Pionnière du leadership au féminin

Publié le 15/04/2010 à 15:53

Pionnière du leadership au féminin

Publié le 15/04/2010 à 15:53

Par lesaffaires.com

Trente-sept ans après avoir lancé son entreprise, l'ex-vedette de la télévision, Lise Watier, est encore une source d'inspiration pour nombre d'entrepreneures.



Février 1983. Lise Watier est nommée " Homme du mois " par la Revue Commerce... Il faut dire qu'à l'époque les femmes qui faisaient les grands titres d'une publication d'affaires étaient très rares...

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Le monde des affaires était un univers masculin et bien peu de femmes s'étaient élevées jusqu'à ces sommets. C'est dire à quel point Lise Watier n'a pas usurpé le titre de pionnière. Vedette de la télévision durant les années 1960, elle a tout laissé pour vivre son rêve et réaliser ses ambitions. Comme elle le dit elle-même, on ne la prenait pas vraiment au sérieux et elle avait peu de modèles qui puissent l'inspirer. À force d'audace, d'opiniâtreté et d'imagination, elle a réussi à se tailler une place et à faire de son nom une marque reconnue.

Les Affaires - Vous êtes souvent présentée comme LA référence en affaires pour les femmes. Lorsqu'on parle d'une entrepreneure, c'est votre nom qui vient à l'esprit. Quel effet cela vous fait ?

Lise Watier -
Je vais d'abord vous dire pourquoi (sourire) : c'est peut-être parce que je suis sur toutes les lèvres... grâce à mes produits ! Mais oui, cela me fait quelque chose. Je suis peut-être la plus couverte médiatiquement, pas parce que je suis la plus importante ou la meilleure, mais parce que les gens me connaissent davantage. Mais je ne suis pas la seule, loin de là.

L.A. - Il est vrai que tout au long de votre carrière, vous avez été très visible, ne serait-ce qu'à cause de vos débuts à la télévision. Vous avez travaillé dans les médias avant de vous retrouver dans l'univers des cosmétiques.

L.W. -
Mon séjour dans les médias a duré de 1963 à 1968, quand je me suis lancée en affaires et que j'ai démarré mon Institut. J'ai fait partie des meubles du Québec. J'étais tous les jours à la télévision.

Et quand je me suis lancée en affaires, c'était mon seul capital. Mon capital, ce n'était pas un capital monétaire, c'était un capital de personnalité, d'échanges que j'avais eu avec les femmes, de respect pour les femmes. Je n'ai pas eu de banquier. Quand je me suis lancée en affaires, c'est parce que j'avais ce tempérament d'indépendance totale. Je détestais qu'on me dise : " C'est grâce à moi si vous avez telle chose, c'est grâce à moi si vous réussissez, c'est grâce à moi... " Je me suis dit : " Non, si je réussis un jour, ce sera grâce à moi. "

L.A. - C'était votre affaire...

L.W. -
Mon affaire. Pas de banquier. Jusqu'à ce que j'arrive dans les cosmétiques.

L.A. - Et qu'est-il arrivé ?

L.W. -
Je n'ai pas eu besoin d'un banquier comme tel, jusqu'à beaucoup plus tard au cours de mes affaires. Et je vais vous avouer que lorsque j'en ai eu besoin, je n'étais pas tellement la bienvenue. Une femme en affaires, surtout dans les cosmétiques, cela n'était pas sérieux. Il fallait un homme. Ou bien c'était mon mari ou bien c'était des directeurs qui travaillaient dans ma société, mais c'était des hommes. Et moi, je n'avais même pas besoin d'y aller. Parce que j'étais Lise Watier, un ancien mannequin, vedette de la télévision, ce qui n'était vraiment pas sérieux. Les banquiers et moi, ça n'a jamais été une grande histoire d'amour, jusqu'à plus tard, quand j'ai eu fait mes preuves...

CONVAINCRE À FORCE DE PASSION

Les Affaires - Lorsqu'on prend des initiatives, on décide également de prendre les devants. C'est souvent ce qu'on associe au leadership. Est-ce que c'était votre cas ?

