Thierry Houillon, ancien président de Danone Canada, est aujourd'hui livreur, vendeur, travailleur d'usine... «Quand tu es entrepreneur, dit-il, tu n'as pas le choix de te remonter les manches ! Il faut être multifonctionnel.» Celui qui a fait connaître la marque de yogourt française aux Québécois, il y a 20 ans, a quitté la direction de la société il y a 4 ans pour se lancer en affaires avec sa femme, l'animatrice bien connue Isabelle Maréchal. Ensemble, ils ont fondé Novidev Santé Active, une entreprise qui développe, produit et commercialise des jus de fruits santé sous la marque Anti+.
Les deux premières saveurs, bleuet et grenade, sont sorties il y a deux ans, après un an et demi de R-D. Une troisième saveur, canneberge, est offerte depuis mai. Au départ, on ne les trouvait que sur les tablettes des magasins d'alimentation naturelle ; aujourd'hui elles se sont taillé une place chez IGA, Metro et Loblaws. Depuis deux mois, la gamme est en démonstration chez Costco. «Les clients de Costco ont un revenu plus élevé que la moyenne, ils dépensent plus pour des produits à valeur ajoutée et ils sont, en général, au courant des nouveautés. C'est donc pour nous une chance formidable de faire goûter notre produit à plus de 1 000 nouveaux consommateurs par jour», dit Isabelle Maréchal.
Mission : santé
Le couple, qui souhaitait profiter de l'expertise de Thierry pour se lancer en affaires et offrir aux consommateurs un aliment «qui fait du bien» avec de véritables bénéfices santé, a d'abord envisagé de racheter une entreprise agroalimentaire. Trop petite, trop grosse, trop peu innovante... Rien ne le satisfaisait. Isabelle Maréchal et Thierry Houillon ont donc investi toutes leurs économies, plus d'un million de dollars, dans la création de leur propre PME. «Les grandes entreprises industrielles dépensent beaucoup d'énergie à essayer d'ajouter de la santé aux aliments ; elles devraient plutôt arrêter d'en enlever, explique Thierry Houillon. Nos jus sont sans additifs, sucre ajouté ou agents de conservation. Ils ne sont pas non plus pasteurisés à chaud, afin de conserver toutes leurs propriétés et ainsi aider à se protéger des maladies cardiovasculaires et de certains cancers.» Il espère qu'Anti+ deviendra un geste santé posé au quotidien. «Nous devons cependant être patients : les habitudes alimentaires sont difficiles à changer. Quand Danone est arrivée au Québec, moins de 50 % de la population avait déjà consommé du yogourt ! La notoriété de la marque était à 5 %. Aujourd'hui, elle est à 80 %, et la consommation de yogourt par habitant est passée de 2,7 kilos par année à 10 kilos. Mais ça a pris 20 ans !»
«L'allégation santé [des jus Anti+] est basée sur de nombreuses études réalisées sur les superfruits et sur le fait que notre procédé breveté, Vegetal Intelligence, permet de garder intact les propriétés du fruit, comme sa teneur en polyphénols», ajoute Mme Maréchal.
Le marché passé au peigne fin
Avant de se lancer dans l'aventure, les entrepreneurs ont fait leurs devoirs. «Neuf nouveaux produits alimentaires sur dix seront des échecs, explique Isabelle Maréchal. Si le produit n'est pas unique, très différencié et ne correspond pas à une réelle attente, il meurt très vite !» Ils ont donc analysé leur concurrence : 40 000 produits à base de fruits et légumes dans le monde (une recherche de l'organisation internationale XTC). «Nous nous sommes aperçus que notre offre mono-ingrédient est pratiquement unique», dit Thierry Houillon. Ils ont également acheté une étude sur les tendances de consommation des Canadiens (BrandSpark 2010-2011) pour établir le profil de leur marché cible. Selon cette étude, 25 % de la population est consciente des bienfaits de l'alimentation sur la santé. Mais si on ajoute à l'équation le désir d'essayer de nouvelles choses, on baisse à 8 %, ce qui représente le coeur de la cible des jus Anti+. «Notre produit en est un de niche, mais il rejoint chaque jour de plus en plus de fidèles, dit Isabelle Maréchal. Notre rêve est de réussir à en faire un produit de masse.» Le marché des jus «premium» - des jus haut de gamme à haute valeur ajoutée - connaîtrait d'ailleurs selon elle une croissance de plus de 15 % par année.
Financer l'innovation, tout un défi
«Très peu de gens se lancent au Québec dans de tels projets de start-ups. Alors qu'on se dit pourtant une société créative, partir de rien en effraie encore plusieurs», soutient-elle. Pour se lancer dans une telle aventure, il faut, croit-elle, avoir les reins solides. «L'innovation fait peur. Nous avons financé entièrement la R-D pendant deux ans. Nous y avons mis toute notre retraite. Le concept plaisait, mais nous nous faisions dire : " Revenez nous voir quand vous serez en marché ", se rappelle Thierry Houillon. C'est finalement six mois avant le lancement du premier jus que des investisseurs - le regroupement Anges Québec, Anges Québec Capital et Desjardins Innovatech - y ont finalement injecté de l'argent (à ce jour 2,2 M $). «Le financement a été le défi le plus important que nous avons affronté, dit Mme Maréchal. Encore à ce jour, la moitié du job de Thierry consiste à rassurer les investisseurs !»
Pour Novidev, le Québec reste un marché test. «Si nous en avions les moyens, nous serions déjà aux États-Unis et en Europe, admet Thierry Houillon. Nous avons démarré dans notre jardin, mais sa terre est malheureusement moins propice que d'autres à un tel projet. En Californie, par exemple, les espaces réservés aux produits naturels dans les grandes enseignes sont de 5 à 10 fois plus importants qu'ici.»
Jusqu'où l'entreprise sera-t-elle prête à aller pour nourrir sa gamme et percer de nouveaux marchés ? Se permettra-t-elle l'ajout de virgules dans la liste d'ingrédients de ses produits ? «Ce sont des questions que nous nous sommes déjà posées et que nous nous poserons sûrement encore, dit Isabelle Maréchal. Le défi sera en effet de toujours rester fidèle à notre vision de départ.»
Le produit
Les jus Anti+, de l'entreprise Novidev Santé Active, sont pressés dans leur entièreté, avec la peau, la pulpe et les pépins, et pasteurisés à froid. «Nous voulions préserver les composés bioactifs des fruits, tout en proposant aux consommateurs le meilleur goût possible, explique Thierry Houillon. J'ai rapporté à notre laboratoire une poignée de bleuets fraîchement cueillis au Lac-Saint-Jean et j'ai dit à notre chercheur de les déguster les yeux fermés. C'est ça que ça devait goûter, pas autre chose ! La mémoire gustative amène la fidélité.» Une vingtaine de «supervégétaux» potentiels, dont certains légumes, ont été ciblés par l'entreprise. Un nouveau format, plus grand, serait également au menu.