Plus de 600 millions de dollars : c'est le total des sommes investies chaque année par les fabricants de médicaments génériques canadiens dans le développement de nouveaux produits.
Prenez quelques ingrédients d'une recette, sans savoir les quantités exactes, l'ordre et la manière de les assembler, ni le temps de cuisson. Les chances de réussir à reproduire le plat sont minces. Il faudra probablement beaucoup d'essais avant d'y arriver.
La comparaison peut paraître simpliste, mais c'est un peu la situation dans laquelle se trouvent les fabricants de médicaments génériques qui veulent reproduire des médicaments d'origine dont le brevet est échu.
"On n'a jamais la recette exacte du produit. Une partie de l'information reste confidentielle. Après l'obtention du brevet, il reste un travail important à faire pour trouver la formule afin d'assembler les ingrédients en un produit stable qui aura les mêmes propriétés que le modèle", indique David Goodman, président de Pharmascience.
Créer de la valeur ajoutée
Les fabricants québécois consacrent beaucoup de temps et d'argent à financer le développement de produits. Pharmascience a en permanence entre 70 et 80 produits en développement dans son pipeline d'innovation, et certains y restent plusieurs années. Elle y investit près de 30 millions de dollars par an (M$), un montant qui la classe parmi les 100 premières entreprises du Canada en matière d'investissement en R-D, toutes industries confondues, selon Research Infosource.
L'équipe de R-D comptait 5 employés lors de la création de l'entreprise, au début des années 1980. Aujourd'hui, les activités scientifiques occupent plus de 30 % des effectifs, comprenant 1 300 personnes. "On ne se limite pas à reproduire des molécules existantes. On introduit toujours quelque chose de nouveau dans le produit, ou on trouve une nouvelle façon de le mettre en marché", dit M. Goodman.
Découvrir de nouveaux usages thérapeutiques d'un produit, présenter le produit existant sous une nouvelle forme pour traiter des maladies spécifiques ou lancer une molécule venue d'ailleurs sur le marché canadien : il y a de nombreuses façons d'ajouter de la valeur.
Dépenser temps et argent
Le développement d'un produit générique n'est pas seulement une question d'argent, mais aussi de temps. "Décomposer et comprendre la structure moléculaire d'un produit peut prendre de 12 à 24 mois", estime Michel Robidoux, président de Sandoz Canada.
L'entreprise de Boucherville investit près de 15 M$ par an pour développer une dizaine de versions génériques de produits injectables et ophtalmiques, sa spécialité. "Le produit générique doit être bioéquivalent au produit d'origine. On ne fait pas d'études cliniques pour vérifier l'efficacité du produit, mais on doit en faire pour la bioéquivalence. Ce sont des coûts et des délais supplémentaires."
Pour s'assurer des efforts en R-D consentis par les fabricants de génériques, il suffit de jeter un coup d'oeil en direction d'Apotex. L'entreprise ontarienne, qui réalise 22 % de ses ventes de médicaments au Québec - son deuxième marché après l'Ontario -, a près de 500 produits en développement. "Au cours des 10 prochaines années, on investira plus de 2,2 milliards de dollars (G$) dans le développement de médicaments", affirme Luc Martinovitch, vice- président pour le Québec d'Apotex. Sur 6 000 employés, près de 2 000 sont des scientifiques qui travaillent au développement.
Concurrence pour les entreprises innovatrices
Les entreprises innovatrices, qui créent les molécules d'origine, ont de la difficulté à suivre le rythme. Apotex devance aujourd'hui des chefs de file mondiaux tels que Pfizer et Merck en ce qui a trait aux sommes investies en R-D au Canada.
Et le jeu en vaut la chandelle. On estime que développer un médicament coûte de 500 M$ à 2 G$ ; mettre une copie sur le marché coûterait environ 1 M$...
Le plus bel exemple : le Lipitor, l'anticholestérol vedette au Canada avec des ventes annuelles de 1,2 G$ (380 M$ au Québec), est un des plus gros générateurs de revenus pour Apotex, qui a fait tomber l'an dernier un des brevets détenus par Pfizer.