Montréal participe pour la première fois à la compétition internationale Défi Technovation. Jusqu'au 23 avril, dans 25 pays, des milliers d'adolescentes de 10 à 18 ans développeront une application pour téléphone mobile. À Montréal, elles seront 50, réparties en 12 équipes. Défi Technovation a été lancée en 2009 par l'Américaine Anuranjita Tewary, directrice de la gestion de produits chez Intuit. Intuit a créé, entre autres, l'application Mint pour la gestion des finances personnelles.
Diane Bérard - En février, Montréal s'est jointe au Défi Technovation (Technovation Challenge). De quoi s'agit-il ?
Anuranjita Tewary - C'est une compétition internationale qui vise à développer des compétences en technologie et en entrepreneuriat chez les filles de 10 à 18 ans. Regroupées en équipe de trois à cinq, elles développent une application mobile qui contribue à résoudre un problème de leur collectivité. Elles développent aussi le plan d'affaires pour la commercialiser. La période d'inscription s'est terminée le 15 février. Les participantes ont 12 semaines, jusqu'au 23 avril, pour développer et soumettre leur application. La compétition se déroule dans plus de 25 pays simultanément. Une dizaine d'équipes participeront à la finale internationale.
D.B. - Donnez-nous des exemples d'applications gagnantes de ce concours ?
A.T. - En 2011, les gagnantes avaient développé IOU, une application qui permet de retracer les articles et l'argent que vous avez prêtés ou empruntés à vos copains. En 2013, l'équipe gagnante a développé Arrive, qui permet aux élèves de confirmer leur arrivée à l'école au moyen de leur téléphone. Un message texte est automatiquement envoyé aux parents. Arrive facilite la gestion en temps réel de la fréquentation des élèves et de leurs absences.
D.B. - Vous êtes l'initiatrice du Défi. Comment en avez-vous eu l'idée ?
A.T. - Ce projet est le fruit de ma rencontre avec mes doutes. J'ai étudié en science dans les universités les plus prestigieuses, MIT et Stanford. Mes parents ont toujours cru en moi. J'ai eu des emplois extraordinaires où l'on m'a rapidement confié des responsabilités. J'ai été, entre autres, gestionnaire de produits chez Microsoft pour le produit Microsoft tv. Puis, en 2009, je suis allée au Startup Weekend, à San Francisco. J'ai écouté tous ces entrepreneurs présenter leurs idées, et j'ai commencé à douter. Malgré mes diplômes, mes réussites et ma connaissance de la techno, je me sentais incapable de lancer une entreprise dans ce secteur. Habitée par ces doutes, j'ai été attirée par la présentation d'une jeune femme de 22 ans venue de Floride pour exposer son idée d'entreprise. Son projet utilisait la technologie pour optimiser la consommation d'énergie des immeubles. Elle dégageait une telle passion que j'ai eu envie de joindre son équipe pour le week-end. Ce fut une expérience incroyable ! J'ai senti que moi aussi je pouvais être entrepreneure. Mais je me suis dit que si une femme choyée comme moi pouvait douter ainsi de son potentiel et de ses capacités, qu'en était-il de toutes ces jeunes filles qui n'ont pas ma chance ?
D.B. - Quelle est l'intention cachée de cette compétition technologique pour jeunes filles ?
A.T. - Le Défi Technovation veut donner confiance aux jeunes femmes. Je veux qu'elles aient le déclic que j'ai eu lors du Startup Weekend.
D.B. - Ce n'est pas la première fois qu'on tente d'intéresser les filles à la technologie. Les résultats sont plutôt décevants. Le Défi Technovation, lui, mise sur la relation symbiotique entre les filles et leur téléphone intelligent. Expliquez-nous.
A.T. - On dit que la techno n'intéresse pas les filles. C'est faux. La technologie occupe une place importante dans leur vie. Elles sont très actives sur les réseaux sociaux, par exemple. Et tout passe par leur téléphone. Pour intéresser les filles à la technologie, il faut passer par leur téléphone intelligent. Les adolescentes sont de grandes consommatrices d'applications mobiles. Nous misons sur cet intérêt pour les attirer et pour leur prouver qu'elles peuvent aussi devenir créatrices d'applications.
D.B. - Le succès de cette initiative repose sur un réseau de coachs et de mentors. Quelle est leur contribution ?
A.T. - Souvenez-vous de mon expérience au Startup Week-end de San Francisco. La jeune entrepreneure avec qui j'ai travaillé a été une sorte de mentor pour moi. J'ai voulu recréer ce sentiment de sécurité et de soutien pour les participantes. Les coachs sont responsables du recrutement dans les écoles et de leur encadrement. Ils s'assurent que les équipes ont accès à des ressources et à un lieu pour créer. Leur collaboration s'élève généralement à 60 heures. Ce sont souvent des professeurs ou des parents. Certains professeurs de sciences ont intégré le défi Techonovation à leur programme. Les mentors sont de jeunes diplômées ou des professionnelles qui initient les jeunes filles aux rudiments de la technologie et de l'entrepreneuriat. On n'exige pas d'elles qu'elles soient expertes en technologies mobiles. On s'attend plutôt à ce qu'elles soient douées pour la résolution de problèmes et la gestion de projet. Leur contribution varie entre 25 et 50 heures, selon qu'elles travaillent ou non en tandem avec une autre mentor.
D.B. - Votre compétition a eu un impact imprévu chez les mentors, quel est-il ?
A.T. - Trois de nos mentors ont décidé de lancer leur propre entreprise à la suite de leur expérience auprès des filles. L'une d'elles a été une des premières femmes à réussir son parcours dans l'incubateur californien Y Combinator.
D.B. - La première édition a eu lieu en 2009. Comment s'est-elle déroulée ?
A.T. - Nos débuts ont été modestes. Nous voulions simplement valider notre intuition. L'événement s'est tenu en une journée, et comptait 45 participantes accompagnées de 10 mentors. Nous n'avons fait aucune publicité, simplement du bouche-à-oreille. L'expérience a été concluante. L'année suivante, Google nous a fourni des locaux pour accueillir les participantes après l'école deux fois par semaine pendant deux semaines, et Microsoft a fourni un prix de 10 000 $. Pour la deuxième édition, nous avions 20 mentors.
D.B. - Vous entretenez de grandes ambitions pour le Défi Technovation, quelles sont-elles ?
A.T. - Le nombre des participantes au Défi Technovation est passé de 45 à 4 500 en cinq ans. C'est bien, mais c'est nettement insuffisant. Pour créer un mouvement, il nous faut 10 fois plus de participantes. Les filles ne représentent encore que 13 % des diplômés en informatique.
D.B. - Qu'advient-il des participantes après le Défi ?
A.T. - Cette compétition influence leurs perceptions, et parfois leur comportement. Ainsi, 94 % d'entre elles terminent cette aventure avec la conviction que la technologie est un bon choix de carrière pour les femmes. Près des trois quarts manifestent de la curiosité pour l'entrepreneuriat. Et 70 % se sont inscrites à des cours d'informatique lorsqu'elles en ont eu l'occasion.
D.B. - Pourquoi est-ce si difficile d'intéresser les filles aux sciences ?
A.T. - On ne fait pas vibrer leur corde sensible. La plupart des filles veulent un emploi qui contribue à aider les gens. Il faut leur démontrer que la technologie peut le faire. Et puis, il faut faire éclater le stéréotype du techy solitaire. Les filles sont grégaires, elles veulent travailler en équipe. Or, pour elles, travailler en technologie, c'est être condamné à la solitude d'un cubicule. Je travaille en technologie et ce n'est pas du tout ma réalité.