La situation s'était à ce point envenimée, les relations étaient à ce point tendues que la transaction a bien failli ne jamais avoir lieu. Pourtant, contre toute attente, le transfert de propriété du Groupe Contant entre la deuxième génération et la troisième a été couronné de succès.
Chantal Contant, présidente du groupe spécialisé dans la vente de produits récréatifs BRP, a décidé de lever le voile sur cette saga familiale à la suite de sa participation à l'événement-conférence sur le transfert d'entreprise organisée par Les Affaires, le 24 mars.
«On devrait en faire une série télé ! lance Chantal Contant en riant. Disons que moi, Dallas, ça ne m'impressionne pas.»
Avant même qu'il ne soit question de transfert de propriété, deux des trois frères qui étaient à la tête de l'entreprise ne s'adressaient plus la parole. «Ils travaillaient dans le même bureau, mais ils communiquaient par personnes interposées», explique-t-elle.
Puis, le transfert s'est imposé de lui-même. Le processus était amorcé, mais stagnait, jusqu'à ce que le fournisseur BRP exige un plan de relève à la fin de 2006. «BRP a dit : "Vous avez 18 mois pour nous présenter un plan de relève et d'expansion ; sinon, vous perdez la concession"», rappelle la présidente. Un concurrent obtient même une concession. La pression est à son comble, la transition s'accélère.
Opération délicate
Les trois frères désignent alors leurs successeurs parmi leurs clans respectifs. Ainsi, chacune des trois branches de la famille choisit ses propres releveurs.
Puis, ils divisent les trois groupes en trois sociétés de gestion distinctes, où les trois frères distribuent leurs parts. Dans l'une d'entre elles se trouvent Chantal Contant et son frère. En fin de compte, ils seront huit jeunes de la troisième génération des Contant à prendre la relève.
Mais la situation, acrimonieuse au départ, a bien failli faire déraper le processus. «À un certain moment, il y avait si peu de lumière au bout du tunnel que les cédants ont essayé de se faire acheter par un concurrent», dit Mme Contant. Cependant, les activités du groupe, qui vont de la vente de produits récréatifs aux opérations de déneigement, sont très diversifiées. Assez pour rendre la vente trop complexe sans démanteler toute l'entreprise.
«On est parti d'une feuille blanche en 1997. Le transfert a pris presque 11 ans. Mais ce n'est pas nécessairement facile. Mélanger famille et affaires, ça peut vite tourner au chaos ! Mais nous, les huit, on s'est dit "il faut se tenir ensemble". La mésentente de nos parents a bloqué toute croissance.»
Avec la pérennité de l'entreprise comme objectif ultime, les repreneurs décident même de fusionner leurs trois sociétés de gestion. L'opération leur permet de décider par consensus, alors que les entités précédentes favorisaient l'obstruction.
«Nous sommes complémentaires, et on veut brasser la cage, souligne-t-elle. Quand on a ouvert un magasin à Mirabel, les trois frères nous on dit : "Ça ne marchera jamais". Non ? Eh bien, six mois plus tard, on était rentable, et ça nous a permis de doubler le chiffre d'affaires.»
Avec le recul
Si le Groupe Contant est en santé, les chicanes familiales qui ont plombé la croissance ne sont pas encore totalement disparues.
«Je me souviens d'un party qui a mal fini, durant lequel les couteaux volaient bas, raconte la présidente. Il faut laisser le travail en dehors, ne pas l'amener dans les réunions de famille. Et nos conjoints nous surveillent !»
Instaurer une «muraille de Chine» donc, mais régler les problèmes avant que la situation ne s'envenime. «Nous n'avons pas encore de conseil de famille, comme celui que les Chalifoux [de la laiterie éponyme] ont mis sur pied, mais c'est un objectif d'en créer un, à plus ou moins long terme», souligne la présidente.
Autre impératif, s'entourer d'experts externes : avocats, notaires et coachs, afin de faciliter la transition. Un conseil qui s'applique également à l'interne. «Nous avons une équipe loyale, soutient Chantal Contant. Des directeurs [extérieurs à la famille] qui sont capables de nous parler dans le blanc des yeux, s'il le faut.»
Malgré tout, le jeu en a-t-il valu la chandelle ? «Pendant le processus de transfert, j'aurais dit "non". Mais aujourd'hui, avec le recul, oui, tout ça a valu la peine.
«Et aujourd'hui, il y a des outils qui existent pour faciliter le transfert que nous n'avions pas à l'époque», conclut Chantal Contant.