Engager une poursuite contre un voisin pour une clôture ou contre un commerçant pour un produit défectueux est long et peut être ruineux si vous perdez au bout du compte. Voici ce qui vous attend.
Caroline d'Anjou et Nicolas Boivin en ont long à dire sur le système judiciaire.
Pour une histoire de vice caché, ce jeune couple de Neuville s'est débattu dans des procédures pendant quatre ans et a dépensé 20 000 dollars en honoraires d'avocat et autres frais judiciaires. Tout ça pour obtenir, non pas un, mais deux jugements en sa faveur... et pas un sou en dommages et intérêts. «Avoir su que ça nous coûterait autant, nous n'aurions jamais poursuivi», dit aujourd'hui Nicolas Boivin.
Retour en 2009. Un beau matin, un an après avoir acheté un triplex dans l'arrondissement de Limoilou, à Québec, ils découvrent, en même temps que le bas de leur pantalon, que l'immeuble est sujet aux infiltrations d'eau. Du coup, il n'est plus assurable, à moins de refaire les fondations. Or, le problème était connu des anciens propriétaires, mais n'a pas été déclaré au moment de la vente. Il s'agit d'un vice caché.
Après une mise en demeure restée lettre morte, le couple décide de poursuivre les anciens proprios. Le procès commence en novembre 2011. Comme la partie défenderesse ne se présente pas en cour, le juge prononce un verdict par défaut en faveur des d'Anjou-Boivin. Les anciens propriétaires du triplex doivent verser au couple la somme de 77 000 dollars pour rembourser le coût de la réfection des fondations.
Jugement en main, les anciens propriétaires réagissent enfin et demandent une rétractation de jugement. «Ils ont présenté le diagnostic d'une psychothérapeute de l'âme pour montrer que la femme avait des problèmes psychologiques, dit Nicolas Boivin. Pour nous, c'était boiteux, mais le juge a accepté la raison.»
Nouveau procès, nouveaux frais, nouveaux délais. «On a dû recommencer le processus, mais en juin 2013, on s'est présenté à la Cour supérieure avec trois témoins, poursuit Nicolas Boivin. L'audience a duré un jour et demi, et le 24 juillet 2013 on recevait le jugement. Encore une fois, on gagnait à 100 %.»
Fin de l'histoire ? Certes non. La partie adverse tente de porter la cause en appel. Par chance, les trois juges de la Cour d'appel sont unanimes : elle n'est pas recevable. Au pied du mur, les anciens propriétaires finissent par déclarer faillite au début de 2014.
Entre-temps, les d'Anjou-Boivin ont vendu leur triplex, écoeurés de cette saga qui ne leur aura valu que stress, temps perdu et argent jeté par les fenêtres.
La chicane coûte cher
Le printemps dernier, le Baromètre juridique québécois réalisé par AXA Assistance Canada montrait que les trois quarts des Québécois n'avaient pas les moyens de défendre leurs droits.
Quand on sait qu'un simple procès de deux jours peut coûter plus de 10 000 dollars aux deux parties, on y pense à deux fois avant de poursuivre son voisin pour une chicane de clôture.
Le problème de l'accès à la justice est criant. Tous les acteurs impliqués dans l'appareil judiciaire le reconnaissent. C'est pourquoi depuis quelques années, on multiplie les initiatives afin que les litiges se règlent le plus possible à l'extérieur des tribunaux. Parce qu'un règlement à l'amiable, c'est moins stressant et ça coûte diablement moins cher.
Il reste que dans certains cas, quand ni l'une ni l'autre des parties ne veut mettre d'eau dans son vin, un juge doit trancher. Comment intenter une poursuite judiciaire sans y laisser sa chemise ?
Un procès, ça coûte combien ?
«J'ai travaillé longtemps en pratique privée, et j'ai pu constater à quel point les gens étaient inconscients du coût d'une procédure judiciaire», dit Me Myriam Carrier, une avocate de Lévis qui pratique aujourd'hui en solo.
