La protection de la propriété intellectuelle (PI) n'est pas encore un réflexe bien ancré dans les entreprises québécoises. Une lacune qu'on peut attribuer au manque de connaissances et de sensibilisation du milieu des affaires, mais aussi, au fait que les entrepreneurs accordent peu d'importance aux brevets et aux autres formes de protection. Ils restent pourtant un moyen efficace de faire respecter ses droits face à des concurrents déloyaux. Cinq questions que toute entreprise devrait se poser.
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1. Y a-t-il des éléments de PI à protéger dans mon entreprise ?
Les entreprises qui conçoivent des produits innovants protègent leurs inventions, mais celles oeuvrant dans des domaines moins pointus ne se sont peut-être jamais posé la question. «Toutes les entreprises ont de la propriété intellectuelle : le nom de leurs produits, leur site Web, leur logo, le visuel d'un produit, un mécanisme, etc.», dit Stéphanie Thurber, avocate, agente de marques de commerce et associée chez De Grandpré Chait.
Les risques que court une entreprise qui n'a pas protégé ces éléments, c'est «la contrefaçon, la copie et la concurrence déloyale», poursuit l'avocate. C'est aussi de ne pas pouvoir exploiter son innovation si une autre entreprise en a conçu une semblable, mais qu'elle l'a brevetée, se réservant ainsi les droits de la commercialiser exclusivement, rappelle Louis-Pierre Gravelle, avocat et ingénieur, associé au cabinet Robic.
«Le brevet est un bon outil de contrôle du marché, ajoute Ekaterina Tsimberis, avocate et agente de marques de commerce chez Smart & Biggar. Il garantit l'exclusivité, le monopole de l'entreprise.»
Chaque année depuis 2000, de 400 à un peu plus de 500 actions en PI sont intentées devant la Cour fédérale du Canada, et en 2013, il y a eu une hausse importante de poursuites en contrefaçon de brevet, avec 101 nouvelles actions, selon les chiffres compilés par l'avocate.
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2. Quand devrais-je me préoccuper de protéger une innovation ?
Très tôt ! Pour la simple raison que le processus qui mène à la protection de la PI prévoit une phase de recherche des éventuels brevets sur des produits similaires. Il se pourrait que vous ne sachiez pas que votre produit existe déjà quelque part ou qu'il a déjà fait l'objet d'un brevet dans un pays où vous aviez l'intention de l'exporter par exemple.
Ekaterina Tsimberis recommande donc de se préoccuper de la protection de la PI «dès l'idée de l'innovation pour savoir si ça vaut la peine de continuer». Et même «avant d'en parler à d'éventuels partenaires d'affaires», insiste Stéphanie Thurber. C'est en tout cas incontournable avant la commercialisation, car dès que le produit est sur le marché, il est trop tard pour l'enregistrer.
Pour parer à toute éventualité, Louis-Pierre Gravelle fait remplir à ses clients des formulaires de divulgation d'invention dès que le projet est assez avancé. «Ces formulaires permettent de faire des recherches et comprennent des dates critiques - notamment celle de la divulgation au public - à partir desquelles toute la stratégie est organisée», explique l'expert.
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3. Est-ce que je prévois d'exporter mon innovation, et si oui, où et quand ?
La planification stratégique, qui n'est malheureusement pas encore systématique dans les entreprises québécoises, prend encore ici toute son importance. Dès le lancement d'une innovation, il faut savoir si l'entreprise a l'intention de l'exporter, même à moyen terme, et même si cela ne fait pas partie de ses plans d'expansion, il faut se demander si le produit pourrait un jour être exporté.
D'abord, parce que «la protection de la PI varie selon les pays : dans certains d'entre eux, un produit peut être protégé alors qu'il ne pourra pas l'être dans un autre», souligne Stéphanie Thurber.
Ensuite, la protection de la PI se fait pays par pays. Les coûts afférents étant élevés, il est impératif de choisir les pays qui représentent un marché intéressant pour un produit donné, et de faire les démarches d'enregistrement uniquement dans ces pays.
