«Je voudrais commencer en vous insultant tous. Le marketing, c'est complètement inutile ! C'est même un parasite pour les entreprises !» a lancé, tout sourire Manoj Fenelon, directeur foresight (prévoyance) chez PepsiCo Global Beverage Group, devant une salle pleine... de spécialistes du marketing.Si le conférencier principal du troisième et dernier Rendez-vous CMO (chief marketing officer, ou directeur marketing) organisé par Les Affaires n'était pas là pour flatter l'ego des participants, il a vite su capter leur attention. Du début à la fin de sa présentation intitulée «Se renouveler ou disparaître : la créativité et l'innovation comme moteurs de croissance», tous les yeux étaient rivés sur lui. D'autant plus que, malgré son entrée en matière corrosive et une allure qui rappelle celle de l'humoriste Sugar Sammy, M. Fenelon s'est attelé à expliquer en quoi la réinvention de la fonction marketing est essentielle à sa survie.
Une bulle déconnectée
Le constat est sans appel pour le directeur foresight : non seulement les campagnes publicitaires à grand déploiement et élaborées à grands frais ratent leur cible, mais elles s'avèrent inutiles. «Prenez l'exemple de la brasserie Pabst Blue Ribbon. Bien qu'elle n'investisse pas un sou dans la publicité, elle connaît une croissance de ses parts de marché. À l'inverse, le géant Budweiser engloutit des sommes considérables dans la promotion, mais il perd des parts... Ou encore, pensez aux ugly sweaters (les chandails laids)... Ils se vendent comme des petits pains, s'étonne-t-il. Nous vivons dans un monde absurde !»
«Le marketing est déconnecté de la réalité, poursuit-il. C'est devenu un monde en soi, un monde à part. Pourtant, nous savons très bien ce qui influence les décisions d'achat : ce sont les relations, les amis. Ce sont eux qui se retrouvent en tête de liste. Les gens ne font plus confiance au marketing et à la publicité. Alors, pourquoi nous entêtons-nous dans cette voie ?»
Voué à l'extinction
Après avoir tiré à boulets rouges sur l'état actuel du marketing, déconstruit ce qu'il conçoit comme une fonction déconnectée de la réalité, Manoj Fenelon s'explique. Selon lui, nous sommes entrés dans une ère où l'on rejette les conventions, où la publicité indispose, et où pour vendre, il faut précisément faire le contraire de ce que le marketing préconise. Ce qu'il appelle the joy of not being sold anything (la joie de ne pas se faire vendre quoi que ce soit). «Nous devons arrêter de dire aux gens comment vivre leur vie ou de leur donner des conseils. Ils portent désormais des lunettes qui leur font voir la réalité, les intentions dissimulées des publicités.»
«Le monde est turbulent et se transforme rapidement. Je crois que notre modèle de société né de l'industrialisation est condamné à disparaître. Il ne peut pas survivre. Et arrêtons de penser que si la croissance stagne en Amérique du Nord, nous pourrons nous appuyer sur les pays émergents et profiter de l'essor de leur production et de leur consommation. Le problème, c'est que le reste du monde ne peut pas nous imiter, ce serait insoutenable pour la planète. Et non, je ne crois pas non plus que les nouvelles technologies puissent tout régler.»
Et s'il est encore trop tôt pour définir parfaitement ce «Nouveau Monde», le conférencier en tire déjà quelques conclusions. «Le contrôle, la culture du secret, la persuasion et les structures décisionnelles "top Down" sont tous en déclin. En parallèle, l'ouverture, la transparence, les relations, la résilience et la défense des intérêts connaissent toutes un essor. Les valeurs changent.»
Faire partie de la solution
Quand il s'agit d'arrimer le marketing à la réalité, une seule solution trouve grâce aux yeux de Manoj Fenelon. «Tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que société sont aussi les problèmes des entreprises, et ces dernières doivent participer à la discussion. C'est-à-dire prendre position quant à des enjeux, des positions qui, bien sûr, sont en accord avec les intérêts de l'entreprise. Une marque de bière associée à la lutte contre le cancer du sein ? Pas vraiment. Mais Chipotle Mexican Grill (une chaîne de restauration rapide américaine) qui promeut l'agriculture durable, ça, c'est un bon exemple.»
«Chez nous [PepsiCo], il n'y a plus rien à inventer avec des bouteilles... Mais peut-être pourrions-nous tenter de changer la relation entre nos produits et les gens. Ce n'est plus à propos de l'objet, c'est à propos de la manière. Comment être inventif au quotidien, plutôt que de rechercher une innovation en particulier ? Notre présidente et chef de la direction m'a déjà dit que l'entreprise avait besoin de plus de militants à l'interne, des gens pour qui l'empathie est importante.»
Ce qu'ils en disent
À la suite de la représentation de Manoj Fenelon, les membres d'un panel de spécialistes marketing étaient appelés à partager leur expérience. Tour à tour, ils ont présenté leurs réflexions, répondu aux questions du public et offert leurs conseils.
«L'industrie du lait est en déclin et on se doit d'innover. On se cherche beaucoup, on tente de faire tomber les barrières. Nous partons toujours avec de petits projets, nous les analysons, et ensuite, nous pourrons les lancer à l'échelle nationale. D'ailleurs, nous avons revu récemment le design de nos produits. Nous croyons que l'image est l'amorce dans la relation entre nos clients et nos produits.» - Caroline Losson, vice-présidente marketing chez Agropur
«On veut des gens qui ont des idées et qui sont capables de les élaborer. Il faut aussi savoir engager les gens dans nos projets. Par exemple, quand le moment est venu de sélectionner les sièges pour nos nouvelles voitures de métro, nous les avons testés auprès de notre clientèle.» - Denise Vaillancourt, directrice exécutive planification, marketing et communications à la STM
«Pour trouver les bonnes ressources [humaines], il faut revoir les critères de sélection. Si les compétences techniques, ça s'apprend, l'attitude, elle, ne s'apprend pas. Nous sommes à transformer un étage, là où on comptait l'argent, en laboratoire, une "succursale du futur", afin de revoir nos façons de faire.» - Lise-Anne Amyot, vice-présidente image de marque et expérience client à la Banque Nationale