majorité des acheteurs dans le centre-ville, un périmètre de 15 kilomètres carrés qui englobe Griffintown et le Vieux-Montréal, sont des jeunes de 35 ans et moins. Nicolas Goyette fait justement partie de cette cohorte qui troque l'espace de la banlieue contre le centre. Ce trentenaire natif de Saint-Léonard a jeté son dévolu en 2012 sur une copropriété de 900 pieds carrés dans le complexe Le Bassin du Havre, avec vue sur les gratte-ciel et le canal de Lachine, où il a déménagé en 2013. «Je voulais vivre près des restos et faire mes emplettes à pied, même si je possède une voiture. J'aime l'accès rapide à la piste cyclable du canal, qui mène au parc Jean-Drapeau, où j'ai mes habitudes», témoigne cet adepte de vélo.

Maintenant en couple, Nicolas Goyette adore son milieu de vie et considère son achat comme un excellent investissement. Tellement qu'il a également acheté un deuxième appartement comme placement dans la Tour des Canadiens 2. «Quand j'ai déménagé, il n'y avait aucun service dans le secteur, mais aujourd'hui, ça se développe à une vitesse folle. Le meilleur est encore à venir», soutient-il.

À 30 ans, Nicolas Goyette possède déjà deux appartements. Un cas qui ne fait pas figure d'exception. «Contrairement aux générations précédentes, les milléniaux sont pressés d'être propriétaires. Ils veulent tout de suite mettre un pied dans le marché, même célibataires, quitte à acquérir un logement de petite taille», constate Laurence Vincent, vice-présidente ventes et marketing chez Prével, promoteur pionnier dans Griffintown.

À l'instar des baby-boomers, les milléniaux accordent la priorité à la qualité de vie. «Ils ne magasinent plus simplement un appartement, ils recherchent un milieu de vie. D'où la construction de tours à usage mixte, avec locaux commerciaux au rez-de-chaussée, où ils trouvent restos et services de proximité», explique Laurence Vincent, qui pilote les projets Lowney et 21 e arrondissement.

Dans leur immeuble, les milléniaux réclament des commodités : gym, spa, piscine, terrasse sur le toit, et skylounge, et ce, peu importe le coût. «Quand j'ai commencé en immobilier, il y a 20 ans, les acheteurs de condos voulaient le minimum de services afin de payer le moins cher possible en frais de copropriété. Aujourd'hui, si vous n'offrez pas d'espaces communs dignes de ce nom, vous n'êtes plus dans le marché», indique Marco Fontaine, directeur du marketing chez Devimco, promoteur actif dans Griffintown et l'ouest du centre-ville.

L'avantage, c'est que puisque les complexes sont de plus en plus gros et comprennent de plus en plus d'appartements en raison de leur petite taille, on peut offrir ces commodités à prix raisonnable. «La facture est divisée par des centaines d'appartements. Ça rend la dépense plus digestible», dit Laurence Vincent. Très tendance, les beach clubs sur les toits coûtent aussi moins cher qu'une piscine intérieure.

Les espaces de détente et de loisir ne sont pas qu'un luxe. Ils sont vraiment achalandés. À 14 h en semaine, lors de notre visite, les spacieux salons vitrés des phases 3 et 4 de District Griffin fourmillaient de vie, avec des jeunes qui travaillaient sur leur ordinateur, tandis que d'autres brûlaient des calories au gym. «Les milléniaux cherchent à vivre en communauté, comme dans un gros village. Ils ne veulent pas de quelque chose d'impersonnel», constate l'architecte Anick Shooner, de Menkès Shooner Dagenais LeTourneux, firme qui a conçu les plans du YUL, dans l'ouest du centre-ville, et le Laurent & Clark, près du quartier des spectacles. Comme s'ils voulaient reproduire leur communauté Facebook dans la vie réelle.

Bien sûr, il n'est pas nécessaire d'être jeune pour en profiter. Des «vieux» de plus 40 ans peuplent aussi ces nouveaux complexes. C'est le cas de Michel Gauthier, un empty nester, qui, avec sa conjointe, possède plusieurs appartements dans Griffintown depuis 2014, comme logement et comme investissement. «Au départ, j'ai acheté un petit appartement comme pied-à-terre, ne souhaitant y vivre qu'occasionnellement, mais je suis tombé amoureux de la vie intense du centre-ville», dit ce sportif, qui ne vivrait pas ailleurs sur l'île. Propriétaire d'une copropriété au bord du canal de Lachine, ce médecin apprécie le mélange jeune et «vieux». «L'harmonie règne, et tout le monde est très respectueux des autres», dit-il.

