Série 1 de 3 - Montréal et ses places d'affaires. L'immobilier fait face à d'importants enjeux dans la métropole. Voici notre deuxième série consacrée à ce secteur stratégique.
Tandis que le ciel paraît assez bleu dans le marché immobilier résidentiel à Montréal, on note beaucoup d'inquiétude, voire de frustration, chez les promoteurs des immeubles commerciaux.
«Les perspectives sont déprimantes.» Voilà ce que lance d'emblée Jacques Métivier, vice-président du conseil d'administration de Landmark Properties, pour qualifier l'état du marché commercial au centre-ville de Montréal.
«Il y a beaucoup trop de locaux en location et l'économie tourne au ralenti. Cela n'ouvre pas la voie à de nouveaux investissements», précise-t-il.
Avec six autres acteurs majeurs de l'immobilier montréalais, il a participé, le 20 mars dernier, à une table ronde organisée par Les Affaires et le cabinet d'avocats Davies Ward Phillips & Vineberg. Cette rencontre avait pour but de discuter des enjeux immobiliers de Montréal.
Selon le dernier rapport de la firme de courtage immobilier Colliers, le taux d'inoccupation de locaux commerciaux atteint maintenant 10 % à Montréal. Cela ne tient pas compte du million de pieds carrés offert en sous-location.
Manque de cohérence
«On assiste à un phénomène de chaise musicale», rapporte Richard Hylands, président de Corporation immobilière Kevric. Au coin des rues Peel et Saint-Antoine, la nouvelle tour de Cadillac Fairview accueillera Deloitte, qui délaisse la Place-Ville-Marie, ainsi que le siège social de Rio Tinto Alcan, qui quitte ses locaux à l'angle des rues Drummond et Sherbrooke. La dissolution du cabinet Heenan Blakie, qui laisse vacants au moins cinq étages du plus prestigieux immeuble de classe A en ville, le 1250 René-Lévesque Ouest, n'est pas sans inquiéter non plus.
Richard Hylands déplore le manque de cohérence en matière de développement immobilier à Montréal.
En pleine période de précarité, dit-il, la Société de développement Angus - un organisme communautaire - a annoncé en décembre dernier la construction d'une nouvelle tour de bureaux, le projet du Carré Saint-Laurent, dans le Quartier des spectacles. «C'est un non-sens. Ce nouvel immeuble, construit de surcroît sans appel d'offres, va encore libérer d'autres espaces. Ce qui ne fera qu'empirer la situation», dénonce M. Hylands.
Le président de Kevric a signalé que le prix net des loyers des immeubles de classe A montréalais se maintient au montant de 20 à 25 $ le pied carré. Il n'a pas augmenté depuis 1986...
«Ce sont les augmentations de frais et de taxes qui donnent l'impression que les loyers suivent le cours du marché», indique M. Hylands.
Fini le long terme
Compte tenu de la situation politique instable du Québec au cours des derniers mois, avec la présence d'un gouvernement minoritaire, et de l'impact des prochains chantiers routiers, les locataires ne veulent plus opter pour le long terme.
Finie l'époque des baux de 15 ans. Même ceux de 10 ans sont négociés de façon serrée. «De plus, les entreprises incluent désormais des mécanismes de sortie dans leurs baux au moment de la signature», précise Jean Laramée, vice-président principal, Capital immobilier Québec, d'Ivanhoé Cambridge.
On observe une forte tendance à la signature de baux d'une durée de cinq à sept ans. Les locataires exigent de plus en plus de flexibilité. Ils vont accepter de signer des baux de 10 ans à la condition que le gestionnaire effectue des travaux d'amélioration locative.
M. Hylands fait remarquer qu'il n'y a qu'à Montréal où le marché immobilier subit autant les contrecoups des enjeux politiques. «Prenez Toronto. Jamais ce type d'enjeux n'entre dans l'équation des locations d'immeubles de bureaux. À Montréal, dès qu'il y a une élection provinciale - et ça fait déjà quatre élections depuis 2008 -, tout tourne au ralenti», soutient-il.