Pas étonnant. Tenter de prédire le coût d'une action en justice est un exercice périlleux. Toutes les requêtes sont différentes.
Il faut d'abord payer l'avocat. Selon une enquête du CIRANO, le tarif horaire moyen d'un avocat de droit civil était de 171 dollars en 2008, il y a six ans. On peut présumer que le taux a augmenté un peu. Il y a aussi les frais judiciaires, ceux de l'huissier de justice et les honoraires des témoins ou des témoins experts qui participeront à l'audience.
Bien sûr, un avocat peut vous donner une estimation approximative pour un litige semblable au vôtre et une idée quant à vos chances de gagner, mais il ne peut pas prévoir quel lapin la partie adverse sortira de son chapeau. Devant le juge, tout peut arriver. Et l'estimation du début ne tient plus.
C'est pour aider ses clients à mieux comprendre le travail de l'avocat (et à décortiquer la facture qui l'accompagne) que Me Carrier, qui se fait appeler l'«avocate à forfait», propose des services à frais fixes, dont la liste se lit comme un menu de restaurant. Rédiger une défense coûte 550 dollars. Une présence à la Cour pendant une journée, 775 dollars. «Ce que je propose, dit l'avocate, c'est un prix pour chaque étape.»
Si le mode de rémunération à forfait ne coûte pas nécessairement moins cher que la tarification horaire, il a le mérite d'ajouter un peu de clarté à des procédures qui, pour le commun des mortels, sont loin d'être évidentes.
Cela dit, selon Me André Ramier du cabinet PFD Avocats : «S'il y a une chose qui fait exploser les coûts d'une action en justice, c'est l'entêtement. Mais les tribunaux gèrent ça en favorisant les conférences de règlement à l'amiable.»
Entendez-vous donc...
En 2012-2013, 31,8 % des dossiers traités par le Tribunal administratif du Québec ont été réglés par la conciliation. À la Commission des lésions professionnelles, la conciliation a permis de régler plus de la moitié des dossiers hors tribunal. Depuis le 1er avril 2014, le nouveau Service administratif de rajustement des pensions alimentaires (SARPA) permet aux parents de régler les conflits de pensions alimentaires sans avoir à passer devant un juge. Bref, pour le système judiciaire, chaque fois qu'un litige se règle sans qu'un juge ait à trancher, c'est une petite victoire.
«Le processus judiciaire est toujours ouvert à la négociation, dit Me Richard La Charité, directeur des communications à la Commission des services juridiques. Et ce, à tous les niveaux, même en Cour d'appel.» Il n'y a donc à aucun moment de «point de non-retour». On peut toujours s'entendre à l'amiable et arrêter les procédures.
C'est d'ailleurs l'esprit du nouveau Code de procédure civile (C.p.c) adopté par l'Assemblée nationale en février dernier. Il mise plus que jamais sur les modes de règlement à l'amiable de conflits tels que la médiation, l'arbitrage ou la conciliation, et favorise l'entente entre les parties plutôt que l'affrontement...
«Le rôle de l'avocat a évolué dans ce sens, dit Me La Charité. À l'école du Barreau, on donne des cours sur la négociation aux nouveaux avocats. Un avocat n'est plus seulement quelqu'un qui plaide devant la Cour, mais quelqu'un qui favorise les ententes.»
«C'est une des responsabilités de l'avocat de conseiller son client, de le mener à peser le pour et le contre : le coût et le stress de la poursuite des procédures, par rapport à l'offre qui est sur la table», dit Me Carrier.
Les avocats peuvent parfois même se concerter au sujet d'un litige et prendre des ententes partielles. On règle à l'amiable une partie du dossier, mais on laisse au juge le soin de trancher telle autre partie. «Cela réduit le temps d'audience, et bien sûr, les coûts», dit Me La Charité.
Brault c. SuperThermo inc.