En mode rattrapage

Par rapport à plusieurs villes nord- américaines, Montréal afficherait des années de retard en ce qui concerne le développement résidentiel de son centre-ville. Toronto connaît une vague de construction de tours de copropriétés depuis 15 ans, et la frénésie immobilière ne semble pas vouloir y ralentir. D'ailleurs, c'est le développement autour du Centre Air Canada, baptisé le Maple Leaf Square, qui a servi d'inspiration à la firme immobilière Cadillac Fairview pour lancer les Tours des Canadiens, dit son vice-président principal, développement, Brian Salpeter. «On sentait venir la tendance vers le centre-ville de Montréal dès 2006. C'est alors que nous avons commencé à acheter les terrains autour du Centre Bell», explique-t-il.

Cadillac Fairview et ses partenaires définissent un plan : le Quad Windsor, un quadrilatère où seront érigées des tours de bureaux, comme l'immeuble Deloitte déjà construit, les deux Tours des Canadiens et d'autres tours à venir, mêlant habitations et bureaux. «On voyait que des tours d'habitation haut de gamme de cette envergure manquaient à Montréal», dit-il.

Cadillac Fairview a vu juste. Les 553 appartements de la première Tour des Canadiens, maintenant livrés, ont été vendus en trois mois. Et rebelote pour la deuxième tour, de 590 logements, encore plus haute et au revêtement de verre. Puisque le succès attire le succès, d'autres acteurs se sont lancés dans la construction de tours de logements à un tir frappé du Centre Bell, comme les projets Icône (38 étages), L'Avenue (50 étages) et Roccabella (2 tours de 40 étages). «On a créé les conditions nécessaires pour faire un centre-ville plus vivant que jamais», dit Brian Salpeter.

Plus de 12 000 appartements ont été mis en chantier depuis cinq ans dans le centre-ville. La question se pose maintenant : approche-t-on du point de saturation ? «Oh que non ! Montréal est encore en mode rattrapage», dit Brian Salpeter. Même son de cloche de tous les promoteurs interviewés pour ce reportage, qui croient à une tendance lourde, notamment amplifiée par l'immigration internationale, omniprésente dans les projets de l'ouest du centre-ville, alors que Griffintown attire davantage les francophones.

Les acteurs en immobilier croient plus que jamais à la densification du centre-ville. L'administration montréalaise veut aussi soutenir la cadence, en y accueillant 50 000 nouveaux résidents d'ici 2030. Où va-t-on pouvoir loger tout ce monde ? «On ne manquera pas de terrains demain matin, soutient Vincent Shirley, du Groupe Altus. N'oublions pas qu'il y a 10 ans, avec tous ses stationnements à ciel ouvert, Montréal avait des airs de ville bombardée. Beaucoup de ces cicatrices ont maintenant été comblées, mais il reste encore beaucoup de lots à maximiser», dit-il.

Qui plus est, beaucoup de grands sites institutionnels cherchent une nouvelle vocation, comme les anciens hôpitaux Royal-Victoria, de Montréal pour enfants, de la Miséricorde (sur René- Lévesque Est), Hôtel-Dieu et Shriners, ainsi que le site de Radio-Canada. Leur conversion en résidentiel pourrait séduire promoteurs et propriétaires, dans un centre-ville en pleine mutation, avec la construction du Réseau électrique métropolitain (REM), l'aménagement d'un boulevard urbain en remplacement de l'autoroute Bonaventure et le recouvrement de l'autoroute Ville-Marie.

Après des années d'étalement urbain, le centre-ville est prêt à prendre sa revanche sur la banlieue, grâce à son armée de milléniaux !

Vers des familles dans le centre-ville de Montréal?

Élever des enfants à l'ombre des gratte-ciel, ça semble utopique, mais l'administration Coderre et des promoteurs ne baissent pas les bras et rêvent d'attirer les parents et leur progéniture dans le centre-ville. Est-ce réaliste ?

