SÉRIE 4 / 6. Dans la vie d'un entrepreneur, il y a toujours un moment déchirant, parfois même angoissant, celui où il faut tourner la page. Cela se produit parfois au moment où il faut se résoudre à prendre sa retraite, et donc trouver quelqu'un pour prendre la relève. Cela peut aussi survenir à la suite d'une mauvaise passe financière, et il faut alors dénicher un repreneur capable de remettre l'entreprise sur les rails.
PLUS : L'art de prendre un virage (début de la série)
Les questions fusent dès lors en tête : Quelle est la valeur réelle de l'entreprise? Qui devrait être approché? Quelles seront les informations à lui fournir? Le processus sera-t-il confidentiel? Comment réagiront les employés et les partenaires? Autant d'interrogations qui peuvent donner le tournis, des mois durant, et faire vaciller y compris les plus solides.
La solution? Plusieurs sont envisageables, bien entendu, la plus évidente étant de faire appel à un expert. À quelqu'un qui est en mesure de donner de bons conseils pour prendre le virage le plus périlleux de sa vie. À quelqu'un qui est à la fois assez sensible et efficace pour pouvoir aider à tourner la page.
De tels experts existent. Certains d'entre eux se sont justement retrouvés en décembre dernier, lors du Forum financier PME, qui a été organisé par le Club M&A à l'hôtel Omni Mont-Royal. Ce Forum visait à favoriser, une journée durant, les rencontres entre experts – des banquiers, des avocats, des comptables, des gestionnaires de fonds privés et publics, etc. –, mais aussi entre experts et entrepreneurs en quête de la meilleure solution pour assurer l'avenir de leur entreprise.
Ce jour-là, ils étaient plus de 300 à participer au Forum. Il était possible d'assister à des ateliers, comme celui de Nadine Murtada, une psychologue d'affaires qui traitait des enjeux humains et émotionnels liés au transfert d'entreprise. Une conférence a également été tenue, par Tony Loffreda, l'un des responsables des relations de la Banque Royale avec les entreprises. Surtout, c'était l'occasion de réseauter autour de muffins, de jus de fruits et de tasses de café, dans l'ambiance feutrée des couloirs et des salles de l'hôtel montréalais.
«Le Forum, tout comme les rencontres mensuelles des quelque 200 membres du Club M&A, vise à partager de l'information et à nouer des liens entre les participants, le tout dans une atmosphère détendue. On y crée des contacts basés sur la confiance, ce qui est primordial quand il s'agit de fusion & acquisition», dit Brahm Elkin, président du Groupe conseil Elkin, le cabinet spécialisé dans le conseil en vente et achat d'entreprise qui est à l'origine du Club M&A.
Confiance. Tel est le mot-clé en matière de fusion & acquisition. En effet, dès lors que le propriétaire prend la décision de vendre son entreprise avec l'aide d'un expert, il se lance dans une aventure qui va durer plusieurs mois et qui se présente souvent en huit étapes :
1. Analyse approfondie. «La première étape consiste à effectuer une analyse approfondie de l'entreprise elle-même, mais aussi des raisons de la vente, des perspectives d'avenir et de l'évolution de l'industrie dans laquelle elle évolue», explique Éric Cardinal, associé, de la banque d'affaires IBS Capital.
2. Évaluation réaliste. Les résultats financiers sont examinés de près, puis comparés à ceux d'entreprises comparables ayant fait l'objet de récentes transactions.
3. Mémoire confidentiel. Un mémoire confidentiel est rédigé par l'expert, dans lequel l'entreprise est présentée en détails et dans lequel il est indiqué les avantages que pourrait en tirer le futur repreneur. «L'idée est de mettre au jour les éventuels "bobos" de l'entreprise, par exemple le fait qu'elle soit dans un marché qui périclite, ce qui peut représenter une bonne occasion pour un repreneur en mesure d'amener l'entreprise ailleurs. Ces "bobos" ne nuisent pas forcément à la valeur de l'entreprise, et peuvent même représenter des arguments de vente séduisants», poursuit M. Cardinal.
