Il y a 10 ans, sept anciens employés d'Andersen France ont lancé le cabinet-conseil Accuracy, qui compte 10 bureaux, dont un à Montréal depuis 2011. La firme place l'éthique et la bienveillance au coeur de ses valeurs. Cette année, elle s'est classée première en France lors de l'enquête de l'institut Great Place to Work, dans la catégorie des 500 employés ou moins. J'ai interviewé Frédéric Duponchel, pdg de l'entreprise.
Diane Bérard - Accuracy a été fondée par des anciens associés d'Andersen, ce cabinet comptable légendaire emporté dans un parfum de scandale à la suite de son association avec Enron. Parlez-nous de cette période.
Frédéric Duponchel - Je suis entré chez Andersen en 1988. En 2002, à la suite de l'affaire Enron, la boîte s'est désagrégée. Chaque pays où Andersen était présent a décidé de son sort. En France, E&Y a racheté notre entreprise. Pour moi, en apparence, rien n'avait changé. J'avais le même bureau, les mêmes équipes et les mêmes clients. Mais l'affaire Enron avait laissé des traces. Quand on a vécu ça, on ne veut plus de compromis. Je suis devenu un «malade de l'éthique». Avec six autres associés qui partageaient cette préoccupation, nous avons quitté E&Y pour lancer le premier cabinet comptable français qui ne fait que du conseil. Accuracy n'offre aucun service d'audit.
D.B. - Accuracy ne manque pas d'ambition. Elle se décrit comme «le McKinsey des chiffres»...
F.D. - Nous avons toujours eu la même vision depuis le 4 novembre 2004. Accuracy veut être un acteur de référence haut de gamme. D'où la comparaison avec McKinsey. Elle est la référence du conseil de stratégie. Nous voulons être la référence en conseil de chiffres. Quant au qualificatif «haut de gamme», il souligne que nous offrons des prestations à haute valeur ajoutée pour lesquelles le client est prêt à payer plus. D'ailleurs, la fille d'un de nos clients nous décrit comme «l'Hermès de la finance». Ça, ça fait vraiment plaisir.
D.B. - Revenons à l'éthique. Quelle en est votre définition ?
F.D. - (Silence.) «Penser droit, parler droit.» Dans notre métier, cela signifie qu'il faut, en toutes circonstances, être en mesure de donner une vraie opinion sur ce qu'on voit, sans être influencé. En disant ce qu'on pense et en étant capable de l'écrire.
D.B. - Qu'est-ce que la «clause de conscience» ? L'avez-vous utilisée ?
F.D. - Si un des nos employés considère que les conditions d'exécution de la mission, tel qu'Accuracy les voit, ne sont plus remplies, on se réserve la possibilité d'arrêter le mandat. Tous nos contrats incluent cette clause. Nous l'avons déjà utilisée, mais c'est rare. Nous arrivons habituellement à expliquer à nos clients la raison pour laquelle ils gagnent à nous laisser donner un avis indépendant.
D.B. - Tout le monde est pour la vertu. Mais au moment d'agir...
F.D. - On ne peut pas prétendre à l'éthique comme valeur sans être prêt à faire des sacrifices à court terme en son nom. Supposons qu'on nous appelle pour une mission qui peut utiliser une information que nous avons obtenue un an avant, nous refusons. Si on nous embauche seulement afin que nous utilisions des informations privilégiées, nous passons notre tour pour demeurer complètement indépendants. Et puis, pour le reste, c'est à nous d'expliquer au client qui veut que l'on soit plus ceci ou moins cela pourquoi on ne fait pas ça, pourquoi on ne va pas dans son sens.
D.B. - Accuracy pourrait-elle défendre ces principes si elle était inscrite à la Bourse ?
F.D. - Non. Pour appliquer ces principes, il faut deux conditions : du courage et ne pas considérer l'argent comme une priorité. Dès que l'argent est la priorité, il y aura, un jour ou l'autre, compromission.
