La mafia est profondément incrustée dans le paysage économique de Montréal. Pas moins de 600 commerçants de Saint-Léonard et des autres arrondissements de l’Est de Montréal doivent en effet payer leur «pizzo» à la mafia montréalaise, selon les révélations du livre d’enquête «Mafia Inc.» des journalistes André Cédilot et André Noël.
«Nous tenons de très bonne source policière qu’ils sont quelque 600 commerçants à payer le pizzo. L’information a été transmise par plusieurs informateurs et a été validée en bonne partie au cours de l’enquête antimafia Colisée», dit André Cédilot, qui a été chroniqueur judiciaire à La Presse pendant 35 ans.
Le pizzo? Il s’agit d’une «taxe» obligatoire réclamée par les mafieux, en échange d’une «protection» du commerce racketté. Celle-ci a évolué au cours du temps. Aujourd’hui, il n’est plus vraiment question de reverser à la mafia un pourcentage de ses recettes ou 100 dollars toutes les semaines, mais plutôt de faire profiter de ses contacts aux mafieux. «Ça permet aux mafieux d’aller plus loin dans l’infiltration de l’économie légale, d’avoir sous leur coupe, en bout de ligne, des gens influents, y compris en politique. C’est comme ça qu’on se retrouve avec le scandale actuel du milieu de la construction», dit M. Cédilot.
Une pratique ancrée dans les mœurs d’affaires
Les commerces visés sont aussi nombreux que variés. Cela va des entreprises de construction - «Une bonne quinzaine d’entre elles ont des liens plus ou moins directs avec le clan Rizzuto, et payant une commission de 5% depuis des années», souligne M. Cédilot – aux boutiques de vêtements, en passant par des nettoyeurs, des salons de coiffure, des magasins d’alimentation, des concessionnaires automobiles, des restaurants, des hôtels, etc.
Le paiement du pizzo est tellement ancré dans les mœurs d’affaires que, avec le temps, bien des commerçants ont fini par l’accepter comme une fatalité. En retour, certains d’entre eux estiment qu’ils peuvent demander des services à la mafia, comme l’élimination d’un concurrent, le règlement d’un conflit avec un fournisseur ou la collecte d’une dette. Les exemples abondent dans «Mafia Inc.» :
- Menaces à un entrepreneur en céramique de Québec qui exécute des travaux à Montréal;
- Voies de fait et saccage dans un restaurant pour obliger le restaurateur à changer de marque de café;
- Menaces à une entreprise spécialisée dans l’usinage de précision, pour le règlement d’une dette;
- Demande d’aide à la Mafia de la part d’un promoteur immobilier pour récupérer une voiture volée, et la mallette qui s’y trouvait;
- Maquillage de voitures accidentées; etc.
Vers une commission d'enquête ?
La mafia parvient de la sorte à s’immiscer dans différents secteurs de l’économie montréalaise. Ses entreprises raflent des contrats publics, «comme l’a montré l’aventure des poublelles OMG», obtiennent des permis et des certificats d’autorisation du ministère de l’Environnement pour décontaminer des sols, ou encore tentent d’exercer un quasi-monopole dans la vente de certains produits, comme la crème glacée italienne. «La mafia contrôle aussi des sociétés financières», souligne M. Cédilot, sans donner davantage de détails à ce sujet.
«Ce livre sur l’influence du clan sicilien au Québec a pour but de réveiller les citoyens et les dirigeants politiques. Nous laissons faire la Mafia, ce qui est extrêmement dangereux. Si les autorités ne réagissent pas avec plus de vigueur, le Québec pourrait se retrouver dans quelques années dans la pénible situation que subit l’Italie, qui a perdu le contrôle de son économie», avance M. Cédilot.
«Il me semble qu’une commission d’enquête sur certaines activités mafieuses ne serait pas superflue», poursuit M. Noël, coauteur et journaliste d’enquête à La Presse.