Tous les gestionnaires savent que des employés heureux sont plus productifs, mais combien de patrons s'en soucient vraiment ? Martin Joyal, lui, a décidé d'aider ses employés à réaliser leur rêves. Et il a embauché une gestionnaire pour l'assister dans cette tâche. Avec des résultats étonnants !
M. Joyal a fondé, en 2001, Rapid Snack qui produit des barres de céréales. Depuis un mois, la PME de LaSalle est la seule du monde à produire des barres purs fruits, selon son président. C'est l'une de ces milliers de PME manufacturières aux emplois plutôt mal payés où l'on retrouve beaucoup de nouveaux arrivants. Les 55 employés de Rapid Snack, en l'occurrence, proviennent d'une vingtaine de pays différents.
Ces entreprises, qui représentent une véritable bouée de sauvetage pour ces personnes qui ne parlent souvent ni le français ni l'anglais, ont généralement des taux de roulement très élevé, ce qui nuit aux affaires. " En 2005, il atteignait presque 100 %. Comme notre croissance annuelle varie de 30 à 40 % depuis 10 ans, la situation devenait intenable ", explique M. Joyal, âgé de 40 ans et possédant 90 % des actions de son entreprise.
Abaisser le taux de roulement
Le vice-président, développement des affaires, s'est d'abord attaqué au problème en faisant comme tout le monde, comme il dit : description de postes, tableau de compétences, organisation d'activités sociales, rotation des tâches pour rendre le travail moins ennuyeux et autres mesures que l'on apprend dans les livres de gestion. Et ça a marché ; en quelques années, le taux de roulement de ses employés a chuté à moins de 20 %. Mais il voulait faire mieux.
À la recherche de solutions plus efficaces, il tombe sur un petit livre de psycho pop qu'on lit en une heure et demie : The Dream Manager, de Matthew Kelly. Dans ce livre de fiction, le patron d'une PME qui nettoie les toilettes se désole de son taux de roulement... de 300 %. À bout de ressources, il décide de demander carrément à ses employés ce qui les rendrait heureux et de les aider à réaliser leurs objectifs.
Le scénario séduit M. Joyal, qui dit s'être lancé en affaires pour être plus heureux, pas plus riche. Il se met donc en quête de recruter quelqu'un pour gérer les rêves de ses employés. En avril 2010, Veronica Pérez devient gestionnaire de rêves chez Rapid Snack. La Colombienne de 28 ans, arrivée au Québec trois ans plus tôt, était chargée de projets dans un centre communautaire auprès des femmes immigrantes.
Aider les autres à s'épanouir
Pour convaincre les employés qu'elle est vraiment de leur côté et qu'elle n'a pas été embauchée pour augmenter la productivité, Mme Pérez s'installe dans un bureau loin de l'administration, à l'autre bout de l'usine.
" Au début, quand je leur ai dit que j'avais été embauchée pour réaliser leurs rêves, il y a eu de la méfiance ", raconte Mme Pérez avec son bel accent.
Elle offre néanmoins à tous de les rencontrer, pendant les heures de travail, pour connaître leurs rêves, leurs projets. " Les femmes ont eu plus de facilité à se confier. "
Comme 80 % des employés de Rapid Snack ne sont pas nés au Canada, la gestionnaire de rêves se fait poser beaucoup de questions sur la société québécoise : quels sont les rouages de notre système bancaire, comment faire un budget, acheter une auto ou économiser pour acquérir une maison, où trouver de l'épicerie moins chère, une garderie, etc.
" Mon travail consiste à leur fournir des ressources, explique Mme Pérez. Lorsque plusieurs m'adressent la même demande, je peux faire venir une ressource externe. " C'est le cas des cours de français, qui sont offerts à l'usine durant les heures de travail.
Il n'y a presque pas de limites à ce que les employés peuvent demander à leur gestionnaire de rêves ; comme celui qui voulait changer d'allure pour être mieux dans sa peau. Ou cet autre qui voulait perdre du poids. À quelqu'un qui voulait se faire des amis dans son quartier, Mme Pérez a donné les coordonnées du centre communautaire, de la piscine publique, lui a conseillé d'inviter des voisins à prendre un café à la maison, etc.
Si un employé présentait des problèmes de toxicomanie, éprouvait des difficultés avec son ado ou voulait rencontrer des personnes du sexe opposé, Mme Pérez pourrait l'aider aussi. " Je fais un suivi un mois après notre rencontre et ils doivent avoir fait leurs devoirs ", dit la jeune femme titulaire d'un baccalauréat en droit et sciences politiques et d'un MBA en affaires internationales, obtenus à Bordeaux, en France.
40 : Nombre d'employés, sur les 55 qu'emploie Rapid Snack, qui ont rencontré Veronica Pérez depuis avril dernier. Le roulement du personnel de la PME a diminué de 18 à 4 %. Il y en a même deux qui ont quitté l'entreprise pour retourner à l'école. " J'ai perdu 2 employés, mais ils vont peut-être m'en envoyer 10 autres ", dit Martin Joyal.