Lise Watier -
Totalement. Depuis mon enfance. Quand j'étais petite, si on jouait à l'école, j'étais la maîtresse d'école; si on jouait à autre chose, j'étais toujours le patron. Il fallait que je dirige mon équipe. Et je ne l'ai jamais fait avec prétention, je l'ai fait de façon naturelle. Au couvent, s'il y avait des événements, je les prenais en charge et j'aimais cela. Cela faisait partie de mon ADN.

L.A. - Il y a d'autres qualités intrinsèques que l'on doit posséder pour pouvoir galvaniser des gens. Quelles sont celles que vous reconnaissiez chez vous ?

L.W. -
J'ai une passion inconditionnelle, une passion irrationnelle. Quand je crois qu'une chose va réussir, j'ai tellement la foi qu'elle va réussir que cela transpire de moi, et tout le monde y croit avec moi.

Parce qu'on ne fait jamais rien seul. Il faut que je le fasse et que je le partage avec d'autres... Je savais qu'en offrant un produit qui serait bon, qui serait excitant, qui serait de bonne qualité et à bon prix, les femmes allaient l'acheter.

Dans une équipe tricotée serré par la passion, une maille lousse, cela ne passe pas, et la personne s'élimine d'elle-même. Je pense qu'une de mes qualités est d'avoir réussi à mettre en place cette équipe-là, tricotée serré avec moi, qui a permis à l'entreprise de se rendre là où elle en est aujourd'hui.

L.A. - Quand vous avez décidé de foncer, il n'existait pas beaucoup de précédents pour une femme qui se lançait en affaires.

L.W. -
Non, mais j'avais lu une histoire. J'ai lu la vie d'Helena Rubinstein. À la lecture de ce livre-là, c'est devenu très simple pour moi, et très évident. C'est ce que j'allais faire. Pas pour le côté affaires, c'est bizarre à dire, mais pour l'aspect missionnaire d'aider les femmes.

Ce côté me vient sûrement de mes études chez les religieuses - nous voulions toutes devenir missionnaires à un moment donné. Et je disais souvent, aux débuts de mon entreprise : " Nous sommes des missionnaires, il faut faire de la conversion une à une. Et une personne convertie en convertissait une autre. "

APPELER UN PARFUM NEIGES, ENVERS ET CONTRE TOUS

Les Affaires - Y a-t-il eu un événement où vous avez dû vaincre le scepticisme né de l'incompréhension, quel qu'il soit ?

Lise Watier -
Un exemple flagrant, mon parfum Neiges. En 1993, nous traversons les années les plus pénibles que mon entreprise a connues. J'ai subi un incendie qui a tout détruit en 1990. Puis, la banque a repris tout ce que j'avais reçu des assurances. Je me suis retrouvée dans la vague basse, très basse, avec respiration artificielle sous l'eau.

Un matin, je me suis levée, après avoir sûrement eu une vision nocturne, et j'ai dit à mon équipe que nous allions lancer un parfum qui s'appellerait Neiges. " Il y avait peut-être sept ou huit personnes autour de la table qui ont dit : " Mais ça ne se peut pas, un parfum Neiges... On déteste la neige ! La neige sale, l'hiver, à Montréal... On n'en veut pas, ce n'est pas possible... "

J'avais à l'époque un directeur général qui n'est pas resté longtemps, mais il était là au bon moment. Il m'a dit : " Lise, nous ne pouvons pas lancer un parfum appelé Neiges. Pourquoi ne ferions-nous pas un concours à l'interne, pour que tout le monde participe ? " J'ai toujours encouragé la participation. J'ai répondu : " Parfait, faisons un concours à l'interne, mais mon parfum, c'est un parfum comme la neige, un parfum blanc. "

Nous avons reçu toutes sortes de noms, jolis, intéressants et tout. Nous étions autour de la table avec tous nos noms, et puis j'ai dit : " Non, il va s'appeler Neiges. " Il fallait qu'il s'appelle Neiges, c'était prédestiné.

L.A. - Et vous avez rallié les autres à votre idée ?

L.W. -
Mon mari et mes filles me disaient : " Cela n'a pas de sens d'appeler un parfum Neiges ! " Mais tout le monde s'est rallié. Mon directeur général, mes gens de recherche-développement, de marketing.

