Dans une industrie dominée par les géants Agropur et Parmalat, il faut jouer la carte de la différence pour croître. Au Lac-Saint-Jean, la coopérative Nutrinor mise sur le lait biologique et sur la nouvelle certification AgroBoreal pour gagner des parts de marché hors de sa région.«On a été les premiers en Amérique du Nord à commercialiser du lait additionné de probiotiques il y a quelques années. Nos ventes ont augmenté vite, mais sont redescendues parce que les grands nous ont copiés. On a eu notre leçon. Il fallait lancer un produit différent et pratiquement inimitable, appuyé sur les caractéristiques du lait produit par nos membres», explique Paul Pomerleau, directeur agroalimentaire chez Nutrinor.
Le lait de Nutrinor est le premier produit à recevoir la certification AgroBoreal, une idée mise de l'avant par le créneau ACCORD, soucieux de rallier le secteur agroalimentaire de la région dans une vision commune.
«La région se donne une image de marque. Les entreprises ont d'abord été consultées. Il fallait que le concept d'agriculture nordique et responsable soit rattaché à des critères vérifiables. Ça nous a pris presque cinq ans pour y arriver, et maintenant, les PME comme les grandes entreprises peuvent y participer», explique Isabelle Rivard, directrice du créneau AgroBoréal.
Les critères de la certification AgroBoreal abordent notamment la provenance, la typicité et la traçabilité des produits, en plus de la biosécurité et de l'innocuité. Le Groupe Écocert a été mandaté à titre d'évaluateur indépendant pour les demandes de certification, qui pourront provenir tant des entreprises de la production que de celles de la transformation, dans des secteurs aussi diversifiés que la pomme de terre, les bleuets ou les fromages.
Une prime pour les producteurs
Harold Fortin, de la ferme Ro-Ger Fortin à Saint-Henri-de-Taillon, est un des 15 producteurs de lait biologique certifié AgroBoreal au Lac-Saint-Jean. Il n'a pas hésité à adopter ce nouveau cahier de charges, qui favorise dans l'alimentation des vaches un plus d'herbages que la moyenne.
«Ça démarque notre lait des autres. Il a sa saveur, un peu plus sucrée à cause des herbages et de notre microclimat. Il a un goût authentique», dit l'agriculteur, content de voir Nutrinor encourager ainsi la production de lait biologique, pour laquelle il reçoit une prime de 16 $ l'hectolitre.
«Pour l'avenir de l'entreprise et pour la bonne santé des gens et de la terre, j'ai voulu cultiver plus naturellement et arrêter de mettre des produits de synthèse dans le sol. Ça me demande un peu plus de temps qu'avant et ça prend plus de vaches pour fournir le même quota, mais j'économise en hormones et en antibiotiques et il y a plus d'avantages que d'inconvénients», considère celui qui a adhéré à la culture bio en 2011.
Le lait bio AgroBoreal, produit à valeur ajoutée, doit permettre à Nutrinor de faire face à des enjeux d'importance pour assurer son avenir. La consommation de lait liquide est en baisse, à cause de la concurrence des laits de soya et d'amande, des smoothies additionnés de yogourt et de toute la variété de produits laitiers qui sont arrivés sur le marché ces dernières années. De surcroît, au Québec, Agropur (Natrel, Québon, etc.) et Parmalat (Lactancia, Béatrice) détiennent pratiquement 92 % du marché, ce qui laisse peu de place aux petites laiteries.
«Chez nous, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est différent, parce que l'achat local est très fort. Nutrinor a 70 % du marché régional, et la Laiterie de La Baie, de 20 à 25 %. Mais gagner des parts de marché chez nous est illusoire dans ce contexte, et nos ventes sont en baisse parce que la population vieillit et diminue», explique M. Pomerleau.
Exporter au-delà de la région
Pour survivre au déclin démographique, l'entreprise a commencé à vendre ses produits à l'extérieur de sa région il y a 10 ans. Ces ventes représentent maintenant 25 % du chiffre d'affaires, ce qui permet de compenser la baisse dans le marché local.
Nutrinor compte augmenter les ventes extra-régionales en prenant la place de Liberté, qui s'est retirée du créneau du lait biologique à la fin d'octobre.
«Si on récupère le volume de lait de Liberté, on sera contents. Et on pense faire un peu mieux même, avec le petit "plus" qu'on ajoute avec l'agriculture nordique. À terme, on aimerait revendre tout le lait biologique qui est produit sur notre territoire.»
Comme toutes les entreprises, Nutrinor doit créer de la richesse en augmentant soit sa productivité, soit sa croissance. Mais les défis de la coopérative, qui est aussi active dans les viandes, l'agriculture, la quincaillerie et le secteur pétrolier, sont accentués par le contexte socioéconomique de la région.
«Il faut créer de la richesse pour nos membres, mais on subit aussi des pressions économiques et sociales. On maintient des stations-service et des quincailleries dans de petits villages même si la rentabilité n'y est plus, car ce sont des services essentiels à leur survie. Mais à la fin de l'année, il faut quand même avoir fait des profits...»
En 2013, la coopérative a enregistré un surplus net de 3,8 M $, comparativement à 3,4 M $ l'année précédente.