«La moitié du déficit actuariel de 4 milliards de dollars des régimes de retraite municipaux devrait être portée à la dette du gouvernement du Québec», affirme Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal dans le bulletin Libres échanges de l’Association des économistes québécois.
Pour résoudre la crise actuelle, M. Fortin propose aussi de reconnaître la lourde responsabilité de l’État québécois et d’amender le Code du travail de manière à rétablir une fois pour toutes l’équilibre du rapport de force dans les relations de travail au niveau municipal.
Voici un résumé de son texte publié dans Libres échanges :
En novembre 2013, une enquête de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) révélait qu’en moyenne les employés municipaux touchaient une rémunération annuelle de 76 000 $. Les employés qui occupaient des fonctions comparables dans la fonction publique provinciale devaient se contenter de 56 000 $. Cet écart moyen de 20 000 $ (36 %) est énorme.
Cet avantage de l’employé municipal a deux sources. D’une part, son salaire direct et les primes d’assurances payées en sa faveur par la ville sont plus élevés de 20 % à 25 % que s’il travaillait dans la fonction publique provinciale. D’autre part, la cotisation de son employeur à son régime de retraite est quatre fois plus importante (12 000 $) que s’il était à l’emploi du gouvernement du Québec (3 000 $).
Vice de structure
L’avantage de 36 % des employés municipaux ne peut s’expliquer par la demande et l’offre de services des employés. D’une part, la rémunération offerte par les villes ne résulte aucunement d’une difficulté à recruter ou à retenir des employés, au contraire. D’autre part, aucune preuve n’existe que le personnel des villes mérite une rémunération plus importante parce qu’il serait plus scolarisé, plus habile ou mieux équipé pour accomplir les tâches requises que le personnel de l’administration provinciale.
La disparité de rémunération entre le secteur municipal et le secteur provincial ne peut s’expliquer que par un rapport de force inégal favorisant systématiquement les syndicats municipaux dans la négociation des conventions collectives de travail avec les villes.
Cette faiblesse du rapport de force des municipalités a deux causes. D’une part, dans un service public comme une municipalité, le Code du travail accorde le droit de grève aux employés (sous réserve du maintien des services essentiels), mais interdit le droit de lock-out à l’employeur. D’autre part, dans le cas des policiers et des pompiers, le Code interdit en tout temps et la grève, et le lock-out. Lorsqu’un différend persiste entre un syndicat de policiers ou de pompiers et l’employeur municipal, il est obligatoirement soumis à une procédure d’arbitrage.
Or, le Code commande explicitement à l’arbitre d’un tel différend dans une municipalité de « tenir compte des conditions de travail qui prévalent dans des municipalités semblables ». Par conséquent, si une municipalité sort du rang et accorde une importante augmentation de rémunération à ses policiers et à ses pompiers, les négociateurs syndicaux dans les autres municipalités vont réclamer la parité. Guidés par l’esprit du Code du travail, les arbitres auront un penchant naturel pour la leur accorder.
Un impératif tout aussi naturel d’équité interne entraîne ensuite l’extension des conditions obtenues par les policiers et les pompiers aux autres employés de la même municipalité. Difficile de limiter à 2 % l’augmentation accordée aux employés d’une ville lorsque ses policiers et ses pompiers viennent d’obtenir 4 %.
Vice de comportement
Les experts indépendants en relations de travail, les analystes en économie du travail, les villes elles-mêmes et le gouvernement du Québec sont conscients depuis fort longtemps de ce rapport de force inégal. Mais Québec n’a rien fait pour corriger la situation. Aussi longtemps qu’on a pu, on a laissé la rémunération dans les villes poursuivre son inexorable ascension sans intervenir, jusqu’au moment où la crise financière a fini par éclater.
Dans ce dossier comme dans bien d’autres, les élus tendent à se concentrer sur le court terme. Ce qui va arriver au-delà de la prochaine élection ne les préoccupe guère. On a laissé les choses aller et on a cédé aux lobbys des groupes d’intérêts. L’État a ainsi vogué de crise en crise : crise en santé, crise en agriculture, crise de la construction, crise du vieillissement, crise des infrastructures, crise du financement universitaire, crise des finances municipales, crise du budget provincial, etc.
La crise actuelle des régimes de retraite municipaux résulte donc de deux défauts graves de nos institutions : un vice de structure des relations de travail (un rapport de force défavorisant systématiquement les employeurs municipaux) et un vice de comportement de l’État provincial (sa concentration exclusive sur le court terme qui lui a fait négliger de corriger le problème).
Ni les retraités municipaux, ni les employés actifs et leurs syndicats, ni les villes et leurs contribuables ne sont responsables de la crise. Il est donc particulièrement choquant de constater que le Projet de loi 3 sur les régimes de retraite municipaux veuille leur faire assumer la totalité des dégâts après coup.
L’évolution démographique (espérance de vie allongée) et le changement persistant des conditions financières mondiales (taux de rendement plus faibles sur les fonds investis) sont des causes reconnues du déficit accumulé des régimes de retraite municipaux. Les participants à ces régimes doivent en assumer les conséquences comme ceux des autres régimes publics ou privés. Mais une bonne partie de la responsabilité du gâchis incombe à la gestion à courte vue d’un État insouciant, complaisant et négligent.