Autre facteur qui nuit à la vigueur du marché immobilier commercial : la rationalisation des locaux dans les entreprises. À l'instar de ce qui se passe à l'échelle mondiale, on assiste à une diminution de la superficie moyenne d'espace par employé, ce qui se traduit par des réductions de 5 à 10 % des superficies locatives.
«Néanmoins, il y aura toujours des locataires prêts à payer plus cher le pied carré pour aménager leurs bureaux dans de meilleurs locaux, des locaux certifiés LEED, situés près des services et du transport en commun», soutient Jean Laramée.
Il précise qu'Ivanhoé Cambridge a justement commencé des travaux d'amélioration de plus de 10 millions de dollars pour que la Place-Ville-Marie, icône du marché immobilier commercial montréalais, demeure à la page.
Étalement hors centre-ville
Les intervenants constatent aussi un étalement des propriétés à l'extérieur du centre-ville, vers les quartiers périphériques tels que Rosemont, Villeray et Parc-Extension.
«De plus en plus d'entreprises veulent que leurs locaux soient plus proches des bassins d'employés. Et ceux-ci ne veulent plus payer deux voitures», dit M. Hylands.
Les résidents des banlieues, découragés par les travaux routiers et les bouchons sur les ponts, rechignent à venir travailler au centre-ville, souligne-t-il. Les entreprises cherchent donc des solutions en optant pour un compromis entre le centre-ville et la banlieue.
«La Banque TD a loué des locaux dans le futur 7250 Mile-End, que nous avons commencé à rénover en juillet dernier pour l'emménagement de son centre d'appels. Les bureaux de TD, autrefois en banlieue, reviennent en ville», précise le président de Kevric. Une initiative des entreprises pour se rapprocher de leur main-d'oeuvre, des jeunes et des immigrants qui vivent en ville.
«La banlieue aura beau offrir des loyers moins chers qu'à Montréal, elle ne remplacera jamais l'attrait du centre-ville», concède Jean-François Breton, président de Carbonleo, propriétaire du Quartier Dix30, qui a tout de même réussi à attirer les bureaux régionaux de trois grandes institutions financières : Banque Nationale, Banque Royale et Desjardins.
Des solutions ?
Y a-t-il des solutions ? Peut-on renverser la vapeur ? Nous ne sommes pas «sortis du bois», selon les participants à la table ronde. «Je ne vois pas de solutions miracles», soutient Jacques Métivier.
Le promoteur perçoit néanmoins un premier signe positif. Montréal a maintenant un maire qui semble savoir où il va et qui semble vouloir développer une complicité avec les autres villes.
Toutefois, il est clair que la province et la ville doivent se montrer plus accueillantes, soutient M. Métivier. Un accueil qui doit se traduire par de meilleures politiques pour encourager l'immigration, la création d'entreprises et l'établissement des sièges sociaux.
Consolidation dans le marché résidentiel
Que les futurs acheteurs de copropriétés se le tiennent pour dit. «À moins d'une catastrophe sur le plan économique, les prix des copropriétés neuves du centre-ville de Montréal ne baisseront pas», affirme Jacques Vincent, coprésident du promoteur Prével Alliance.
D'ailleurs, pourquoi les prix baisseraient-ils ? Les taux d'intérêt sont bas, les jeunes familles, les baby-boomers et les nouveaux arrivants tendent à vouloir s'installer en ville, et les Canadiens sont relativement optimistes. À cela, il faut ajouter l'augmentation du prix des terrains et des coûts de construction.
Jacques Vincent reconnaît cependant que le marché résidentiel montréalais tend à se consolider en 2014, après avoir connu un boom en 2011 et 2012. Ce phénomène aura pour conséquence d'empêcher le démarrage de projets annoncés, en particulier des projets menés par des promoteurs inexpérimentés.
«Ils seront incapables d'atteindre leurs objectifs de prévente exigés, soit plus de 65 %, par les institutions financières», signale M. Vincent. Il y a deux ans, ajoute-t-il, l'objectif de prévente était de 50 %. Les nouvelles règles des partenaires financiers visent à éviter un surplus d'habitations sur le marché.
