ANALYSE - La démarche franco-allemande initiée ce vendredi à Moscou pour tenter de trouver un règlement à la crise ukrainienne donnera-t-elle des résultats? Difficile à dire à court terme. Chose certaine, à long terme, le président russe Vladimir Poutine a d'ores et déjà perdu son bras de fer avec l'Occident.
En intervenant directement et indirectement en Ukraine orientale depuis près d'un an, Moscou veut à tout prix garder dans son aire d'influence géopolitique son voisin slave, et l'empêcher de joindre un jour l'Union européenne - et, dans ses pires scénarios, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
Or, à moins d'une surprise de taille, la Russie n'arrivera pas à empêcher l'Ukraine - un pays de 50 millions d'habitants - de s'ancrer un jour dans la sphère d'influence occidentale.
Pis encore pour la Russie, en raison des sanctions économiques, la politique de Vladimir Poutine en Ukraine minera pour des années l'économie russe qui était déjà dans une situation précaire avant la crise.
Double échec à l'horizon pour le maître du Kremlin.
Les analystes qui dénonçaient la mollesse de la réponse occidentale à l'ingérence russe en Ukraine devront se raviser. La stratégie des Américains, des Canadiens et des Européens fonctionne: les sanctions font mal à la Russie.
L'économie russe s'enfonce
En 2013, le PIB russe a cru de 1,3%, selon la Banque Mondiale. Pour l'ensemble de 2014, l'Economist Intelligence Unit estime qu'il progressera d'un mince 0,6 %. Mais cette année, l'économie russe devrait se contracter de 4,5%.
Une catastrophe pour ce pays du BRIC.
Depuis un an, le rouble a aussi perdu environ 40% de sa valeur par rapport au dollar américain. Cette dégringolade a fait bondir les coûts d'importation des entreprises russes et le prix au détail de plusieurs produits de consommation.
Pis encore, les étrangers - notamment les travailleurs qualifiés - sont en train de quitter la Russie, rapportait jeudi le quotidien britannique Financial Times.
Depuis un an, 417 000 d'entre eux ont quitté la Russie, soit un recul de 4,7%. Et la saignée est particulièrement importante au sein des plus importants groupes d'investisseurs étrangers dans le pays.
Selon le Federal Migration Service, une agence russe, pas moins de 240 113 Allemands ont quitté la Russie depuis janvier 2014, une chute de 31%. Le nombre d'Américains et de Britanniques a, lui, dégringolé respectivement de 36 et de 38%.
La Russie pâtit aussi de la chute des investissements directs étrangers (IDE), qui sont vitaux pour développer son économie, surtout dans le secteur des hydrocarbures.
En juin, la Vienna Institute for International Economic Studies, prédisait que les IDE pourraient chuter de 50% en 2014. Au deuxième trimestre, ils avaient reculé de 11% à par rapport au premier trimestre, selon la banque centrale de Russie.
Or, sans les capitaux étrangers, surtout occidentaux, la Russie peut difficilement développer son économie, qui a notamment un secteur manufacturier peu productif et non concurrentiel.
Et si Moscou poursuit sa politique en Ukraine orientale, les sanctions économiques feront de plus en plus mal à l'économie russe, s'entendent pour dire les économistes.
Au plan politique, on voit mal comment la Russie pourrait empêcher les Ukrainiens de joindre un jour l'UE, si c'est la volonté d'une majorité de la population.
L'Ukraine devrait joindre un jour l'UE
Certes, depuis près de 25 ans, Moscou a protesté chaque fois que les Occidentaux se sont étendus vers l'est, avec l'UE et l'OTAN, en absorbant d'anciennes républiques soviétiques comme les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie).
Moscou est d'ailleurs convaincu que l'Occident a comploté pour installer un régime «ami» pro-occidental à Kiev. Voilà pourquoi Vladimir Poutine a décidé de défendre les intérêts de la Russie en Ukraine.
Aussi, à moins d'une surprise de taille, le président russe - un ancien agent du KGB, pour qui l'effondrement de l'ex-URSS a été une catastrophe - ne voudra probablement pas céder un pouce de territoire en Ukraine.
Bref, Kiev devra vraisemblablement accepter de céder encore une partie de son territoire (après la Crimée) aux séparatistes russophones en Ukraine orientale, estiment des analystes.
Mais l'économie rattrapera un jour ou l'autre Vladimir Poutine.
Car, malgré la fierté retrouvée de plusieurs Russes de voir leur président tenir tête à l'Occident, les sanctions économiques ont de bonnes chances d'affaiblir à terme le soutien de la population.
Un soutien qui pourrait s'effriter d'autant plus vite si les cours du pétrole devaient demeurer bas encore longtemps.
La Russie est le troisième pays producteur au monde après l'Arabie saoudite et les États-Unis.
Comme les exportations de pétrole de la Russie représentent plus de 60% de ses exportations totales, Moscou est donc très dépendant de l'or noir.
Par exemple, en 2012, les revenus gaziers et pétroliers ont compté pour 52% du budget du gouvernement fédéral russe, selon la firme de consultants PFC Energy, spécialisée dans les hydrocarbures.
C'est pourquoi, pour toutes ces raisons, autant politiques qu'économiques, on peut dire que Vladimir Poutine a d'ores et déjà perdu son bras de fer avec l'Occident.