La Floride fait rêver les Québécois, à tel point qu'ils sont nombreux à y acheter un pied-à-terre. Voici ce qu'il faut savoir avant de se lancer dans l'immobilier américain.
«Nous sommes de retour à la bonne vieille normale !» exulte John Tuccillo, l'économiste en chef de Florida Realtors, une association professionnelle qui compte plus de 127 000 membres dans l'industrie de l'immobilier. On sent qu'il est soulagé de voir le paquebot de l'immobilier floridien maintenir un bon rythme de croisière, après qu'il a pris l'eau pendant des années. «Entre 2006 et 2009, le prix moyen des habitations en Floride a fondu de moitié, et la situation était pire sur les côtes et dans le sud, où la spéculation avait fait des ravages», rappelle-t-il.
Certains investisseurs québécois se sont fait prendre. C'est le cas de Jean Feuillet, agent immobilier de Fort Lauderdale. C'est là qu'il a acheté en 2005 une copropriété au prix de 77 000 dollars américains (tous les montants de l'article sont en dollars américains). Il y a investi 30 000 dollars de plus pour tout rénover. Un an plus tard, les propriétés comparables dans le même complexe se vendaient, non rénovées, entre 120 000 dollars et 145 000 dollars... avant que marché ne s'effondre. En 2009, il doit se résoudre à revendre pour 68 000 dollars. «Ça aurait pu être pire, souligne-t-il. En 2012, ce condo ne valait plus que 28 000 dollars !»
Le marché reprend vie
Si Jean Feuillet a perdu des plumes dans l'aventure, nombre de ses compatriotes ont profité de la situation. En 2011, Lucie Dockstader et Ronald Boucher, des retraités de Laval, ont payé 21 500 dollars une copropriété qui en valait 104 000 juste avant l'effondrement du marché. Ils passent cinq mois par année dans cette propriété d'une chambre à coucher située à West Palm Beach, sur la côte est.
Après avoir stagné au plus bas depuis 2009, les prix recommencent à s'apprécier dès 2012. Cette année-là, ils grimpent de près de 12 %. Même chose l'année suivante. En 2014, on s'attend à une hausse de 5 %. «C'est le taux de croissance normal en Floride», explique John Tuccillo. Confiant que le marché maintiendra cette cadence, l'économiste juge que le moment est encore propice à l'achat d'une propriété, d'autant que les bas taux d'intérêt ne dureront pas toujours.
«Le moment de faire "l'affaire du siècle" est passé, soutient Pierre Frégeau, un agent immobilier du sud de la Floride. Si les prix augmentent d'environ 4 ou 5 % par an dans l'ensemble de l'État, ils grimpent de 12 % à 18 % annuellement dans le sud.»
Son collègue Jean Feuillet précise qu'une copropriété de deux chambres à coucher en bord de mer peut facilement coûter de 300 000 à 500 000 dollars, avec des frais mensuels qui dépassent les 700 dollars. «Le même condo à l'intérieur des terres se vendra entre 70 000 et 150 000 dollars, avec des frais variant de 300 à 350 dollars», dit-il. Pour trouver un bon prix, il faudra donc faire certaines concessions, notamment s'éloigner de la côte.
Un compromis auquel Michel Pelletier et son épouse Suzanne Labrie, des retraités de Drummondville, ont consenti sans regret. Pour eux, la côte est un endroit «trop venteux et un peu moins sécuritaire». Ils ont trouvé leur bonheur à Boynton Beach, une petite localité sise à un peu plus de 25 km au sud de West Palm Beach, et à moins de 20 minutes de la mer en voiture. En mars 2013, ils ont mis la main sur une copropriété de deux chambres à coucher pour 69 000 dollars, avec des frais mensuels de 500 dollars et des taxes de 800 dollars par an. La propriété vaut déjà plus de 90 000 dollars.
Chasse au trésor
Adeptes du camping en motorisé, Michel Pelletier et Suzanne Labrie ont sillonné la Floride dans tous ses recoins avant de jeter l'ancre à Boynton Beach. C'est à bord de leur bon vieux motorisé qu'ils ont négocié l'achat de leur propriété floridienne, en fonction de critères précis. Leur logement de rêve aurait deux chambres à coucher, serait meublé avec goût, serait situé dans une communauté de taille modeste sécurisée réservée aux 55 ans et plus, et qui n'accepte pas les animaux. Ils souhaitaient aussi éviter de se retrouver entourés de Québécois, qu'ils jugaient trop fêtards.
