Petit, Antoine Couvreur a gagné son premier argent de poche en récupérant les bouteilles vides dans les restaurants. Jeune diplômé en commerce, il entre au Groupe Rémy Cointreau. Depuis 2009, il est responsable d'une des marques du groupe, le brandy St-Rémy. Je l'ai rencontré alors qu'il était de passage à Montréal.
Diane Bérard. - La marque St-Rémy existe depuis 1886. C'est un héritage à la fois riche et lourd...
Antoine Couvreur - Nous avons une très longue histoire. Lorsque nous créons un nouveau produit, il faut que ce soit légitime par rapport à nos origines et notre savoir-faire ancestral.
D.B. - Votre fameuse bouteille noire n'a pas changé...
A.C. - Vous vous trompez. Nous l'avons, très subtilement, mise au goût du jour. Ainsi, nous avons fait évoluer l'étiquette. Dernièrement, nous avons changé un peu la couleur de l'or ainsi que celle du beige pour les rendre plus contemporains et plus gourmands dans l'esprit du jour. Ce sont de petites touches pour accompagner la vie de la marque.
D.B. - St-Rémy ne propose que quatre produits. Comment comptez-vous augmenter vos revenus ?
A.C. - St-Rémy ajoute des produits au compte-gouttes. Il faut gérer la marque avec soin. Nous n'offrirons jamais dix ou vingt alcools. Notre croissance repose sur une combinaison de nouveaux moments de consommation - boire du brandy comme apéro -, de nouveaux modes de consommation - boire du brandy en cocktail -, de nouveaux marchés et, de temps en temps, de nouveaux produits très ciblés.
D.B. - Accroître les ventes de spiritueux et accroître celles de vin, en quoi cela diffère-t-il ?
A.C. - C'est la même stratégie : il faut convaincre le consommateur de modifier ses habitudes. Les fabricants de vin veulent vous convaincre de prendre leur produit aussi en apéro. Les fabricants de spiritueux, eux, que leur alcool peut accompagner tout votre repas, soit dans les plats, soit en accord mets et vins. Pour l'alcool, la concurrence se définit en moments de consommation, pas en produits.
D.B. - Depuis deux ans, St-Rémy ose. Une bouteille transparente pour French Honey et une bouteille blanche pour St-Rémy à la crème. Pourquoi ?
A.C. - Nous avons osé, parce que nous nous adressons à un public différent de celui de St-Rémy Authentic et de St-Rémy V.S.O.P. French Honey et St-Rémy à la crème s'adressent à une clientèle plus jeune, souvent des femmes.
D.B. - French Honey, lancé à la fin de 2013, est une commande spécifique de votre part. Quelle était-elle ?
A.C. - Je demandé à notre maître de chai, Martine Pain, de réfléchir à un assemblage plus doux et plus sucré. Martine a tout de suite songé au miel. Pour rester fidèle à notre étiquette française, il restait à trouver un miel local. Tout comme nos alcools mûrissent dans des fûts de chêne français, notre miel, lui, vient de la Provence. Il a fallu plusieurs mois pour trouver la bonne recette. La bouteille transparente est venue compléter le message voulant que nous ne soyons pas sur le même produit que St-Rémy Authentic ou St-Rémy V.S.O.P.
D.B. - St-Rémy à la crème serait inspiré d'un de vos voyages au Canada. Racontez-nous.
A.C. - Un voyage au Canada, et au Québec en particulier. Au cours de ce voyage, j'ai constaté que les Québécois ont une façon particulière d'appréhender le brandy. Vous avez une relation plus «gastronomique» avec cet alcool.
D.B. - C'est tout de même ironique d'entendre un créateur d'alcool français dire que la culture foodie québécoise lui a inspiré un nouveau mélange...
A.C. - Pas du tout. La France a une tradition gastronomique, certes. Mais votre culture foodie est très importante et vos chefs, plutôt audacieux. Ils n'hésitent pas à mélanger du brandy avec un plat de résistance. Par exemple, le chef de la Queue de cheval a imaginé un steak tartare infusé au brandy. C'est ce type d'expérience culinaire qui m'a donné l'idée de développer un brandy gourmand pour les gourmets. Et je crois que le Québec est le plus prometteur de tous les marchés canadiens pour St-Rémy à la crème, à cause de votre culture de l'expérimentation culinaire.
D.B. - St-Rémy appartenant au Groupe Cointreau, quel est votre degré d'autonomie ?
A.C. - Tout est partagé avec le siège social, la stratégie, les nouveaux produits, les nouveaux formats. Je ne crois pas au travail solitaire dans notre coin. Et puis, l'industrie des spiritueux est peuplée de gens passionnés de l'histoire des marques et des liquides. C'est très chaleureux et enrichissant. Après la discussion et la validation, Martine et moi faisons notre travail d'implantation. Chaque marque a la liberté d'écrire et de raconter sa page d'histoire à son image.
D.B. - Whisky, brandy, vodka : qui boit quoi ?
A.C. - La vodka est plus populaire auprès des femmes, et les alcools bruns sont un peu plus consommés par un public masculin.
D.B. - Y a-t-il des modes ? La consommation de vodka, par exemple, a connu de belles années.
A.C. - Oui, il existe des tendances créées, en partie, par les bartenders. Ces temps-ci, ces tendances vont vers les alcools bruns. Au Canada, par exemple, on note un regain d'intérêt pour le brandy. Il a toujours fait partie de la culture cocktail. En ce moment, les bartenders se le réapproprient.
D.B. - Pour augmenter vos ventes, faut-il travailler la notoriété de votre marque ou celle du brandy ?
A.C. - Il est plus efficace pour nous si d'autres marques de brandy développent elles aussi la conscientisation autour de cet alcool. Et pour y arriver, rien ne vaut la dégustation. La vérité se trouve dans la bouteille.
D.B. - Se boit-il plus de brandy nature que dans des cocktails ?
A.C. - La consommation la plus importante se fait à la maison, nature. Les consommateurs boivent St-Rémy en digestif, au coin du feu. Le challenge consiste à proposer d'autres modes de consommation, à d'autres moments.
D.B. - Vos alcools ont remporté des médailles. Qu'est-ce que ça change ?
A.C. - C'est une façon très simple de démontrer la qualité de nos assemblages. Et puis, cela permet de nous comparer à la concurrence.
D.B. - Les trois marchés principaux de la marque St-Rémy sont le Canada, la Russie et le Nigeria. Quel est le rapport entre ces trois marchés ?
A.C. - Il n'en existe aucun. Dans le cas du Canada et du Nigeria, c'est une question de temps. St-Rémy est vendu au Canada depuis les années 1960 et au Nigeria depuis les années 1970. La Russie est un marché plus jeune, cinq ou six ans à peine. Il a décollé rapidement, car les Russes aiment les alcools forts. Ils consommaient déjà du brandy.
D.B. - L'Union européenne a mis fin à ses subventions aux distillateurs d'eau-de-vie. Quel est l'impact pour St-Rémy ?
A.C. - Passer d'un marché réglementé à un marché libéral a eu un impact significatif sur mon coût de fabrication. Nous avons réagi en développant des produits plus haut de gamme pour absorber ces augmentations.