C'était un nom qui venait du ciel. C'est pur, c'est blanc, c'est ce que nous sommes. C'est un parfum à la fois doux comme la femme d'ici, et fort comme la femme d'ici. Et cela a été le plus grand succès en matière de parfum jamais lancé au Canada. Et à ce jour, c'est le parfum, en unité, le plus vendu dans tout le pays. Il y aura 17 ans cette année...

Nous n'avions pas de budget de lancement non plus. Pour réunir de 600 à 800 esthéticiennes, qui étaient venues en autobus de toutes les régions du Québec, le budget total était de 25 000 $... J'ai eu des commanditaires comme celle des producteurs de lait du Québec, qui ont offert un punch à base de lait, parce que c'était blanc, avec un soupçon d'alcool.

Il y a également eu un spectacle sur glace à l'amphithéâtre du 1000 de La Gauchetière, à Montréal. Nous avions engagé des étudiants pour monter un spectacle. C'était le 29 novembre et tout le monde était arrivé en chaussures. C'était beau, c'était magnifique, et quand tout le monde est parti, il y avait trois ou quatre pouces de neige, dehors...

Trois semaines plus tard, il ne restait plus un seul flacon dans les magasins. Il fallait recommander avant Noël. Il y avait des files d'attente, des hommes qui attendaient et qui disaient : " Moi, si je n'apporte pas un flacon de Neiges à ma femme, elle ne passera par un beau Noël. Et un Noël sans neige, cela n'existe pas... "

" LA DÉTERMINATION EST UNE QUALITÉ QUE J'AI DÉVELOPPÉE "

Les Affaires - Pour réussir malgré tous ces obstacles, il fallait une bonne dose de détermination !

L.W. -
Je n'ai que ça ! Demandez à n'importe qui dans l'entreprise de nommer deux traits qui me démarquent : la détermination et l'imagination. L'imagination étant un cadeau du ciel et la détermination étant sûrement une qualité que j'ai développée au cours des ans. Je suis extrêmement déterminée.

Au début, tout le monde m'ignorait. Les concurrents m'ignoraient parce que j'étais tellement petite. On me donnait six mois à peine... et ça fait maintenant 37 ans !

L.A. - Ce qui nous amène à votre manière de diriger. Quelle est la vôtre ?

L.W. -
Je ne crie jamais, je ne donne jamais d'ordres, pas plus à la maison. Je dis ce que je souhaiterais avoir, je demande : " Qu'est-ce que vous en pensez, est-ce que vous aimez ça ? " Pour convaincre les gens, il faut les faire participer. Et quand j'ai une idée, il faut que je sois assez intelligente pour qu'elle vienne en même temps que tout le monde et que tout le monde l'embrasse.

L.A. - Vous avez parlé d'Helena Rubinstein. Y a-t-il d'autres personnes qui vous ont marquée ?

L.W. -
Dans d'autres activités, il y a Jeannine Guillevin-Wood, qui nous a malheureusement quittés il y a peu de temps. Elle siégeait sur mon CA pendant les années 1980 et c'est une femme que j'admirais beaucoup. Elle me disait toujours : " Lise, il faut que tu t'entoures bien ". Et elle avait raison, parce que c'est l'équipe, tricotée serré, qui fait avancer les choses. Moi, j'ai une vision que j'aime faire partager, et c'est tout le monde ensemble qui la fait avancer.

L.A. - C'est intéressant que vous parliez de Mme Guillevin-Wood, parce que lorsqu'on parle de femmes en affaires, les deux personnes auxquelles on pense spontanément, c'est elle et vous.

L.W. -
Toutes les deux, nous avons été " Homme du mois " de la Revue Commerce ! Quelques années plus tard, on m'a remis un nouveau certificat qui disait " Personnalité du mois "...

D'ailleurs, des gens m'ont souvent posé la question : " Est-ce que c'est plus difficile pour une femme d'être en affaires ? " Je ne l'ai jamais senti parce que j'étais la mieux placée pour savoir ce dont je parlais. Je suis une femme, j'aime les femmes parce que j'ai toujours travaillé pour elles, je les comprends. Je n'avais aucun complexe. Et aucun banquier ne pouvait en savoir plus que moi sur ce que je faisais.

L.A. - Il doit vous arriver de regarder ce que vous avez accompli. De quoi êtes-vous la plus fière ?