«Se protéger partout dans le monde coûterait très cher. Personne ne le fait, pas même les plus grandes entreprises, indique Ekaterina Tsimberis. Selon le modèle d'entreprise, il faut déterminer les pays dans lesquels le produit est commercialisable, ceux où les principaux concurrents sont présents, pour éviter qu'ils ne prennent des parts de marché, et aussi ceux où les concurrents fabriquent leurs produits afin de les bloquer à la source.»
Enfin, planifier son développement permet de profiter des mécanismes qui retardent certaines échéances. «On conseille un premier dépôt précoce, explique Louis-Pierre Gravelle, car selon certaines conventions, l'entreprise a ensuite 12 mois pour étendre la protection à d'autres pays. En une seule demande, on peut couvrir 125 ou 130 pays signataires de la Convention, dans lesquels on peut alors "geler" les droits pendant 30 mois». Le temps de décider plus précisément les axes de développement à l'étranger.
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4. Est-ce une dépense de plus ou un investissement ?
Certes, la protection de la PI est coûteuse. Le budget est très variable et la facture est plus salée si l'entreprise fait appel à un cabinet spécialisé, un choix qui peut néanmoins être judicieux tant les procédures sont complexes et diverses en fonction des pays.
Selon les cabinets, l'enregistrement d'une marque de commerce au Canada peut coûter de 2 000 à 3 000 $. Pour l'obtention d'un brevet, il faudra plutôt compter de 10 à 15 000 $ par pays. «Ces prix dépendent de la nature de l'invention, du domaine technologique et de l'état du marché (encombré ou plus libre) dans lequel se trouve l'innovation», précise Louis-Pierre Gravelle.
Mais plutôt qu'une dépense, il faut y voir «un investissement», affirme Stéphanie Thurber. Non seulement le dépôt d'un brevet permet de faire valoir ses droits en cas de copie ou de contrefaçon par exemple, mais il a un aspect dissuasif, souligne l'avocate.
Par ailleurs, les preuves de PI font partie de l'actif de l'entreprise, qu'elle peut donc monnayer. «Elle peut s'en servir pour donner des garanties dans le but d'obtenir du financement. Cela rehausse la valeur de l'entreprise en cas de vente, de fusion ou d'acquisition», énumère Stéphanie Thurber. «Cela lui donne aussi plus de crédibilité, elle sera prise davantage au sérieux», estime Louis-Pierre Gravelle.
L'avocate Ekaterina Tsimberis estime qu'une fois la PI reconnue, «l'enjeu le plus important, c'est de la gérer activement plutôt que de la laisser dans un tiroir. Elle sert à exclure un concurrent, mais elle est aussi un outil polyvalent, qui doit être utilisé pour négocier, rassurer un client, attirer un investisseur, etc.»
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5. Qu'est-ce que je décide de protéger ?
Si beaucoup d'éléments peuvent être protégés, tout ne doit pas l'être. Étant donné les coûts liés à la protection de la PI, le choix est stratégique. «Il faut protéger les innovations clés, les produits phares, pas ceux qui aurait peu d'intérêt, et ensuite, il faut se demander quelle est la protection la mieux adaptée», explique Ekaterina Tsimberis.
Il existe en effet quatre types de protection : le brevet (fonction d'un objet), la marque de commerce (qui permet de distinguer ses produits de ceux de la concurrence), le droit d'auteur (manuels d'instruction, politiques internes, plans, etc.) et le dessin industriel (aspect visuel d'un produit).
Le choix de la protection et des aspects à protéger est fondamental, car «si la couverture est trop restreinte, elle n'offre plus une garantie de monopole, et les concurrents vont essayer de reproduire l'innovation en se plaçant juste à côté du brevet», prévient Ekaterina Tsimberis.
La question du secret de fabrication peut également se poser. Le dépôt d'un brevet exige la divulgation du processus de fabrication, de façon à pouvoir reproduire l'innovation, qui tombe dans le domaine public après 20 ans.
Certaines entreprises veulent conserver à l'interne des informations très stratégiques - la fameuse recette du Coca-Cola par exemple - et refusent donc de déposer un brevet. Mais là encore, il existe des moyens - confidentiels - de protéger ces secrets qui constituent bien sûr un actif important de l'entreprise.
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