Au moment où le promoteur immobilier Carbonleo présente son projet Royalmount, à Ville Mont-Royal, et qu'on promet la tenue de deux consultations publiques, un promoteur immobilier place l'acceptabilité sociale et la participation citoyenne au coeur d'un important investissement de 200 millions de dollars américains au centre-ville de Burlington, au Vermont. Les Affaires a visité la métropole miniature d'un tout petit État enclavé, qui recèle de grandes leçons de développement immobilier.
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À deux heures de route au sud de Montréal, sur les rives américaines du lac Champlain, se dresse Burlington, la métropole du Vermont (210 000 habitants dans toute l'agglomération). Lors de notre visite, au début de mai, la rue principale, Church Street, est particulièrement animée. Des musiciens divertissent les passants, les terrasses sont remplies, et les gens entrent et sortent des petits commerces situés des deux côtés de la rue piétonne.
Seule ombre au tableau : le centre commercial, dont l'une des façades donne sur la rue Church. Le bâtiment, situé entre la rue piétonne et le lac Champlain, à l'architecture désuète, est négligé. La dissonance entre le mail et le reste de la rue est frappante. À l'intérieur, c'est encore pire. Les lieux sont déserts, la lumière extérieure ne pénètre à peu près pas et, à vue de nez, la moitié des espaces sont inoccupés.
«En ce moment, on dirait une cave !» nous lance Mike Hassenberg, propriétaire de la boutique de meubles Green Life, située à deux coins de rue. «Beaucoup de gens ne savent même pas qu'il y a un centre commercial là, soupire-t-il. La boutique Gap, par exemple, a déménagé récemment, parce qu'il n'y avait pas assez de clients. Les gens ne la voyaient tout simplement pas. Depuis que le L.L. Bean est ouvert, par contre, il y a plus de visiteurs.»
Inaugurée en octobre 2014, cette boutique de plein air à grande surface a pu profiter de locaux aménagés par les nouveaux propriétaires du centre commercial, Devonwood Investors, qui y ont investi trois millions de dollars américains. Son design attire le regard, et on accède au magasin autant du centre commercial que de l'extérieur.
«L.L. Bean attire beaucoup de visiteurs, constate la jeune femme au comptoir du Crow Bookshop, une boutique de livres d'occasion en face du centre commercial. Cette année, il y avait pas mal plus de monde au centre-ville pour faire les achats des fêtes.»
Une ouverture de magasin qui a toutes les allures d'un ballon d'essai. Et maintenant, c'est au reste du centre que le propriétaire veut s'attaquer.
«Ils n'ont pas le choix, nous explique Joel Baird, journaliste du Burlington Free Press qui s'est penché sur le dossier. Ils n'attirent pas assez de locataires. Cependant, le projet n'est pas encore une affaire conclue [done deal]. Il y a encore des négociations en cours avec la Ville, pour le zonage ou les hauteurs à respecter, par exemple. Mais jusqu'à présent, le processus s'est très bien déroulé.»
«Ce projet démontre comment les partenariats public-privé peuvent servir à renforcer le centre-ville, a plaidé Peter Shumlin, gouverneur de l'État, lors de l'annonce du projet en novembre 2014. Burlington est déjà un modèle pour démontrer comment le développement de son centre peut stimuler la création d'emplois, la croissance économique et l'engagement de la communauté.»
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Processus transparent
C'est justement pour s'attirer l'appui des citoyens de Burlington que le promoteur, Devonwood Investors, s'est engagé à tenir une consultation publique sans précédent. «Au début, je me suis dit "Oh non, encore une autre étape !"«, lance Donald Sinex, président de l'entreprise new-yorkaise. Mais l'administration du maire Miro Weinberg le convainc d'aller de l'avant.
Le processus est lancé officiellement le 15 décembre 2014. La Ville approuve un plan pour encadrer la consultation publique. Un site Web est dévoilé afin d'informer les citoyens et recueillir les opinions, questions et autres suggestions. Pendant quatre jours, un atelier a lieu dans l'un des locaux vides du centre commercial pour y recevoir les citoyens. Les plans sont affichés au mur, et tous ceux qui le désirent peuvent y accoler un Post-it sur lequel est inscrit leur commentaire. Deux assemblées publiques sont également organisées. Et il y en aura d'autres. À chaque étape, les plans sont refaits, puis transmis à la Ville, et ainsi de suite.
Au début de mai, une troisième assemblée a eu lieu ; c'est le moment que nous avons choisi pour notre visite. La salle était comble.
«Les gens se déplacent et participent, lance d'un ton réjoui Sherida Paulsen, associée principale de la firme d'architectes PKSB, de New York, à la foule. Et c'est plutôt étrange de voir un promoteur privé aussi engagé. Nous avons affiché les plans du projet sur les murs de la salle, n'hésitez pas à prendre les piles de Post-it que nous avons placées pour vous sur les tables et les coller sur les plans avec vos commentaires.»