D.B. - Un des principes fondateurs d'Accuracy est l'exigence bienveillante. En quoi consiste-t-elle ?
F.D. - L'exigence bienveillante régit toute notre politique de ressources humaines. Nous pratiquons un métier exigeant. Les délais sont courts. Les projets d'Accuracy durent de deux à six semaines. Comme nos associés travaillent pour des clients qui ont des enjeux difficiles, on ne peut pas se tromper lorsqu'on les conseille. Tout cela place beaucoup de pression sur nos équipes. C'est ce qui explique le terme «exigence». Mais on veut que ce travail difficile se fasse dans de bonnes conditions. D'où la bienveillance, à la fois individuelle et collective. Nous voulons des consultants qui soient bien dans leur peau. On pense qu'ils seront plus performants s'ils se sentent bien. Pour qu'ils soient bien, nous conservons une hiérarchie plate et un management accessible. Nous comptons 35 associés pour 250 employés, ce qui équivaut à un associé pour superviser six employés. Nous leur expliquons beaucoup la stratégie et les façons de l'implanter. Nous parlons de façon transparente des difficultés et nous sommes ouverts à toutes les questions.
D.B. - Cette année, Accuracy s'est classée première en France lors de l'enquête de l'institut Great Place to Work. De quoi s'agit-il ?
F.D. - C'est un institut américain qui mène une enquête annuelle sur la satisfaction des employés de ses 400 entreprises membres. Notre entreprise est membre depuis sept ans. Au cours des six dernières années, Accuracy s'est classée 2e ou 3e. Cette année, elle arrive en 1re place.
D.B. - La notion «d'employeur de choix» ne commence-t-elle pas à dériver ? Pour les entreprises qui y aspirent, elle semble devenue une fin et non un moyen...
F.D. - C'est vrai. Il y a deux façons de voir le label d'employeur de choix. Soit on le prend comme une fin. Alors on donne des gadgets aux employés pour qu'ils soient contents. On se classe premier un jour et après on n'est plus là, parce que ça ne peut pas durer de cette façon-là. Soit on en fait vraiment une stratégie. Je pense que c'est le cas d'Accuracy. Nos actions s'inscrivent dans la durée. Il faut respecter les gens, leur expliquer les choses. Il faut les aimer, tout simplement.
D.B. - Quels types de mandats faites-vous ?
F.D. - Nous travaillons dans trois grands mondes : celui de la transaction, celui des contentieux entre entreprises et celui des difficultés d'entreprises.
D.B. - Votre cabinet compte des économistes. Pourquoi ?
F.D. - Cela fait partie des éléments distinctifs d'Accuracy. Le comptable est formé pour regarder les chiffres de l'entreprise. Il s'assure qu'ils sont exacts, que le modèle est bien construit. L'économiste, lui, regarde les chiffres autour de l'entreprise. Il réalise des analyses de marché pour vérifier les hypothèses de l'entreprise. Nous avons, par exemple, des experts en construction et infrastructures qui nous aident dans des mandats comme le chantier de Flamanville, où EDF construit une nouvelle génération de réacteurs nucléaires.
D.B. - Parlez-nous de la philosophie «one firm».
F.D. - Je dis à nos employés : «Oubliez vos nationalités, vous êtes tous des Accuraciens et vous travaillez ensemble. Vous avez un savoir-faire et on vous envoie là où l'on a besoin de vous».
D.B. - Qu'est-ce que l'Accu Incub ?
F.d. - C'est le programme par lequel Accuracy aide les start-ups. Comme toutes les entreprises, certains jeunes nous quittent pour aller fonder leur start-up. Pour éviter d'en perdre trop, nous offrons à nos employés la possibilité de travailler dans l'environnement start-up sans nous quitter. Chaque année, Accuracy sélectionne trois ou quatre start-ups que l'on coache et encadre gratuitement.