Un bras de fer se profile entre Québec et Washington dans le cadre de la restructuration de la Montreal, Maine & Atlantic. Les États-Unis n’entendent pas céder leur rang de créanciers prioritaires pour permettre à la province de payer la décontamination à Lac-Mégantic, ou libérer des fonds pour les victimes de la tragédie, qui a fait 47 morts et causé le déversement de 5,6 millions de litres de pétrole.
Les deux gouvernements veulent faire valoir leur priorité sur leurs créances, qui dépassent largement les moyens du chemin de fer en perdition. Et la poignée légale de Québec apparaît bien fragile, et les Américains pourraient bien pouvoir se servir en premier, selon les experts consultés.
La Federal Railroad Administration (FRA) détient la seule dette garantie inscrite dans la requête de MMA en vertu des la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), pour un montant de 27,5 M$. «En tant que créancier, la FRA va travailler avec le Département de la Justice pour s’assurer que les intérêts financiers des contribuables sont protégés», a déclaré l’agence américaine dans un courriel à LesAffaires.com.
La FRA réclame cette somme à MMA Canada en remboursement d’un prêt qu’elle a octroyé à sa compagnie mère, MMA Railway, d’Illinois. L’agence a inscrit en bonne et due forme une sûreté au Registre des droits personnels réels et mobiliers du Québec, sur «l’universalité des biens mobiliers et immobiliers» de l’entreprise. Elle porte non seulement sur les terrains de la MMA, mais aussi sur ses biens : locomotives, mobilier de bureau, camions, équipements de réparation…
Selon sa requête canadienne en vertu de la LACC, MMA Canada a moins de 18 M$ en actifs.
Une priorité… sur «pas grand chose»
Une priorité… sur «pas grand chose»
De son côté, Québec assure avoir la priorité sur les actifs immobiliers de la MMA, en tant qu’ultime responsable de la décontamination du site de Lac-Mégantic. «Le gouvernement considère avoir une créance garantie en vertu de la LACC, écrit Joanne Marceau, avocate et porte-parole du ministère de la Justice, dans un courriel. Pour nous, celle du gouvernement américain ne change pas grand chose.»
Selon les experts consultés, la priorité de Québec sur les actifs de MMA porte pourtant sur bien peu de choses… La LACC mentionne en effet qu’une réclamation du gouvernement pour un «dommage lié à l’environnement» «a priorité sur tout autre droit, charge ou réclamation». Mais cette priorité ne vaut que sur les terrains de l’entreprise que le gouvernement aura nettoyés.
A priori, elle ne porte pas sur les autres biens immobiliers de la MMA, ni sur les indemnités de 25 M$ que pourrait recevoir l’entreprise en vertu de sa maigre police d’assurance.
«Québec n’a pas grand chose», résume Jacques Deslauriers, spécialiste de l’insolvabilité à la Faculté de droit de l’Université Laval. «L’agence fédérale des chemins de fer américaine a priorité sur les biens de la compagnie, dit-il. Le gros des dommages causés par l’accident sera traité comme une créance ordinaire de Québec.»
Si tel est le cas, elle ira s’ajouter aux quelque 50 M$ que réclament les multiples créanciers non garantis de MMA Canada.
Au cabinet Fasken Martineau, l’avocat en insolvabilité Serge Guérette croit lui aussi que la marge de manœuvre est mince pour Québec. «La priorité du gouvernement ne vaut que sur le bien de MMA qui fait l’objet de la décontamination», dit-il.
Ces questions feront l’objet de discussions dans le cadre des processus de restructuration au Canada et aux États-Unis, répond le ministère de la Justice. «On va faire état de nos arguments en temps et lieu», dit Joanne Marceau.
Québec tentera peut-être de faire valoir sa garantie sur l’ensemble du chemin de fer de l’entreprise, de Saint-Jean-sur-Richelieu au Nouveau-Brunswick, même si seule une toute petite partie a été contaminée. «Ça peut être plaidé, mais ça m’apparaît un peu tiré par les cheveux», dit Serge Guérette.
L’avocat mentionne cependant que la FRA a enregistré sa sûreté sur les biens de MMA Canada comme caution d’un prêt à sa société mère, MMA Railway, ce qui pourrait ouvrir la porte à une contestation de l’hypothèque américaine. «Comme c’est un avantage donné à un actionnaire, ça peut soulever des doutes sur la validité de la créance, dans le cadre d’une restructuration.»