L.W. -
J'ai eu une vie comblée, beaucoup d'amour, mes enfants, et aussi une vie professionnelle remplie. Ce qui me fait beaucoup plaisir, c'est de voir des gens qui sont avec moi depuis tant d'années. C'est une très grande satisfaction que des gens soient ici depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans. De voir des femmes et des hommes qui se sont réalisés, cela ne me laisse pas indifférente.

" AUJOURD'HUI, JE PEUX DIRE QUE JE SUIS FIÈRE "

Les Affaires - Vous avez récemment repris la tête de l'entreprise. Pourquoi ?

L.W. -
Ce n'était pas un souhait. Le bateau a eu des moments houleux, peut-être, ou n'allait pas dans la direction que l'on voulait. Mon mari et moi savons comment régler les problèmes actuels. C'est comme une mère avec son enfant, qui sait exactement comment le soigner et le remettre dans la bonne voie.

Dans ma tête, je prenais une préretraite, je m'occupais de ma Fondation Lise Watier à temps plein et du Pavillon Lise Watier qui va, en principe, ouvrir en mai. C'est une maison de 29 logis pour des femmes qui souhaitent laisser l'itinérance et se reprendre en main. J'ai été mise en contact à plusieurs reprises avec l'itinérance, avec la misère qu'on ne voit pas. Et je me suis dit : " Avec tout ce que j'ai reçu des femmes, il faut que je remette à des femmes, à des femmes qui en ont besoin. "

L.A. - En affaires, de quoi êtes-vous la plus fière ?

L.W. -
Il y a sept ou huit ans, lorsque les gens me demandaient : " Êtes-vous fière de ce que vous avez fait ? ", j'avais beaucoup de difficulté à dire : " Oui, je suis fière. " Savez-vous pourquoi ? Parce que je voyais tout ce que je voulais faire demain et après-demain. Ce que j'avais fait depusi le début ne me suffisait pas.

Aujourd'hui, j'ai peut-être la sagesse et l'humilité de dire : " Oui, je suis fière, parce que j'ai accompli des choses que j'ai beaucoup aimées, qui ont profité à beaucoup de femmes, ici au Québec. " Aujourd'hui je peux dire sans mentir que je suis fière.

L.A. - Nous terminons avec notre question fétiche. Votre nom figurera dans des dictionnaires, il y aura des notes sur vous et sur ce que vous avez accompli. Que souhaiteriez-vous y lire ?

L.W. -
Oh là là ! D'abord, je ne suis pas certaine que je vais y figurer, mais disons... " Elle a rêvé, elle a osé, elle a accompli, elle est restée une personne très humaine... et elle a voulu redonner ce qu'elle a reçu. "

( CV )
Nom:
Lise Watier
Âge: 67 ans
Fonctions : Fondatrice et présidente
Entreprise: Lise Watier Cosmétiques

Lise Watier est née à Montréal. Après une carrière à la télévision pendant les années 1960, elle fonde un Institut qui porte son nom, en 1968. En 1972, elle créé sa propre gamme de produits de beauté, Lise Watier Cosmétiques.

Son heure de gloire survient en 1993, avec le lancement de Neiges, qui demeure aujourd'hui encore le parfum le plus vendu du Québec et un best-seller au Canada.

Reconnue comme une pionnière dans le monde de l'entrepreneuriat féminin, Lise Watier a été désignée femme d'affaires de l'année à six reprises par Léger & Léger, de 1993 à 1998. Le magazine torontois Profit l'a par la suite placée - lui aussi six fois, de 2004 à 2009 - dans sa liste des Canada's Top Women Entrepreneurs, après l'avoir nommée, en 1992, " l'un des 10 entrepreneurs canadiens de la décennie. "

En 2007, elle a vendu la majorité des actions de son entreprise à la firme ontarienne Imperial Capital Corporation, tout en demeurant actionnaire minoritaire. Elle avait également cédé la présidence à Anne Martin-Vachon, en 2009. Celle-ci vient de quitter l'entreprise, entraînant le retour à la barre de la fondatrice.

Toujours en 2009, elle a mis sur pied la Fondation Lise Watier, qui supervise entre autres la construction d'un centre d'aide pour femmes. Le Pavillon pour femmes itinérantes, qui sera érigé à Montréal, offrira 29 logements à des femmes qui veulent sortir de la rue.

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