4. Stratégie. Avec la direction de l'entreprise, l'expert identifie des repreneurs potentiels et élabore une stratégie d'approche.
5. Sollicitations discrètes. Les repreneurs potentiels sont discrètement contactés par l'expert. «Il va sans dire que, dans notre profession, nous sommes soumis à un code d'éthique très strict. Nous sommes tenus au secret absolu sur les informations que nous détenons sur les uns et les autres», souligne M. Elkin.
6. Discussions préliminaires. Des discussions sont amorcées avec les repreneurs potentiels qui ont marqué d'emblée un vrai intérêt pour l'entreprise en vente.
7. Négociations. Les modalités de la vente sont négociées avec toutes les parties prenantes.
8. Conclusion. Le cas échéant, une entente finale est conclue en bonne et due forme.
On le voit bien, un lien particulier se noue entre le chef d'entreprise et l'expert, tout au long du processus de vente. Un lien très fort : il faut comprendre que le propriétaire est en train de se séparer de son "enfant chéri", ce qui est très émotionnel. «D'où la nécessité, pour nous, d'être compétents, transparents et humains», dit Rios-Karim Mercier, directeur principal, de la banque d'affaires Cafa.
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Toujours dans le cadre de la série «L'art de prendre un virage», que peut-on retenir, cette fois-ci, de cette rencontre avec des experts en opérations de fusion & acquisition? Une chose primordiale : dans tout virage, il y a une zone critique, qui détermine le succès ou le dérapage. Une zone que les motards appellent la "zone de sollicitation".
La zone de sollicitation? C'est le moment le plus technique de la prise de virage, celui où les bons pilotes se révèlent et où les mauvais se plantent. On a déjà franchi la "zone d'entrée" et la "zone de découverte", et on se trouve dès lors au cœur du virage. Il faut y faire preuve d'une maîtrise totale de sa moto. Une maîtrise qui, bien entendu, n'est pas innée, si bien qu'on a nécessairement besoin de l'aide d'un tiers, autrement dit d'un expert.
Cela étant, c'est vous seul qui êtes à cheval sur la moto. C'est donc à vous de mener à bien le virage entrepris, tout en ayant une oreille attentive aux conseils techniques adressés par l'expert. Rappelez-vous que vous venez de sortir de la zone de découverte, où vous aviez porté votre regard sur le point le plus lointain du virage. Maintenant que vous entrez dans la zone de sollicitation, il vous faut immédiatement reporter votre regard sur un autre point, le point de corde du virage.
Qu'est-ce que ce point-là? C'est très simple, il s'agit de l'endroit où l'on passe au plus près de l'intérieur du virage. Fixez donc ce nouveau point, et ne le quittez plus des yeux une seconde, sans quoi vous risquez de partir dans le décor.
Puis, amenez votre moto droit sur ce point, en ouvrant les gaz, mais pas trop. Car le fait d'avoir votre regard sur le point de corde va vous contraindre inconsciemment à intensifier votre contre-braquage pour compenser la prise de vitesse. Cette combinaison de manœuvres va faire plonger votre moto à la corde, en suivant le même rayon que le virage que vous négociez.
Dans le cas d'une opération de fusion & acquisition, ces conseils techniques reviennent à dire que le propriétaire de l'entreprise doit absolument rester concentré sur son objectif, qui est la vente. Son regard ne doit pas en dévier une seconde, car le succès de l'opération en dépend totalement.
Toutefois, le propriétaire doit se lancer dans une combinaison de manœuvres techniques qui dépassent largement ses compétences : personne ne peut, de manière innée, effectuer des contre-braquages en remettant les gaz. D'où l'obligation de bénéficier d'une aide avisée, tout au long du processus de vente, étape après étape. Et, sans vous en rendre vraiment compte, vous parviendrez à touner la page en douceur.
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