Les gens d'affaires ont parfois la réputation d'être narcissiques, au sens d'avoir peu d'empathie à l'égard des autres sphères de la société et de penser que les règles s'appliquent à tout le monde sauf à eux-mêmes. Cette perception du monde des affaires, que l'on retrouve notamment dans la chanson et le cinéma, a plusieurs conséquences, dont celle qu'un bon nombre de Québécois se méfient de l'implication du milieu des affaires dans le domaine politique. Les découvertes que nous avons pu faire pendant la commission Charbonneau, ou encore, l'utilisation outrancière des paradis fiscaux au cours de la dernière décennie ne viendront pas changer cette perception (en 2009, les placements directs effectués par des Canadiens à la Barbade, aux Bermudes et aux îles Caïmans représentaient 78,4 milliards de dollars, tendance qui s'accentue depuis les dernières années).
C'est possible de combiner réussite en affaires et utilité sur le plan social
Dans mon dernier essai intitulé Les Orphelins politiques, j'affirme pourtant qu'il est faux de penser que tous les gens d'affaires n'ont aucun autre intérêt que l'accumulation sans fin de leurs propres avoirs aux dépens d'autrui. Il existe bel et bien une catégorie d'entrepreneurs et de gestionnaires qui combinent leur succès d'affaires avec la volonté d'être utiles sur le plan social, qui ont d'autres objectifs de vie qu'une retraite dans les îles Caïmans et qui comprennent que leur prospérité dépend inévitablement de celle des autres. Ces personnes, je les surnomme les bâtisseurs. Ils ne sont en affaires ni par obligation ni pour accumuler davantage d'avoirs, mais bien parce qu'ils sont fiers de voir leurs idées se réaliser, à leur bénéfice et à celui des autres. Ils sont également progressistes de nature, c'est-à-dire que tant leur implication en affaires que leur bénévolat visent à améliorer un aspect ou l'autre de notre société, à la faire progresser.
Il est peut-être temps de rassembler des bâtisseurs au Québec pour les convaincre de s'intéresser de nouveau à la chose politique.
Premièrement, l'idée de voir davantage de gens d'affaires qui oeuvrent au progrès de leur société, sans chercher un bénéfice personnel ni être en position de conflit d'intérêts, nous changerait de la commission Charbonneau.
Deuxièmement, un tel regroupement permettrait d'éclairer la population sur ses intérêts économiques. En effet, l'infiltration de plusieurs groupes d'intérêt dans notre gouvernance publique (ce que l'économiste américain James K. Galbraith appelle «l'État prédateur»), tant au niveau de la sphère politique que médiatique, fait en sorte qu'une bonne partie du discours économique ressemble trop souvent à un concours de lobbyisme ou à de fausses promesses électorales. J'entends régulièrement des gens d'affaires progressistes dénoncer le fait que nos gouvernements proposent des politiques très maladroites sur le plan économique, souvent en improvisant pour tenter de marquer des points dans les intentions de vote et parfois pour déguiser en principe économique le service d'intérêts privés proches de leur parti politique. Si la mission première des gens d'affaires bâtisseurs n'est pas de se pencher sur chacune de nos politiques publiques, il me semble évident que le Québec aurait besoin d'eux pour décortiquer le langage économique dans notre place publique, de manière à protéger l'intérêt public et informer adéquatement la population en ce sens.
Il est possible d'être en affaires tout en incarnant le service public. À ce stade-ci de l'histoire politique du Québec, il est peut-être temps que ceux qui sont capables de ces deux missions se rassemblent et deviennent plus visibles.
À surveiller...
Chaque chronique, je vous fais découvrir une entreprise à surveiller issue de la génération Y et qui réinvente son secteur d'activité. Cette semaine j'ai choisi Succès Scolaire.
Pourquoi : L'entreprise offre des services de tutorat pour les jeunes du primaire et du secondaire partout au Québec. Depuis 2006, plus de 10 000 élèves ont eu recours aux services de Succès Scolaire, qui compte un réseau de plus de 500 tuteurs certifiés. Les services sont offerts à domicile, dans les écoles, en ligne et dans leur centre d'apprentissage.
Principal défi : Maintenir une croissance tout en demeurant très stricte dans le recrutement de ses tuteurs.
Paul St-Pierre Plamondon est vice-président de Delegatus services juridiques, une firme de 25 avocats issus des grands cabinets, dont la mission est de servir le Québec inc. Il est chroniqueur politique, entre autres à l'émission Bazzo.tv à Télé-Québec. En 2007, il a cofondé l'organisme Génération d'idées, qui se donne pour mission d'intéresser les 20 à 35 ans au débat public.