Au dernier Salon international de l'auto de Montréal seulement quatre exposants proposaient une voiture 100 % électrique. Les nouveaux constructeurs mis sur pied afin de profiter de la révolution électrique brillaient par leur absence. Peu intéressés par les us et coutumes de leur industrie, ils éliminent les intermédiaires tout en multipliant les innovations.
«Il y a un avantage dans le fait de partir de rien, car on n'a pas le bagage des constructeurs traditionnels qui ont des usines à rentabiliser», explique Chetan Maini, pdg de Mahindra Reva, un constructeur de voitures électriques de Bangalore, en Inde. Inaugurée en 2012, l'usine de Mahindra Reva n'a coûté que 10 millions de dollars américains, une fraction du coût d'une usine dans le secteur de l'automobile.
La Mahindra e20, une voiture entièrement électrique lancée en Inde en mars 2013, coûte à peine 11 450 $ CA. Elle devrait être vendue plus cher en Europe, où elle sera vraisemblablement mise en marché au cours des prochains mois. Malgré son prix, la voiture offre un bouquet élaboré de fonctions. On peut notamment vérifier la température de l'habitacle et déverrouiller les portes à partir de l'application mobile du constructeur. La voiture comprend aussi un service d'assistance technique, qui permet de diagnostiquer les problèmes de la voiture à distance. Selon Chetan Maini, de 60 à 70 % des problèmes techniques sont diagnostiqués par le constructeur avant même que les consommateurs ne les signalent.
Les marchés émergents mènent la danse
Après avoir fait ses études d'ingénierie à l'université du Michigan, à Detroit, Chetan Maini a commencé sa carrière dans une nouvelle entreprise américaine qui souhaitait fabriquer des voitures électriques. Il s'est alors aperçu que le marché était ailleurs. «C'est en retournant en Inde durant l'été que je me suis rendu compte que les voitures électriques connaîtraient plus de succès en Inde et en Chine», explique-t-il.
Les deux pays les plus populeux de la planète font face à de graves problèmes de pollution, le trafic y ralentit la circulation et l'infrastructure de distribution d'essence est loin d'y être aussi développée qu'en Occident. Selon le jeune homme, ces pays ont ainsi tout avantage à investir dans des bornes de rechargement plutôt que dans des raffineries et des stations-service. C'est ce qui semble se passer dans l'empire du Milieu, où la Banque de développement de Chine a mis sur pied en 2012 un programme de 4,6 milliards de dollars américains afin de financer l'achat de taxis et d'autobus électriques.
L'un des principaux concurrents de Mahindra Reva est d'ailleurs situé à Shenzhen, en Chine. Il s'agit de BYD, qui a été fondée par un chimiste visionnaire du nom de Wang Chuanfu en 1995. En quelques années, BYD est devenue l'un des plus importants manufacturiers de batteries de téléphones mobiles dans le monde. Au début des années 2000, il pensait avoir en main une batterie moins polluante qui permettrait aux constructeurs d'automobiles de fabriquer des voitures électriques commercialement viables.
Wang Chuanfu s'est alors envolé pour Detroit, où il a présenté sa technologie aux géants américains de l'automobile qui, un à la suite de l'autre, ont préféré passer leur tour. En 2002, l'homme d'affaires chinois a transformé cette fin de non-recevoir en occasion d'affaires. Il a alors racheté un constructeur d'automobiles chinois en faillite, puis l'a transformé en champion des véhicules électriques. Aujourd'hui, Warren Buffett est l'un des plus importants actionnaires de l'entreprise, dont la valeur boursière s'élève à plus de 15 G $ CA.
BYD ne s'est pas pour autant éloignée de ses racines d'entreprise technologique. Contrairement aux géants de l'industrie, qui sont dépendants des fournisseurs de pièces, BYD fabrique presque tout ce qui entre dans la composition de ses voitures, des coussins gonflables à la chaîne stéréo. Cette stratégie lui permet d'abaisser ses coûts de production, mais aussi de fabriquer des voitures où tous les composants sont connectés.
Son plus récent modèle, la Qin, innove sur plusieurs fronts. La caractéristique la plus spectaculaire de la Qin, lancée en novembre 2013 au Costa Rica, est cependant de pouvoir être conduite à distance par l'intermédiaire d'un téléphone mobile. Contrairement à la voiture de James Bond dotée de la même fonction, la Qin ne pourra pas rouler à plus de 3 km/h en mode télécommandé, pour des raisons de sécurité.
Les voitures de la Silicon Valley
Comme Mahindra Reva et BYD, Tesla Motors a été créée par un visionnaire dans une région plus connue pour ses innovations technologiques que pour son industrie automobile : la Silicon Valley. Après avoir fait fortune avec PayPal, Elon Musk, son pdg, a su imposer le même rythme d'innovations à Tesla Motors. Avec ses bolides performants et à la fine pointe de la technologie, Tesla a su gagner le coeur des Américains aisés tout en rejetant les façons de faire traditionnelles de l'industrie.
Le constructeur vend ainsi ses voitures directement aux consommateurs, éliminant les intermédiaires que constituent les concessionnaires d'automobiles. «L'avantage, pour Tesla, c'est qu'elle n'a pas à maintenir de stocks», explique l'analyste James J. Albertine, qui couvre l'industrie automobile chez Stifel Equity Research.
Tesla peut se passer d'un réseau étendu de détaillants physiques en offrant un service d'assistance technique capable de diagnostiquer ses voitures à distance et même de réparer certains problèmes par des mises à jour.
À quelques minutes du siège social de Tesla situé à Palo Alto, Google a mis au point une technologie de navigation sans conducteur qui pourrait révolutionner l'industrie. Déjà, ses voitures expérimentales ont parcouru plus de 800 000 kilomètres sur les routes, et leur commercialisation ne semble être qu'une question de temps. Nissan, le constructeur traditionnel le plus ambitieux en matière de voitures électriques, a annoncé qu'il sortirait ses propres véhicules sans conducteur d'ici 2020.
Lorsque les lois permettront aux voitures sans conducteur de rouler en toute légalité sur nos routes, les constructeurs de voitures électriques devraient avoir une longueur d'avance sur les autres. «Pour faire d'un véhicule à essence un véhicule sans conducteur, il faut ajouter de nombreuses pièces, tandis qu'avec une voiture électrique, ces pièces sont déjà là», explique Kevin Couture, qui a coordonné la fabrication d'une voiture électrique dans le cadre du projet VUE de l'Université de Sherbrooke.
En attendant, tout porte à croire que le destin de la voiture électrique dépend de l'essor de la classe moyenne des marchés émergents... et des nouveaux riches de la Silicon Valley.