Jacques Vincent ainsi que Stéphane Côté, président de DevMcGill, souhaitent mettre les pendules à l'heure en ce qui concerne l'offre et le stock d'habitations, deux éléments qu'il ne faut pas confondre.
L'offre, ce sont les copropriétés qu'on prévoit construire, tandis que le stock d'habitations réfère aux copropriétés construites qui sont invendues. «Tant qu'une unité n'est pas construite et livrée, elle ne fait pas partie de l'inventaire sur le marché. En d'autres mots, ce n'est pas parce qu'on parle d'une offre supérieure à 2 000 ou 3 000 unités sur le marché qu'il y a pour autant un inventaire élevé à Montréal», précise M. Côté.
M. Vincent cite l'exemple de Griffintown. «Il s'y est construit 757 unités en 2013. Seulement une cinquantaine d'entre elles sont actuellement invendues. On est loin d'être dans une bulle immobilière», dit-il.
Les promoteurs font également remarquer que les objectifs de prévente élevés permettent de vendre les autres unités (de 35 à 40 % du projet) lors des travaux de construction. «Ces travaux s'échelonnent sur un an pour un bâtiment en brique et en bois, voire deux ans pour les tours de 10 étages et plus. Ce qui donne amplement le temps aux promoteurs de vendre le reste du projet», indique M. Côté.
Il est vrai que la concurrence est de plus en plus féroce sur le marché. «C'est comme dans n'importe quel secteur économique. Les projets qui auront les meilleures chances de démarrer devront offrir le bon produit, au bon endroit et surtout au bon prix. Et si quelque chose cloche, les gens vont aller voir ailleurs», souligne le président de DevMcGill.
Stanislas Malecki, vice-président, développement, de la chaîne d'alimentation Sobeys Québec, dit surveiller les projets résidentiels montréalais qui présentent les meilleures chances de voir le jour.
«Pour nous, ce sont de nouveaux marchés à conquérir. Il faut néanmoins bien analyser ces occasions. Chaque projet de nouvelle épicerie, quelle que soit sa formule, exige de trois à sept ans de préparation», explique M. Malecki.
La location est en vogue
Autre facteur qui contribue à la vigueur du marché résidentiel : la location des copropriétés. Bien que les promoteurs résidentiels ne veuillent pas en faire la promotion, ils assistent, malgré eux, à ce nouveau phénomène dicté par des investisseurs d'ici et d'ailleurs.
Pourquoi ? «On manque de beaux appartements à Montréal», répond Jacques Vincent, de Prével Alliance. «La construction de tours de copropriétés permet justement de rajeunir d'une certaine façon le parc immobilier des appartements à Montréal», ajoute Richard Hylands, président de Kevric.
Jacques Vincent admet que plus de 40 % des 450 copropriétés du Séville, situé près de l'ancien Forum de la rue Sainte-Catherine, sont mises en location par leur propriétaire. Il faut dire que le Séville se trouve au coeur du Shaughnessy Village, un des quartiers les plus densément peuplés de Montréal, voire du pays. Un quartier où ça faisait des années qu'il n'y avait pas eu de constructions neuves, explique le coprésident de Prével.
«C'est une situation qu'on ne peut jamais prévoir à la vente», constate le promoteur. Il estime toutefois que ce phénomène est beaucoup moins présent dans les autres projets de Prével. À peine 10 % des unités sont louées par leur propriétaire, dit-il.
Richard Hylands est d'avis que le taux de location varie effectivement en fonction de l'emplacement. «Des projets, du type la Tour du Canadien par exemple, vont facilement attirer une forte proportion d'investisseurs. Jusqu'à 50%», estime-t-il.
Environ 15 % des copropriétés de Montréal sont occupées par des locataires, selon les données de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). «Les gens veulent louer un appartement de qualité, ce que leur fournit en général le marché de la copropriété. Mais tout est une question de localisation : ça demeure un phénomène propre au centre-ville», conclut Stéphane Côté, de DevMcGill.
15 % - Environ 15 % des copropriétés de Montréal sont occupées par des locataires.
Source : Société canadienne d'hypothèques et de logement