Puis, Nathan Wildfire, directeur adjoint du développement économique de Burlington, a repris le micro. «Depuis décembre dernier, nous avons reçu des milliers de commentaires. Après les avoir analysés, nous les avons regroupés en huit thèmes, ceux qui revenaient le plus souvent. Maintenant, ce soir, je ne veux pas vous ennuyer avec un long discours. Nous avons placé huit tables, huit "stations" tout autour de la pièce. Chacune d'entre elles répond à l'un des thèmes que vous nous avez soumis. Il y a des plans, des vues, des Post-it, et un spécialiste pour vous répondre. Promenez-vous, posez des questions et passez une belle soirée !»
Outre le fait de promouvoir l'acceptabilité sociale, ce processus de consultation publique a permis aux promoteurs de se rendre compte que l'intérêt pour un nouvel hôtel et un centre de congrès était à peu près inexistant. Ces idées, projetées au départ, ont depuis été abandonnées.
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Projet multifonctionnel
À ce jour, le plan conceptuel du projet conçu par la firme d'architectes PKSB comprend, tout d'abord, une expansion de la superficie consacrée aux commerces de détail et aux restaurants. De 180 000 pi2 actuellement, celle-ci passerait à 300 000 pi2 sur deux niveaux. Le plan prévoit que des commerces, notamment de «destination», s'ajouteraient à la liste de détaillants. Autre pays, autres moeurs, c'est un Target que la population a réclamé comme nouveau locataire prioritaire, nous a révélé la Ville.
Une fois le bunker actuel retapé, l'accès aux boutiques pourra se faire par l'extérieur. Celles-ci auront une façade ouverte sur les rues adjacentes, afin de maximiser leur visibilité. Trois arcades vitrées traverseront aussi le centre (65 000 pi2 au total) afin de maximiser la fluidité des déplacements et, encore une fois, amplifier l'attrait des passants pour les lieux.
Il y aurait également l'ajout de deux tours de bureaux, l'une en lofts et l'autre en bureaux traditionnels, pour un ajout total de 320 000 pi2. Le plan prévoit également 301 000 pi2 d'espace résidentiel, divisé en deux nouvelles tours, pour un total d'environ 250 logements. Afin de favoriser la mixité sociale, 20 % de ceux-ci, une cinquantaine, seraient destinés aux habitations à loyer modique. En dessous du complexe, deux étages seront réservés au stationnement, pour une superficie totale de 245 000 pi2, ou 375 nouvelles places pour les voitures.
Hormis les 200 M$ US d'investissements envisagés par le promoteur, la Ville devra aussi débourser pour mettre ce vaste projet à jour. Bien que la somme soit encore inconnue, alors que le projet est embryonnaire, il est prévu que l'administration déboursera une partie des coûts liés au réaménagement des rues avoisinantes, Bank et Cherry. Une nouvelle piste cyclable et une nouvelle rue devraient relier ces deux artères. De plus, on aménagera une promenade piétonnière sur la rue Cherry et on ajoutera à proximité des stationnements pour vélos.
En prime, on installera deux parcs aux deuxième et quatrième étages du complexe, permettant ainsi d'avoir une vue panoramique sur le lac Champlain et les environs. La construction d'une station d'observation au sommet d'une des tours de bureaux est également envisagée.
«[Ce projet] constitue une occasion exceptionnelle pour un secteur très important», affirme Nathan Wildfire. «Je préfère attendre de le voir terminé avant d'y croire», confie-t-il toutefois à Les Affaires. «Avant d'aller de l'avant, les citoyens devront probablement se prononcer sur une mesure de tax increment financing [un modèle de financement répandu aux États-Unis qui permet aux Villes d'emprunter en fonction des surplus dégagés par les nouvelles taxes foncières générées par un projet]. Mais les promoteurs ont très bien joué le jeu, ajoute-t-il. Ils impliquent les citoyens et plusieurs conseillers. Ils ont compris que, à terme, ça leur rendra la vie plus facile.»
LES HUIT RECOMMANDATIONS PRINCIPALES SOUMISES PAR LES CITOYENS
1. Créer des connexions à travers le complexe, pour mieux circuler dans le centre-ville ;
2. Diversifier les types de logements offerts (p. ex., HLM) ;
3. Construire des espaces publics avec des vues panoramiques ;
4. Promouvoir l,activité sur les rues adjacentes ;
5. Prévoir des places de stationnement intelligent (notamment en sous-sol) ;
6. Attirer des commerçants variés, tant locaux que de grandes chaînes ;
7. Bâtir des espaces propices à l,accueil d,événements ;
8. Intégrer des infrastructures pour cyclistes et piétons (pistes cyclables, supports à vélos, etc.).
> 4,6 G$: C'est l'équivalent, selon le nombre d'habitants dans l'agglomération, du projet de Burlington dans une ville comme Montréal, soit plus de deux fois l'investissement requis pour le projet «15-40», ou «Royalmount».
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