Afin de maintenir des prix abordables dans le centre-ville de Montréal, les promoteurs réduisent le plus possible la taille des appartements. Ce qui fait qu'aujourd'hui, selon les données du Groupe Altus, 58 % des appartements au cœur de la ville possèdent une seule chambre à coucher ou sont des studios. Un mince 4 % comptent trois chambres à coucher ou sont des maisons de ville.

«Le problème pour les jeunes familles, c'est que les rares appartements de grande taille sont surtout des penthouses qui visent le marché haut de gamme», affirme Vincent Shirley, directeur recherche, évaluation et services-conseils au Groupe Altus. À moins d'être millionnaires, les familles peuvent difficilement y demeurer.

Les promoteurs ont toutefois de plus en plus les familles dans leur mire. «Puisque la majorité de nos acheteurs sont jeunes, on pense que viendra un jour où ils voudront avoir des enfants et rester dans le même quartier. On devra répondre à la demande», affirme Laurence Vincent, vice-présidente ventes et marketing au Groupe Prével.

Signe des temps, plusieurs projets intègrent actuellement des maisons de ville, avec entrée directe de la voie publique. On en trouvera dans la troisième phase du projet 21 e arrondissement du Groupe Prével, dans la tour Amati de Devimco, dans la Tour des Canadiens 2, de Cadillac Fairview et partenaires, dans le complexe Arbora, de Sotramont, et au YUL, du Groupe Brivia. Cependant, on ne parle pas de maisons abordables. Rien à moins de 400 000 dollars.

Au-delà du prix, il faut aussi des services pour les familles. La Ville promet de remédier aux lacunes du centre-ville, en ajoutant notamment des écoles. «On vise un centre-ville aussi diversifié que les autres quartiers montréalais», affirme Richard Bergeron, responsable de la Stratégie centre-ville au comité exécutif de la Ville de Montréal (voir l'entrevue).

Bye bye, voiture !

Une place de stationnement avec votre copropriété ? Non merci !

Depuis peu, les promoteurs de complexes résidentiels dans le centre-ville sentent une diminution de la demande de places de stationnement. «À notre grande surprise, nous avons récemment supprimé un étage de stationnement dans l'un de nos projets», explique Anick Shooner, architecte chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux, très présente dans le centre-ville, notamment pour la conception du projet YUL condos.

Les statistiques le confirment. Les milléniaux, la plus grande proportion des acheteurs dans le centre-ville, sont de moins en moins enclins à passer leur permis de conduire et à posséder une voiture. Une tendance visible à l'échelle planétaire. «Dans le marché immobilier, Uber a été un game changer. Depuis son arrivée, on ressent une baisse d'intérêt pour les places de stationnement», affirme Patrice Groleau, de McGill Immobilier, courtier qui se spécialise dans la vente de copropriétés neuves. La raison : les applications mobiles facilitent les déplacements sans voiture.

Les milléniaux et la société en général prennent aussi conscience des impacts environnementaux de la voiture. «Les gens veulent aussi un mode de vie plus actif, avec déplacement à vélo ou à pied», remarque Jean Dubé, professeur de développement régional à l'Université Laval. Bien sûr, le prix exorbitant des stationnements souterrains en ville, au prix médian de 48 000 dollars la place, selon les données du Groupe Altus - ce qui dépasse souvent le coût de la voiture -, doit aussi peser lourd dans la balance. À ce prix, il vaut mieux pédaler....

Prix moyen par pied carré, copropriétés neuves, centre-ville de Montréal

500 $/pi 2: dans le Village Shaughnessy, le Vieux-Montréal et le Quartier des spectacles

400 $/pi 2: dans Griffintown et dans l'est du centre-ville

600 $/pi 2: autour du Centre Bell

Frais de copropriété des projets actifs, centre-ville de Montréal

Coût médian/frais mensuels pour un condo de 600 pieds carrés

- Environnement immédiat du Centre Bell 0,38 $ le pied carré (228 $/mois)

- Centre-ville ouest 0,35 $ le pied carré (210 $/mois)

- Griffintown 0,28 $ le pied carré (168 $/mois)

- Centre-ville 0,29 $ le pied carré (174 $/mois)

Source : Groupe Altus

 

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