Pour illustrer les étapes et les coûts associés à une action en justice, voici un litige fictif. En 2010, Robert Brault fait installer chez lui une thermopompe pour le chauffage et la climatisation de son bungalow. Il se laisse convaincre par l'offre de l'entreprise SuperThermo. Un an après l'installation de la thermopompe, Robert Brault constate que l'appareil est anormalement bruyant, et de surcroît, inefficace en matière de climatisation. Après des réparations qui ne donnent aucun résultat et une mise en demeure, Robert Brault décide de poursuivre SuperThermo pour se faire rembourser les 19 000 dollars payés pour la thermopompe et son installation. Combien lui coûtera son procès, et quelles en seront les étapes ?
Un procès qui finit bien
La cour a condamné SuperThermo à verser à Robert Brault la somme de 20 000 dollars, soit 19 000 dollars pour le remboursement de la thermopompe et 1 000 dollars à titre de dommages et perte de jouissance de la vie. SuperThermo doit aussi payer les «dépens» (les frais judiciaires et les frais de l'expert encourus par Robert Brault, excluant les honoraires de son avocat). Le procès de Robert Brault lui aura donc coûté 4 840 dollars en frais d'avocat. En considérant le montant qu'il a obtenu (21 807,45 $), ce procès lui a finalement permis de récupérer 89 % de la somme investie deux ans plus tôt dans sa thermopompe...
Un procès dont vous êtes le héros
5 questions sur la Division des petites créances
Parce qu'il n'y a pas d'avocats impliqués, tout le monde a les moyens d'aller «aux petites créances».
Quel montant puis-je réclamer ?
Le montant du litige doit être inférieur à 7 000 dollars. Cette limite est appelée à augmenter prochainement à 15 000 dollars, dès l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile. «Certaines personnes réduisent le montant de leurs réclamations pour pouvoir présenter leur cause à la Cour des petites créances, dit Me La Charité. La hausse du montant maximal va améliorer encore l'accessibilité à la justice.»
Puis-je tout de même être représenté par un avocat ?
Sauf exception, toute personne doit se représenter elle-même à la Cour des petites créances. Par contre, il est possible d'avoir recours aux services d'un avocat pour préparer son audience.
Quels types de litiges ne relèvent pas de la Division des petites créances ?
Les demandes liées au bail d'un logement, les questions de pension alimentaire, les poursuites en diffamation ou les recours collectifs. Il s'agit d'une division de la Chambre civile de la Cour du Québec, on n'y juge donc aucune cause qui relève du Code criminel.
Combien de temps faut-il pour régler un dossier ?
L'attente dure de trois mois à un an entre le moment où vous déposez votre recours et celui où un tribunal entend votre cause. Une fois la cause entendue, soit le juge rend sa décision immédiatement, soit le jugement est rendu au plus tard dans les quatre mois qui suivent la date de la fin de l'audience.
Quels sont les frais encourus à la Division des petites créances ?
Des frais judiciaires de 74,25 dollars à 169 dollars sont exigés pour déposer une demande, selon le montant de la créance. Mais ce montant est remboursé par la partie adverse si vous gagnez votre cause.
Ressources
Éducaloi
Organisme créé en 2000 et qui se consacre à l'information du public sur ses droits et ses obligations. Son site est une mine d'informations.
Probono Québec
Organisme sans but lucratif créé en 2008 pour faire la promotion de services juridiques gratuits ou à faibles coûts.
Réseau juridique du Québec
Le site comprend un répertoire de 23 000 avocats du Québec ou d'ailleurs. La recherche s'effectue par champ de pratique.
Centres de justice de proximité
Des cliniques juridiques sans rendez-vous ouvertes dans trois régions du Québec.
Le droit de savoir
Tous les épisodes des quatre saisons du magazine juridique télévisé Le droit de savoir, coproduit par le Barreau du Québec et Télé-Québec, peuvent être visionnés en ligne.
Remerciements
Nous remercions Me Myriam Carrier [www.avocateaforfaits.com] et Me Jérôme Dupont-Rachiele de FML Avocats pour leur collaboration.