Pour dénicher la perle rare, ils ont fait affaire avec un courtier. Une excellente décision, selon Pierre Frégeau, qui se défend de prêcher pour sa paroisse. «Il y a des centaines de milliers d'offres sur des sites comme realtor.com, trulia.com, Re/Max, Century 21, et autres MLS.com, note-t-il. Les gens magasinent du Québec et s'éparpillent entre tous ces sites. Ils peuvent y perdre un temps fou.»
Il suggère de magasiner un agent, plutôt qu'une propriété ! Ce qui n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire. Pierre Frégeau explique que certains agents se spécialisent dans une seule région ou une seule ville, voire dans un seul complexe immobilier. Il faut dire qu'un complexe comme Century Village comprend 8 250 copropriétés réparties entre West Palm Beach, Boca Raton, Deerfield Beach et Pembroke Pines. Un agent peut tout à fait y trouver son compte. Mais l'acheteur ? «Ces agents font mousser la région sur laquelle ils se concentrent, plutôt que de chercher l'endroit correspondant aux critères de l'acheteur», soutient Pierre Frégeau. Il vaut mieux, selon lui, prendre un agent qui couvre un vaste territoire.
Celui-ci doit être accrédité aux acheteurs, et non aux vendeurs. Cela assure qu'il ne défend que les intérêts des acheteurs. Il a notamment pour rôle d'éviter de faire un achat dans un endroit problématique. «Les gens recherchent la super aubaine, poursuit l'agent. Or, si le prix est très bas, c'est parfois que le condo est situé dans un endroit peu sûr ou peu avenant.» La Chambre de commerce Québec-Floride est un bon endroit pour trouver des recommandations d'agent.
Se faire accepter
Tamarac est une petite municipalité d'un peu plus de 60 000 habitants, située à environ 25 km au nord-est de Fort Lauderdale. Plus proche des Everglades que de la mer, cette localité a comme attrait principal un joli golf, juste à côté duquel s'est installée Madame Perron (c'est son vrai nom, mais elle ne veut pas dévoiler son prénom) en 2009. Elle a déboursé 68 000 dollars pour sa propriété. «Mon conjoint et moi cherchions un endroit près de la mer, explique-t-elle. Mais avec un budget maximal de 75 000 dollars, les condos que nous visitions étaient souvent vieux ou mal entretenus.»
Rentrés bredouilles au Québec, ils tom-bent sur une annonce dans un magazine pour des copropriétés sur le Colony West Golf Club. Elle et son conjoint, de même que sa belle-soeur et son conjoint, tous des golfeurs, sautent sur l'occasion, troquant la plage pour le green ! Commence alors un processus d'achat, qui peut surprendre.
En effet, n'achète pas une copropriété qui veut en Floride. Une fois l'offre d'achat déposée, un comité du syndicat de copropriétaires passera votre statut financier et légal au peigne fin. Même le plus petit détail peut bloquer la transaction, comme l'a appris Gaëlle Takforyan. Cette gestionnaire immobilière investit dans des propriétés qu'elle reloue par la suite. Elle en a acheté quatre en Floride depuis 2012. Or, au moment de louer une de ses copropriétés, elle apprend que le comité de sélection rechigne à accepter le nouveau locataire, parce que ce dernier a reçu... une amende pour excès de vitesse ! «J'ai dû me porter garante pour lui, soupire-t-elle. Pourtant, ce n'est pas comme s'il avait un dossier criminel !»
Vous l'aurez compris : louer une propriété à un tiers n'est pas une mince affaire. En effet, les règles qui entourent la location sont souvent strictes. «Beaucoup interdisent la location pendant la première ou les deux premières années, et la plupart d'entre elles interdisent de louer à plus d'une personne annuellement, explique Gaëlle Takforyan. Les locations de moins de trois mois sont souvent interdites.» Bref, si votre projet est de transformer votre copropriété en chambre d'hôtel, oubliez ça. Sur ses quatre copropriétés, une seule a permis à Gaëlle Takforyan de procéder immédiatement à une location. Encore aujourd'hui, deux des propriétés, achetées pour plus de 104 000 dollars, restent inoccupées en attendant la fin de l'interdiction. Avec des frais mensuels de 220 dollars et des taxes annuelles de plus de 500 dollars, il faut avoir les reins solides.
Les acheteurs doivent aussi rencontrer les membres du comité. Mais si leurs finances sont solides et qu'ils n'ont pas d'antécédents judiciaires, cette rencontre est une formalité. «Il faut parfois remettre un dépôt qui couvre quelques mois de frais, lequel nous est remboursé un ou deux ans plus tard», ajoute l'agent immobilier Jean Feuillet. Ce sera le cas, même si vous payez le logement comptant. «Pendant la crise, beaucoup de complexes ont souffert de l'accumulation de frais impayés, poursuit l'agent. Alors, ils sont prudents.»
