ANALYSE - Changement de cap majeur à Ottawa, où le gouvernement Harper vient de décider que la diplomatie canadienne sera désormais au service des intérêts économiques du Canada. Si cette stratégie inquiète les partis d'opposition, elle s'inspire de ce que font déjà en grande partie les grandes puissances européennes et les États-Unis.
Ce nouveau plan commercial mondial vise à accroître la présence des PME canadiennes à l'étranger, principalement dans les marchés émergents comme la Chine et l'Inde. Ainsi, les diplomates canadiens doivent désormais considérer les intérêts des entreprises canadiennes comme une priorité, et ce, aussi bien en matière de relations internationales que de développement.
«Ce nouveau plan nous permettra de tirer profit de nos forces et de veiller à ce que l’ensemble des ressources diplomatiques du Canada soient mises à profit pour favoriser la réussite commerciale des entreprises et des investisseurs canadiens», peut-on lire noir sur blanc dans le communiqué publié le 27 novembre par le ministre du Commerce International, Ed Fast.
Par exemple, Ottawa veut accroître de 29% la présence de nos PME sur les marchés étrangers d'ici 2018. Ce qui ferait passer leur nombre de 11 000 à 21 000, et créerait 40 000 emplois au pays, selon les estimations du gouvernement canadien.
Même si Ed Fast affirme que cette stratégie ne signifie nullement que le ministère des Affaires étrangères soit désormais sous le contrôle de la section Commerce international, les partis d'opposition sont très inquiets de ce nouveau virage diplomatique à Ottawa.
Le chef du NPD, Thomas Mulcair, craint de voir les conservateurs tourner le dos aux discussions de paix au profit de l'économie. «L'un n'a jamais empêché l'autre [...] Si la diplomatie canadienne est entièrement à la solde du secteur privé dorénavant, on a un gros problème», a-t-il dit.
Même inquiétude du côté du libéral Justin Trudeau, rapporte Le Devoir. «La job de nos diplomates, ce n'est pas principalement de défendre les intérêts des entreprises canadiennes, c'est d'être présents et engagés sur bien des niveaux sur la scène internationale et j'ai bien peur qu'une fois de plus, ce gouvernement aura manqué de compréhension quant à l'importance d'une présence internationale équilibrée et forte.»
Si le nouveau plan commercial mondial soulève effectivement beaucoup de questions, il ne représente toutefois pas un précédent, car l'approche des conservateurs ressemble en plusieurs points à celle des Européens et des Américains en Asie, par exemple.
L'an dernier, devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), le directeur général de McKinsey & Company, Dominic Barton, soulignait que le Canada traînait la patte en Asie, et que nos entreprises pourraient profiter davantage de sa croissance si Ottawa se rapprochait des gouvernements asiatiques.
Il donnait les exemples des gouvernements américain et allemand, qui jouent un rôle majeur pour aider leurs secteurs stratégiques, comme l'aéronautique, à décrocher de lucratifs contrats en Asie.
Comment Boeing et Airbus décrochent des contrats en Chine
Par exemple, par le passé, la Chine a déjà acheté des avions de Boeing pour une valeur de 19 milliards de dollars américains après des discussions au plus haut niveau diplomatique entre Washington et Beijing.
Airbus profite aussi de la diplomatie économique des pays européens. Par exemple, la Chine a passé une commande pour 50 appareils d'une valeur de 4 G$US au cours d'une visite de la de la chancelière allemande, Angela Merkel.
Les Pays-Bas jouent également la carte de la diplomatie économique. Le premier ministre néerlandais et des gens d'affaires vont plusieurs fois par année en Chine pour tenter de convaincre des entreprises chinoises d'implanter leur siège social européen à Amsterdam.
Du reste, le Canada n'a pas renoncé à la diplomatie traditionnelle, et celle-ci n'est pas inféodée aux stricts intérêts économiques des entreprises, affirmait jeudi en éditorial le Globe and Mail, en donnant l'exemple du dossier sur le nucléaire iranien.
Car, si cela avait été le cas, Ottawa aurait encensé l'entente conclue à Genève et aurait suspendu les sanctions bannissant toute importation et exportation avec l'Iran. Or, le gouvernement Harper se montre très sceptique et maintient la ligne dure pour l'instant, une position d'ailleurs similaire à celle d'Israël.
Il faudra voir avec le temps comment le nouveau plan commercial mondial transformera la relation du Canada avec le reste monde. Une nouvelle stratégie qui comprend une bonne dose de «réalisme» dans une économie mondiale de plus en plus intégrée et compétitive.
Cette approche réaliste tient davantage compte de ce que nous faisons, mais elle ne doit pas nous faire oublier qui nous sommes, font remarquer certains analystes. Car si le Canada est une économie de marché, il est aussi une démocratie qui protège et valorise les droits humains. Un équilibre dont devra tenir compte la nouvelle diplomatie canadienne.