Médecine ou génie ? Plus jeune, Carl-Éric Aubin a été tenté par ces deux options de carrière. Il a finalement décidé de les combiner en se servant du génie pour apporter des solutions technologiques à des problèmes de santé.
Un choix judicieux, car les travaux en biomécanique de la colonne vertébrale réalisés par cet ingénieur en mécanique font faire des pas de géant aux traitements orthopédiques.
En outre, il a mis au point un logiciel de simulation de chirurgies de la scoliose. Ce logiciel permettra aux chirurgiens de s'entraîner avant les interventions et d'optimiser leur stratégie opératoire. «C'est un peu comme un GPS qui propose le meilleur trajet possible et qui peut même se réajuster en cours de route», illustre celui qui est à la fois professeur à l'École Polytechnique Montréal, chercheur au CHU Sainte-Justine et titulaire de deux chaires de recherche.
En fonction dès l'année prochaine
L'invention de l'ingénieur de 45 ans et de son équipe est utilisée actuellement à des fins de recherche pour améliorer les techniques opératoires. La prochaine étape consiste à la déployer dans une «salle d'opération du futur», selon le nom du projet pour lequel Carl-Éric Aubin a obtenu une subvention de 7,4 millions de dollars de la Fondation canadienne pour l'innovation et du gouvernement du Québec.
Une première salle d'opération devrait être en fonction à Sainte-Justine en 2015. À l'aide de caméras, le système informatique déterminera la position des outils du chirurgien et les forces exercées sur les os du patient, puis mettra le plan opératoire à jour en proposant des ajustements, le cas échant.
«Pendant la chirurgie, les implants peuvent dévier un peu de la trajectoire prévue, ou un risque de fracture peut survenir, dit M. Aubin. Le logiciel permettra de rectifier le tir en temps réel pour optimiser les résultats de l'opération.»
Il espère que cette innovation sera commercialisée dans quelques années.
Améliorer la qualité de vie des patients
Un autre logiciel, conçu sous sa gouverne et qui est à l'essai à Sainte-Justine ainsi qu'à Bordeaux, Toulouse et Boston, permet de rendre les corsets de correction de la scoliose plus légers, plus aérés et plus confortables. Un détail important quand on sait que les jeunes malades doivent les porter 23 heures par jour !
Ce logiciel utilise les données d'un scan du tronc de l'enfant pour simuler divers designs de corset et prédire leur efficacité. «On estime qu'on peut diminuer de moitié la quantité de matériau utilisé et de 30 % la surface de contact», précise Carl-Éric Aubin.
L'ingénieur fait aussi des recherches en amont pour mieux comprendre l'évolution des maladies de la colonne et intervenir plus tôt dans le processus. Un exemple ? Il travaille sur des microagrafes qui pourront être fixées sur les vertèbres des enfants atteints de scoliose et en moduler la croissance, de sorte que la déformation soit moins sévère.
Comme cette technique pourra s'effectuer par endoscopie, elle sera beaucoup moins invasive que la chirurgie actuelle qui consiste à insérer des vis, des tiges et des crochets.
Autre avantage : elle permettra d'éviter la fusion des vertèbres. En plus de conserver toute la mobilité de son dos, le jeune patient sera donc moins à risque de souffrir de problèmes à long terme comme la dégénérescence des disques vertébraux, les maux de dos, l'arthrose, etc.
Bien que cette innovation soit prometteuse et qu'elle ait été brevetée, il faudra attendre de 5 à 10 ans avant qu'un premier patient en bénéficie. Car des questions restent encore sans réponses. «Par exemple, en laissant aux vertèbres leur mobilité, la déformation pourrait continuer à progresser, indique M. Aubin. Il faut trouver une façon d'utiliser les microagrafes pour que le réalignement de la colonne soit définitif.»
Pour mener ses travaux, l'ingénieur travaille en étroite relation avec des chirurgiens, des orthésistes, des infirmières, des physiothérapeutes, des biologistes moléculaires, des généticiens et d'autres professionnels.
«C'est un défi, car on ne parle pas toujours le même langage, dit-il. Mais c'est cette interface entre différentes disciplines qui permet d'arriver à des avancées majeures.»