En contrepartie, vous aurez accès, une fois l'offre d'achat déposée, aux états financiers du syndicat de copropriétaires. Vous aurez un court délai, généralement de trois à cinq jours, pour les examiner et retirer votre offre si les finances sont en mauvais état.
Avant de signer, assurez-vous de bien connaître les règlements. Ils sont souvent nombreux, notamment dans les complexes réservés aux 55 ans et plus. Cela peut aller des restrictions de location à l'interdiction d'avoir un BBQ sur le balcon, en passant par le refus des animaux et des règles strictes sur le bruit.
Des papiers en béton
Quiconque a déjà acheté une propriété au Québec connaît le processus. Le vendeur annonce un prix, l'acheteur fait une offre, suivie d'une contre-offre... «En Floride, oubliez ça, lance Pierre Frégeau. Les prix sont rarement négociables. Les propriétés se vendent de 95 % à 97 % du prix demandé.» Le contenu du logement est tout aussi peu négociable. Il peut être furnished (avec meubles, mais sans la vaisselle ou la décoration) ou encore turn key (avec les meu-bles, la vaisselle et la décoration). «Mais ne pensez pas faire baisser le prix de vente en arguant que vous ne prendrez pas les meubles, ça ne fonctionnera pas !» prévient l'agent.
Autre différence majeure : l'absence de notaires, une profession inexistante aux États-Unis. Pour s'assurer que les titres de propriété sont libres de toute réclamation, l'acheteur peut faire affaire avec un avocat ou un agent de titres. «L'agent demandera des honoraires fixes, alors que l'avocat facturera à l'heure, explique Jean Feuillet. S'il tombe sur un os, les coûts augmenteront.»
L'agent ou l'avocat aura pour mission de retracer le passé des titres de propriété pour s'assurer qu'aucun héritier ni aucune banque n'ont de réclamation. Cela évite d'acheter le solde d'une hypothèque en même temps que la copropriété ! Il est crucial d'acheter une assurance-titre, qui coûtera en général moins de 1 % du prix d'achat. C'est l'équivalent de l'acte notarié, et c'est ce qui vous protégera en cas de litige.
Pour toutes ces raisons, il est avantageux de faire affaire avec un agent immobilier francophone. «Je parle assez bien l'anglais, mais j'ai tout de même trouvé difficile de bien comprendre tout ce que nous expliquait notre avocat américain, explique Madame Perron, qui s'est établie à Tamarac en 2009. C'est un peu stressant, car les montants en jeu sont importants, et on veut savoir exactement dans quoi on s'embarque.»
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LOUER OU ACHETER ?
André Deslauriers, un ancien pompier de Montréal qui vit à Lorraine, et sa conjointe, ont loué pendant 20 ans diverses copropriétés en Floride, avant d'acheter une propriété dans le complexe Hawaiian Gardens, à Lauderdale Lake.
«Quand on loue, on n'a pas de souci à se faire au sujet de la propriété de Floride quand on est au Québec, dit-il. Mais nous avons parfois eu de mauvaises surprises, comme tomber sur des logements malpropres. Nous devions souvent acheter de la vaisselle ou de petits appareils, comme un grille-pain. En cas de problème, il fallait courir après le propriétaire.».
Pour eux, le choix de la location tenait au prix d'achat inabordable. La crise a changé cela. En 2010, ils ont payé 36 000 dollars (américains) pour une copropriété, qu'ils ont entièrement rénovée en investissant 30 000 dollars. L'appartement vaut environ 95 000 dollars en 2014. Le couple paie 240 dollars en frais et 1 300 dollars par an en taxes, alors qu'ils ont déjà payé 1 800 dollars par mois pour une location.
Larry Bathurst, planificateur financier chez Planex Solutions financières croit toutefois que ce calcul est très aléatoire. «Les condos achetés à rabais pendant la crise offraient un fort potentiel de croissance de la valeur de revente à moyen terme», note-t-il. Un avantage de l'achat qui a été gommé par le redressement des prix.
Le planificateur financier ajoute qu'il faut calculer le coût d'opportunité, c'est-à-dire le fait que l'argent utilisé pour acheter la copropriété n'est pas investi dans un placement. «Imaginez par exemple qu'on loue un condo 5 000 dollars par an, mais qu'on a des placements de 100 000 dollars assortis d'un rendement annuel de 5 %, illustre-t-il. Même en enlevant l'impôt, on paie la moitié de la location avec le rendement. Si on achète un condo 100 000 dollars, on devra payer les frais, les taxes et dire adieu au rendement des placements. Pour récupérer tout cela, il faudra miser sur une bonne augmentation de la valeur du condo à la revente.»
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